Régler nos horloges biologiques pour soigner le diabète
Température corporelle, sommeil, fréquence cardiaque, sécrétions hormonales, etc. Les différentes fonctions de notre organisme sont soumises au rythme circadien, calé sur le cycle jour/nuit de 24 heures. Dans le cerveau, plus précisément dans l’hypothalamus, une horloge centrale gouverne, tel un chef d’orchestre, leurs homologues périphériques, situées dans nos organes et dans nos cellules. Ainsi, au cœur de ces dernières, des horloges moléculaires régulent et synchronisent nos fonctions métaboliques selon ce même rythme circadien.
De plus en plus d’études montrent que des perturbations au niveau de ces processus ont une incidence sur le développement de maladies métaboliques, comme le diabète de type 2. C’est ce que confirme une nouvelle recherche menée par des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences en janvier dernier.
Les perturbations liées à notre mode de vie (alimentation déséquilibrée, horaires de travail irréguliers, manque de sommeil, etc.) et au vieillissement empêchent, semble-t-il, le bon fonctionnement des cellules des îlots pancréatiques, qui sécrètent l’insuline et le glucagon – les deux hormones chargées de réguler le taux de sucre dans le sang. Une équipe de scientifiques, dirigée par Charna Dibner, chercheuse aux départements de médecine et de physiologie cellulaire et métabolisme et au Centre facultaire du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE, avait déjà montré qu’en déréglant artificiellement les horloges des cellules pancréatiques endocrines, on favorisait l’apparition du diabète chez les rongeurs ; et qu’on pouvait, in vitro chez l’homme, diminuer la sécrétion d’insuline des cellules endocrines du pancréas.
L’activité des gènes en cause
Dans cette nouvelle étude, les scientifiques genevois ont pris les choses sous un autre angle, et ont décidé de comparer les cellules pancréatiques de donneurs diabétiques et de donneurs sains. Leur but: observer les perturbations des rythmes circadiens dans les cellules des îlots pancréatiques lors de diabète de type 2 et comprendre l’influence négative de ces perturbations sur les cellules et dans la régulation du taux de sucre. Pour cela, les chercheurs se sont intéressés à la génétique: les horloges cellulaires sont en effet contrôlées par l’activation d’un groupe de gènes spécifiques – mis en évidence par les travaux de trois chercheurs américains, récompensés par le prix Nobel 2017. «La transcription de ces gènes se répète chaque 24 heures, afin de synchroniser le rythme des activités cellulaires avec le cycle jour/nuit», explique Volodymyr Petrenko, maître-assistant au Département de médecine des HUG et au Département de physiologie cellulaire et métabolisme de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et premier auteur de l’étude. Grâce à des techniques de pointe, les chercheurs genevois ont pu suivre, avec une grande précision et en temps réel, l’activité de ces gènes et le comportement des cellules pancréatiques des donneurs des deux groupes. Leur activité a pu être visualisée par bioluminescence, une technique qui se sert d’une enzyme que l’on retrouve dans les lucioles. «Le signal augmentait lorsqu’il y avait plus d’activité au niveau des gènes d’intérêt», explique le chercheur. En parallèle, la sécrétion d’insuline et de glucagon a été mesurée. La technique de fluorescence a en effet permis de discriminer et d’étudier les cellules qui produisent ces hormones.
Les résultats sont très clairs: «L’amplitude, soit la différence entre le minimum et le maximum d’expression des gènes régissant l’horloge moléculaire, est beaucoup plus basse chez les diabétiques», indique Volodymyr Petrenko. C’est un peu comme si les cellules perdaient la notion du temps et ne faisaient plus la distinction entre le jour et la nuit. Il en découle une altération des systèmes d’anticipation par rapport au rythme circadien jour/nuit et de contrôle des niveaux de glucose dans le sang. Or, «les cellules du pancréas sont soumises au rythme du jeûne et de prise alimentaire, ainsi qu’à une stricte réglementation hormonale, souligne Charna Dibner. C’est la coordination de ces niveaux de régulation qui permet l’optimisation des fonctions métaboliques». En cas de dérégulation, l’organisme devient incapable d’anticiper ou de suivre en temps réel les signaux en provenance de l’alimentation. Alors qu’en temps normal, après les repas, le taux de sucre dans le sang augmente et de l’insuline est alors immédiatement sécrétée. Puis, environ deux heures après la prise alimentaire, le taux de sucre dans le sang se normalise.
Le pouvoir de l’écorce d’agrumes
Dans la deuxième phase de leur recherche, les scientifiques ont tenté de réparer ces systèmes en y rétablissant une certaine cohérence. Ils ont alors recouru à la Nobilétine, une substance extraite de l’écorce d’agrumes qui, selon de récentes recherches, aurait un impact sur les rythmes circadiens. «Nous avons pu démontrer que ce composant naturel pouvait rétablir efficacement l’amplitude des oscillations dans les cellules endocrines du pancréas», confirme Volodymyr Petrenko. L’effet modulateur propre à la Nobilétine a permis en outre d’améliorer la sécrétion d’insuline par ces cellules.
D’autres études devront toutefois être menées pour voir si la Nobilétine est vraiment bénéfique et si on doit l’utiliser seule ou en complément d’autres traitements. «Mais on sait désormais que la réparation des horloges circadiennes qui ont été endommagées peut contribuer à améliorer la sécrétion des hormones pancréatiques», s’enthousiasme Charna Dibner. La prochaine étape consistera à explorer ce mécanisme dans des modèles animaux, avant de pouvoir penser à une application chez l’être humain.
Face à la prévalence toujours plus grande du diabète dans le monde, toute nouvelle option thérapeutique est très attendue. A l’avenir, ce trouble métabolique, souvent associé à un manque d’hygiène de vie (manque de sommeil, horaires de travail et de repas décalés), pourrait être soigné par des thérapies personnalisées, combinant des approches de régulation des horloges cellulaires et une adaptation des rythmes de vie des diabétiques, en particulier en ce qui concerne l’alimentation, le sommeil et l’activité physique (lire l’encadré).
Mieux contrôler son diabète
En Suisse, environ 450’000 personnes sont concernées par un diabète de type 2. Chez elles, l’insuline, normalement sécrétée après une prise alimentaire pour réguler le taux de sucre dans le sang, n’est pas libérée en quantité suffisante pour assurer son rôle ou n'est pas correctement absorbée par les organes métaboliques (muscles, squelette, tissus adipeux). Conséquence: les glucides provenant de l’alimentation (pain, pâtes, patates, fruits, etc.), qui constituent une source importante d’énergie, ne peuvent être normalement utilisés par les muscles. Il en résulte également un excès de sucre dans le sang. Avec, sur le long terme, un risque augmenté de maladies cardiovasculaires. Le traitement du diabète de type 2 consiste en premier lieu à modifier son hygiène de vie et à adopter une alimentation équilibrée, à pratiquer une activité physique régulière et à viser un poids sain. La Dre Charna Dibner, chercheuse aux départements de médecine et de physiologie cellulaire et métabolisme et au Centre facultaire du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE, recommande également de respecter le plus possible ses rythmes biologiques, tant pour les besoins et horaires en matière d’alimentation que de sommeil.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 19/04/2020.
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