«La finalité est de pouvoir un jour prédire et endiguer les crises d’épilepsie»
Bio express
1979 Naissance à Neuchâtel.
2004 Diplôme fédéral de médecin, Université de Genève (UNIGE).
2008 Doctorat en neurosciences, UNIGE.
2012 Post-doctorat, Albert Einstein College of Medicine, New York, États-Unis.
2012-2015 Post-doctorat, North Shore University Hospital, Manhasset, États-Unis.
2017 Titre de médecin spécialiste en neurologie, Fédération des médecins suisses.
2017-2020 Projet Ambizione fellowship, Fonds national suisse pour la recherche scientifique.
Depuis 2017 Chef de clinique scientifique, Service de neurologie, Hôpitaux universitaires de Genève.
2021-2026 Projet Eccellenza fellowship, Fonds national suisse pour la recherche scientifique.
Vous venez de recevoir la bourse «Eccellenza fellowship» du Fonds national suisse pour un vaste projet portant sur l’activité des neurones, en particulier lors de crises d’épilepsie. Pouvez-vous nous en dire plus?
Dr Pierre Mégevand Notre objectif est de pouvoir nous glisser, par le biais de micro-électrodes, dans le cerveau de patients atteints d’épilepsie sévère pour y observer le fonctionnement des neurones. La perspective est double puisqu’il s’agit à la fois de découvrir ce qui se passe à l’échelle cellulaire au moment des crises, mais également le reste du temps, lorsqu’une activité normale reprend. Prévue sur cinq ans, cette recherche va mobiliser soignants, chercheurs et ingénieurs des HUG, de l’Université de Genève et du Wyss Center.
Comment l’étude va-t-elle se dérouler?
Actuellement, nous comptons proposer à une trentaine de patients volontaires de participer. Il s’agit d’hommes et de femmes souffrant d’épilepsie dite «non contrôlée», autrement dit résistante aux traitements. Le caractère imprévisible et violent des crises rend le quotidien de ces patients particulièrement éprouvant. Cette situation concerne 30% des personnes souffrant d’épilepsie. L’option qui peut leur être proposée est une intervention chirurgicale visant à supprimer ou désactiver les neurones à l’origine des crises par le biais d’électrodes intracrâniennes. Cette option, radicale mais généralement très efficace, nécessite une hospitalisation sur deux à quatre semaines, les électrodes étant ensuite retirées. Dans le cadre de notre étude, l’idée est de profiter de l’intervention pour implanter, le temps de l’hospitalisation, quelques micro-électrodes permettant d’observer les phénomènes en jeu de beaucoup plus près.
De quelle échelle de grandeur parle-t-on?
Nous allons pouvoir cibler des groupes d’une centaine de neurones. Pour donner une image, on pourrait dire qu’étudier les neurones avec une IRM serait comme observer la Terre depuis l’espace ; avec des électrodes intracrâniennes, depuis un avion; avec ces micro-électrodes, nous nous posons dans la rue.
Qu’espérez-vous découvrir?
Lorsqu’on évoque les crises d’épilepsie sévères, on parle souvent d’un chaos fracassant survenant dans le cerveau. Aussi spectaculaires que puissent être les crises, il semblerait que ce phénomène soit tout autre. En lieu et place d’un chaos, il s’agirait plutôt d’un processus ultra-rigide, comme si subitement les neurones jouaient et rejouaient une partition à l’identique. Or, en temps normal, cette symphonie change en permanence pour s’adapter à un environnement lui-même fluctuant. Par le biais de ces micro-électrodes, nous espérons pouvoir comprendre comment se «raye le disque», mais également ce qui précède le dysfonctionnement. La finalité est de pouvoir un jour prédire et endiguer les crises d’épilepsie. Cette révolution prendra sans doute la forme d’un dispositif implanté dans le cerveau capable à la fois de reconnaître les signes avant-coureurs et de déclencher un traitement immédiat.
Cela ne relève donc pas de la science-fiction?
Il y a encore beaucoup à faire, mais non, ce n’est pas de la science-fiction. Une entreprise américaine a d’ailleurs conçu un dispositif (à ce jour disponible uniquement aux États-Unis) capable de détecter les crises d’épilepsie. La méthode a encore des limites - elle ne permet par exemple pas de faire disparaître les crises – mais elle est prometteuse. On peut la considérer comme un prototype de ce qu’il sera possible de faire dans quelques années. Par ailleurs, on sait que le corps tolère bien les dispositifs implantés, on le voit par exemple avec les pacemakers. Tout n’est pas parfait, des questions très concrètes se posent, par exemple pour une alimentation durable de ces appareils, mais nous pouvons être optimistes car les progrès technologiques sont rapides et spectaculaires. Tout porte à croire que les interfaces cerveau-machine feront partie de notre avenir.
Quand espérez-vous obtenir les premiers résultats?
Ils devraient être publiés dès la fin de l’année, mais ils porteront surtout sur l’innocuité de ces micro-électrodes. Nous sommes confiants sur cet aspect puisqu’en 2018 déjà, sous l’impulsion de la Pre Margitta Seeck, responsable de l’Unité d’exploration de l’épilepsie des HUG, un projet pilote avait été initié avec succès auprès de trois patients. Les premiers résultats axés sur la recherche elle-même devraient apparaître d’ici deux ans. Ils seront rendus publics, tout comme ceux qui suivront. Cela fait partie du mandat inhérent aux projets financés par le Fonds national suisse. Il s’agit d’une démarche de «citizen science» qui, elle aussi, constitue une perspective d’avenir : la mise en commun des connaissances dans l’intérêt des patients.
Et puis il y a l’observation des neurones eux-mêmes, en dehors de toute pathologie. Cet autre volet est-il en lien avec vos précédents travaux, notamment votre projet portant sur les oscillations cérébrales, lui aussi soutenu par le Fonds National Suisse?
Oui, en partie car il s’agit, dans les deux cas, de chercher à comprendre ce qui sous-tend un phénomène complexe depuis le cerveau lui-même. Concernant les oscillations cérébrales, mécanisme que l’on sait actif en permanence, nous avons par exemple pu montrer leur implication dans le traitement de la parole. Par le biais d’électrodes cérébrales, nous avons notamment constaté que 300 millisecondes avant la perception d’un message parlé, le cerveau choisit le canal qu’il va privilégier: auditif (les paroles entendues donc) ou visuel (la lecture sur les lèvres que nous pratiquons tous sans le savoir). Si, le plus souvent, l’indice auditif semble primer, la perception visuelle est privilégiée dans un tiers des cas. Ces travaux prennent une résonance particulière aujourd’hui, à l’heure où les masques se sont posés sur nos visages, nous privant d’indices de communication précieux.
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* Électroencéphalogramme.
Paru dans Planète Santé magazine N° 41 – Juin 2021
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