L’enfant en mal de vivre

Dernière mise à jour 09/12/20 | Article
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Derrière une agitation, une tristesse durable, des maux somatiques, un comportement difficile… peut se cacher un enfant en souffrance et même en dépression. Décryptage.

Le chiffre

1 à 2 %

La prévalence de la dépression dans la tranche des 0 à 10 ans.

La dépression n’est pas l’apanage de l’adulte ou de l’adolescent. À sa manière, elle peut également frapper le jeune, voire le très jeune enfant. « Un bébé qui vit dans un milieu carencé, avec un manque de soutien émotionnel, peut montrer des signes de souffrance en réaction à un environnement défaillant », confirme la Dre Mathilde Morisod Harari, médecin adjointe au Service de pédopsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Une attitude de retrait, voire un retard ou un arrêt dans le développement peuvent être le signe que son bien-être psychique est mis à mal.

«Je suis nul»

Oui, la dépression existe bel et bien chez l’enfant, avec une symptomatologie qui varie beaucoup de celle de l’adulte, et même de celle de l’adolescent. Elle évolue en fonction du développement de l’enfant. En grandissant, ce dernier accède peu à peu à un monde psychique qui est le sien et développe des compétences cognitives et langagières qui lui permettront de verbaliser. Entre 3 et 5 ans par exemple, mettre des mots sur son ressenti et ses émotions ne va pas encore de soi. Le mal-être psychique s’apparentant à une dépression peut alors trouver de multiples expressions : tristesse, fatigue, sentiment de culpabilité, de nullité, agitation stérile, agressivité, jusqu’à des troubles du comportement et des conduites d’opposition. «Derrière un enfant difficile, qui fait des bêtises, qui se fait souvent remarquer ou qu’on qualifie d’insupportable, peut se cacher un problème de fond comme celui de la dépression», explique la pédopsychiatre.

Ce diagnostic est difficile à poser, car l’enfant qui va mal peut, à défaut de pouvoir le dire, le montrer de manière indirecte par divers maux somatiques tels que des troubles du sommeil (difficultés à s’endormir ou réveils fréquents), de l’appétit, des maux de ventre, des maux de tête, etc. Pour compliquer le tout, il est fréquent que la dépression soit associée à d’autres troubles (déficit de l’attention et hyperactivité par exemple) ou l’inverse. Une faible estime de soi, des angoisses, des idées de mort peuvent aussi être révélatrices et doivent être prises au sérieux.

La dépression réactionnelle

Une vulnérabilité génétique peut être en cause dans la survenue d’une dépression chez l’enfant. Dans ce cas, elle est liée à un gène familial. Le plus souvent, néanmoins, la dépression est dite réactionnelle, en regard de ce que l’enfant est amené à vivre, et est alors le fruit de facteurs psychosociaux. Une rupture, des fonctions parentales défaillantes, une maladie psychique chez le parent, de la négligence ou de la maltraitance peuvent être à l’origine d’une dépression infantile, comme en atteste la Dre Morisod Harari: «En effet, c’est souvent lorsque quelque chose ne va pas dans la famille que l’enfant se déprime. À sa manière à lui, il essaie d’attirer l’attention, ce qui peut entraîner des difficultés à être en lien avec l’autre et renforcer le rejet.»

Quelle que soit la situation, il est évidemment important de soigner les symptômes présentés par l’enfant, car un fond dépressif peut avoir des conséquences sur son développement, notamment sur «ses capacités de socialisation, ses apprentissages scolaires, sa façon de se construire et de voir le monde», note la spécialiste.

Comment l’aider à aller mieux?

Un travail familial et psychothérapeutique peut aider l’enfant à aller mieux et à renouer avec un cercle vertueux. Un pas qui peut toutefois être difficile à franchir, admet la Dre Morisod Harari: «Consulter un spécialiste est toute une démarche, en regard de la gêne ou de la souffrance que l’on peut soi-même ressentir en tant que parent. Il faut toujours être admiratif face à un parent qui consulte. Il n’est pas facile d’admettre sa fragilité, son sentiment d’échec, sa peur, et encore moins d’avouer, si tel est le cas, que l’on a des difficultés avec son enfant.» Mais cela en vaut la peine. Le fait même de consulter peut être thérapeutique: «Les parents savent désormais qu’ils ne sont plus seuls. Et l’enfant sent qu’on s’occupe de lui, ce qui peut déjà être très bénéfique.» Une fois que le diagnostic est posé, un travail de psychothérapie peut débuter. L’enfant pourra être vu en individuel et un travail avec les parents devra se faire en parallèle. Le regard de la mère et/ou du père, voire de l’école permettront d’éclaircir le tableau.

Le temps de la guérison va quant à lui dépendre de différents facteurs: «Si les parents peuvent voir que l’enfant est en souffrance, ils pourront alors le soutenir. Mais il arrive que ceux-ci ne soient pas à même de voir que leur enfant va mal, ce qui rend les choses plus compliquées.» Comment vont-ils réussir à se mobiliser autour de lui pour l’aider est en effet une question importante. Si les parents s’intéressent au discours de l’enfant, à ses représentations et à ce qu’il montre en thérapie, il sera possible d’avancer plus sereinement. La capacité de l’enfant à reconnaître ses affects, voire à les faire comprendre à ses parents, aidera également dans le chemin de la guérison. «Si les ressources environnantes sont mobilisées et l’enfant pris en charge correctement, on assiste généralement à une amélioration rapide de l’état psychique de l’enfant, du fait des compétences évolutives et adaptatives de son psychisme en développement», conclut la spécialiste.

Aider son enfant à grandir

Il n’y a pas de recette magique pour élever un enfant. La Dre Mathilde Morisod Harari, médecin adjointe au Service de pédopsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du CHUV, nous donne néanmoins quelques repères:

  1. Tenir compte des besoins affectifs et physiologiques de l’enfant.
  2. Être proche de lui, s’intéresser à ce qu’il fait et à ce qu’il aime.
  3. Poser des limites : « Mettre un cadre ne signifie pas être dans la violence et la réprimande. Au contraire, donner des limites est rassurant pour lui. »
  4. Montrer qu’on est solide et qu’on est capable de prendre des décisions. Accorder trop de liberté à l’enfant, n’avoir de cesse de vouloir lui faire plaisir ou le solliciter constamment pour avoir son avis peut être déstabilisant et source d’angoisse.
  5. Accepter la tristesse, la frustration, la colère, voire la régression de son enfant. « Il ne s’agit pas d’éteindre ses émotions, mais de les accompagner et les valider, car elles font partie de la vie. »
  6. Se remettre en question en tant que parent.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 38 – Octobre 2020

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