Guerre aux germes à l’hôpital
Un rituel minutieux
Se désinfecter les mains, enfiler des gants, passer une blouse jetable, mettre un masque. Un rituel d’un peu moins d’une minute que Jean-François Bovier, infirmier en chirurgie septique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), doit accomplir chaque fois qu’il rentre dans la chambre d’un patient en isolement. La pancarte rouge «Stop, n’entrez pas sans protection» fait figure de rappel appuyé, de même que la présence du «statif» devant la porte, le haut présentoir où est disponible tout le matériel requis pour s’équiper.
Pourquoi l’isolement? Parce que le patient est contagieux. A plus forte raison s’il est porteur d’un germe multirésistant, c’est-à-dire insensible à de nombreux antibiotiques et donc très difficile à soigner. Le but de la manœuvre qu’opère l’infirmier est double : se prémunir lui-même d’une infection en n’entrant pas en contact avec les germes du malade, et protéger les autres patients de l’hôpital en s’assurant de ne pas les transporter plus loin.
Tout doit être désinfecté
Les mêmes précautions seront prises par les visiteurs. Quant au patient, il ne sortira pas de sa chambre durant son hospitalisation, sauf pour les examens. Le cas échéant il le fera dans des vêtements propres, sur un lit ou un fauteuil roulant fraîchement désinfecté.
Les lits, justement, font tout un circuit dans l’hôpital. A chaque fois qu’un patient quitte l’hôpital, son lit descend au sous-sol du CHUV pour y être désinfecté et toute sa literie est changée. Une fois propre, il remonte dans les étages. Un incessant ballet, qu’entrecoupe parfois une réparation sur un élévateur qu’on croirait sorti tout droit d’un garage.
L’hygiène est essentielle
Autre élément essentiel pour l’hygiène de l’hôpital, le nettoyage. Une science minutieuse, nous explique Maria Carmen Gil, la cheffe des gouvernantes, responsable de l’entretien de tous les locaux. Chaque nettoyeur a un chariot, et trois bidons sur celui-ci: bleu pour les surfaces et la poussière, jaune pour les lavabos, rouge pour les toilettes. Le savon désinfectant qu’ils contiennent est changé régulièrement; s’y ajoutent deux balais préimprégnés.
Chaque chambre est nettoyée quotidiennement. Celles de malades en isolement font l’objet d’un soin particulier, tous les outils n’y seront employés qu’une fois ou seront désinfectés avant toute autre utilisation.
Le nettoyage des instruments
Un soufflement en fond sonore. Concentré, Claudio Di Iorio installe des tuyaux dans un appareil qui évoque un grand lave-linge. Bienvenue dans l’antre des endoscopes, ces instruments d’imagerie en forme de tuyau qui permettent d’observer l’intérieur du côlon, de l’estomac, des bronches ou encore du nez. Etant donné qu’il pénètre le corps des patients, l’hygiène de cet appareil est primordiale. L’aide de salle médicotechnique veille donc à leur désinfection: il vient de lancer un cycle de nettoyage.
Une fois propre, chaque appareil est suspendu dans une armoire ventilée où il sèche avant sa prochaine utilisation. Selon la planification des examens, on le sortira sur un chariot pour l’amener en salle. Pour éviter toute confusion, celui-ci sera recouvert d’un plastique vert indiquant qu’il est désinfecté. Dès qu’on l’aura utilisé, un plastique rouge viendra le remplacer.
Prévenir la contamination
Nous arrivons au laboratoire du Service de médecine préventive hospitalière, la tour de contrôle de la contamination. C’est ici que l’on pratique les analyses concernant les patients pour déterminer s’ils sont porteurs d’un germe multirésistant. «On estime que quatre infections sur cinq contractées à l’hôpital (dites nosocomiales) sont le fait des propres germes du patient», explique Dominique Blanc, responsable de ce secteur. En cause, la flore microbienne avec laquelle nous vivons habituellement en bonne intelligence mais qui, du fait de gestes médicaux, peut se révéler délétère. Il est ainsi possible de développer une pneumonie liée à la respiration artificielle par intubation ou une infection urinaire en lien avec la pose d’une sonde.
Des procédures précises restreignent le risque au maximum, explique le spécialiste. Une sonde urinaire sera ainsi enlevée aussi vite que possible; des patients devant subir une opération chirurgicale se verront prescrire des antibiotiques à titre préventif.
L’hôpital ne doit pas rendre malade!
Dans les 20% d’infections où le germe ne provient pas du patient, le microbe peut venir de quatre sources: les autres patients, le personnel, les visiteurs ou l’environnement. Le transfert des germes de patient à patient et la contamination par le personnel sont évités en grande majorité par la désinfection des mains des soignants. Les infections provenant de l’environnement sont rares, moins de 1% des cas. Le coupable peut par exemple être la légionelle, une bactérie qui se développe dans le réseau d’eau chaude et qui est dangereuse pour les personnes à l’immunité fragilisée.
La multirésistance aux antibiotiques fait l’objet d’une attention particulière. Le CHUV connaît ainsi les patients atteints qui sont déjà passés par l’institution et les entoure de mesures spécifiques quand ils y reviennent. Par ailleurs, certaines personnes sont systématiquement dépistées pour le staphylocoque doré résistant à la méthicilline (MRSA) lorsqu’elles arrivent au CHUV. Il peut s’agir par exemple de patients venus d’un EMS, d’un hôpital étranger ou ayant séjourné près d’un porteur.
S’assurer que l’hôpital ne rende pas malade, tout un système que coordonne et met en lien le Service de médecine préventive hospitalière. Un travail qui se niche dans les détails et demande une attention et un engagement quotidiens, de minutieux défenseurs.