«En proie à la dépression, les hommes compensent souvent par un excès de virilité.»

Dernière mise à jour 22/03/17 | Article
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On savait la dépression personnelle, complexe, organique autant que psychologique, on la découvre sexuée. Portrait de la dépression masculine avec le Dr Théodore Hovaguimian, psychiatre et psychothérapeute*.

Planète Santé: On parle de plus en plus de dépression masculine. La dépression se déclinerait-elle au masculin ou au féminin?

Dr T. Hovaguimian: Absolument. On constate que la façon dont la dépression naît, se vit et s’affronte est souvent très différente chez les hommes et chez les femmes. De façon générale, les femmes souffrent plus souvent de dépression légère ou modérée, les hommes passent directement aux formes graves de la maladie. Les statistiques vont dans ce sens: les hommes souffrent deux fois moins souvent de dépression –environ 10% chez les hommes, près de 20% chez les femmes– mais les taux de suicide sont, chez eux, quatre fois plus élevés.

Qu’est-ce qui permet de distinguer une dépression «légère» d’une dépression «sévère»?

Le cœur d’une dépression est fait du déclin de trois éléments: l’humeur, l’énergie et l’intérêt. A ce noyau peuvent s’ajouter des troubles de la concentration, du sommeil, une baisse de libido et de l’appétit, des idées suicidaires. Le tableau obtenu en évaluant ces diverses manifestations renseigne sur la sévérité de la dépression: plus il y aura de symptômes, plus elle sera marquée.

Pourquoi les hommes passent-ils directement à des dépressions plus graves?

La question est en partie d’ordre sociologique. Tout porte à croire qu’aujourd’hui encore la construction de la vie est plus aisée pour les hommes, par exemple au niveau professionnel: moins de discrimination, de meilleurs salaires, moins de tiraillement entre carrière et désir d’enfant… Mais également, entre autres, moins de violences domestiques. Ce contexte semble protéger, un temps, les hommes de la dépression. Mais certains moments de la vie sont plus périlleux. C’est là que peuvent ressurgir les traumatismes de l’enfance, qui ne sont d’ailleurs pas vécus de la même manière chez les garçons et chez les filles.

C’est-à-dire?

De façon schématique, une fille qui pleure va attiser l’aide et la compassion; un garçon qui pleure, les coups et les moqueries. C’est dans ce contexte que les garçons apprennent à autocensurer l’expression de leur tristesse.

Le cap de la quarantaine reste-t-il le virage délicat?

Oui, même si cela tend à devenir plus précoce. A noter que ce n’est pas forcément un coup dur qui va déclencher cette dépression mais plutôt une prise de distance des hommes sur leur vie. Certains pourront par exemple ressentir qu’ils ont rempli le contrat: carrière professionnelle, mariage, enfants… mais en passant à côté de leurs aspirations profondes.

Comment la dépression va-t-elle s’exprimer?

L’un des faits les plus spectaculaires est la façon dont la baisse de l’humeur propre à la dépression se traduit. Chez les femmes, la tristesse va oser s’exprimer, par des mots, des larmes. On parle de «dépression chaude». A l’opposé, les hommes vont se sentir envahis d’un vide affectif –l’impression de ne plus rien ressentir– et devenir irritables. On ne dira pas d’eux qu’ils sont tristes, mais de sale humeur. C’est le début de l’engrenage.

Comment cela évolue-t-il?

En proie à la dépression et à un sentiment de faiblesse, les hommes compensent souvent par un excès de virilité. Ils deviennent impulsifs, hyperactifs dans tous les domaines –travail, sport, sexualité– et se laissent aller à des excès d’autorité, des transgressions, des prises de risque exagérées. Une femme déprimée aspire à se sentir aimée, un homme déprimé, à se faire respecter. Leur objectif: donner le change.

Et cela fonctionne-t-il longtemps?

Au début, oui. Et puis les conflits se multiplient, l’alcool apparaît pour combattre le stress, l’insomnie s’installe. Tout cela dans le déni et jusqu’à l’épuisement. Le principal danger est le passage à l’acte suicidaire si rien ne vient stopper l’escalade.

Ces différences hommes/femmes sont-elles toujours aussi tranchées?

Bien sûr, certains hommes font des dépressions «féminines» et inversement. Mais ce n’est de loin pas une majorité. Les raisons qui sous-tendent, depuis l’enfance, ces réactions masculines ou féminines restent très ancrées.

Ces constats n’évoluent-ils pas avec le temps?

Si, mais pas forcément que dans le bon sens. La nouvelle génération est dans une période de transition. Elle s’est éloignée de l’univers hypermasculin à la «John Wayne» vers une situation où les hommes doivent être dans l’émotion, tout en restant forts et rassurants. Et surtout sans empiéter sur le terrain des femmes qui souhaitent elles aussi «aller au front». Pour elles, l’enjeu est de manier la carte de la féminité et du pouvoir en même temps. En somme, les nouveaux codes n’ont pas remplacé les anciens, mais se sont superposés à eux. Ce qui crée une génération en manque de repères, et des dépressions qui commencent plus tôt.

Pour autant, a-t-on des raisons d’être optimiste sur la prise en charge de la dépression, en particulier chez les hommes?

Oui, grâce à un grand changement: tout le monde, ou presque, reconnaît aujourd’hui que la dépression est une maladie à part entière, et pas une marque de lâcheté ou une faiblesse de l’âme comme on l’a longtemps entendu. J’ai bon espoir que cette approche plus pragmatique va aider les hommes à consulter plus facilement.

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* Auteur du livre La dépression masculine. Comprendre et faire face, en coll. avec Philippe Barraud, Ed. Médecine et Hygiène, 2013.

Source: Paru dans le magazine Planète Santé N°25, mars 2017.

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