Du courant à haute fréquence pour combattre la dépression
De quoi on parle?
Une nouvelle technique, la stimulation cérébrale profonde, fait son apparition en psychiatrie pour traiter la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs. Dérivée des électrochocs de funeste réputation, cette méthode encore expérimentale semble prometteuse.
La technique n’est encore qu’expérimentale et elle n’a été testée jusqu’ici que sur moins de deux cents patients dans le monde. La stimulation cérébrale profonde pourrait toutefois prochainement faire son apparition dans les services de psychiatrie, car ses résultats semblent encourageants dans la prise en charge des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et de la dépression chez les patients qui avaient jusque-là résisté à tous les traitements.
Comme son nom l’indique, la stimulation cérébrale profonde consiste à activer des noyaux situés à l’intérieur du cerveau avec du courant à haute fréquence. Ce n’est certes pas la première fois dans l’histoire que les psychiatres ont recours à l’électricité pour traiter leurs patients – les électrochocs sont utilisés depuis des lustres et, plus récemment, on a vu se développer la stimulation magnétique transcrânienne (lire encadré).
Cette nouvelle méthode s’inscrit donc en droite ligne des précédentes, à cette différence près que les noyaux cérébraux activés sont, cette fois, bien ciblés. Concrètement, les neurochirurgiens, guidés par l’imagerie, introduisent dans la zone précise du cerveau des électrodes qu’ils relient à une batterie. La technique est invasive, mais on «peut moduler le courant électrique et même arrêter la stimulation en cas de besoin. Ses effets sont donc réversibles», explique Alexandre Berney, médecin adjoint au service de psychiatrie de liaison du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Une bonne intuition
Cette méthode dérive en fait de celle qui est employée en neurologie depuis une vingtaine d’années pour traiter la maladie de Parkinson au stade très avancé. Par analogie, la neurologue américaine Helen Mayberg a donc eu l’idée de l’utiliser pour traiter la dépression «en modulant des régions cérébrales qui sous-tendent la régulation de l’affect», explique Alexandre Berney. L’intuition s’est révélée bonne. La stimulation cérébrale profonde a jusqu’ici été testée sur des personnes souffrant de TOC ou de dépression. Les essais ont porté sur «des patients consentants et très soigneusement sélectionnés: ils résistaient tous aux traitements courants», précise le psychiatre du CHUV. En outre, ces démarches ont été «très bien encadrées sur le plan éthique».
Les résultats sont prometteurs. Dans la population étudiée, la moitié des patients ont répondu au traitement et un tiers ont connu une rémission, autrement dit leurs symptômes étaient si faibles qu’ils pouvaient reprendre leur activité professionnelle.
Les effets de la stimulation cérébrale profonde ont parfois été spectaculaires dès le début de la stimulation. Certaines personnes qui étaient en salle d’opération mais conscientes (l’intervention se faisant sous anesthésie locale) ont pu décrire leurs sensations. «Elles disaient qu’elles se sentaient reconnectées, ou que le sentiment de vide qu’elles avaient eu jusque-là avait disparu et qu’elles avaient l’impression de sortir du tunnel», raconte Alexandre Berney, qui prévient cependant que ce n’est pas «une thérapie miracle et qu’elle ne pourra être prescrite qu’en complément d’autres traitements».
L’aventure vaut d’être tentée
Cette technique a aussi de possibles effets secondaires. Comme toute intervention chirurgicale, elle peut s’accompagner d’une hémorragie et, dans ce cas, il existe un risque d’atteinte neurologique. En outre, l’introduction d’électrodes dans le cerveau peut provoquer des infections. Cependant, «lorsque l’on met en balance ces risques avec les années de calvaire que les patients ont vécues, il paraît raisonnable d’envisager cette procédure», estime Alexandre Berney. Donc, de se lancer dans l’aventure.
Pour l’heure, aucun pays n’autorise la stimulation cérébrale profonde en dehors de protocoles expérimentaux bien encadrés. En ce qui concerne les TOC, la méthode a toutefois été récemment admise sur le plan international pour des traitements à visée compassionnelle, c’est-à-dire pour des patients chez qui tous les traitements ont échoué et qui sont tellement handicapés par leurs troubles que cela vaut la peine de tenter autre chose. Cependant, rien n’interdit de penser que dans quelques années la stimulation cérébrale profonde pourra entrer par la grande porte dans la pratique psychiatrique.
Deux techniques électriques au service de la psychiatrie
Le courant électrique et les champs magnétiques ne sont pas des nouveaux venus dans le domaine de la psychiatrie.
Décharges électriques
Les électrochocs sont pratiqués depuis la fin des années 30, mais leur utilisation n’a pas toujours été faite dans les règles de l’art, ce qui leur a valu leur réputation de traitement brutal et inhumain. Pourtant, lorsqu’ils sont bien encadrés, ils ont leur utilité.
L’électroconvulsivothérapie, comme on dit en langage médical, délivre des décharges électriques à la surface du crâne afin de provoquer une crise d’épilepsie généralisée. Tout se passe comme lorsqu’un ordinateur plante: on réinitialise, puis on le redémarre et il marche à nouveau, même si l’on ne sait pas ce qui s’est passé.
Cette «réinitialisation» des circuits cérébraux est notamment utilisée pour lutter contre les dépressions sévères qui ont résisté à tous les antidépresseurs et à la psychothérapie. Le taux de réponse oscille de 80 à 90%, contre 60 à 70% pour les médicaments. Elle est aussi utilisée dans le traitement de certaines schizophrénies résistantes aux neuroleptiques.
Champ magnétique
Apparue il y a une quinzaine d’années, la stimulation magnétique transcrânienne consiste à approcher de la surface du crâne un champ magnétique (similaire à celui utilisé par l’IRM). Cela génère une impulsion électrique dans le cortex, de façon localisée – contrairement à ce que font les électrochocs. En répétant l’exercice, «on stimule des zones cérébrales qui étaient peu actives», précise le psychiatre. Cette technique non invasive peut être pratiquée dans un cabinet médical. «Elle a un certain effet antidépresseur, mais son efficacité est modeste», seulement de 30 à 50% avec des séances quotidiennes pendant plusieurs semaines.
En revanche, la stimulation magnétique transcrânienne entraîne peu d’effets secondaires. «Elle peut provoquer une crise d’épilepsie, mais cela n’a été observé que dans un cas sur mille», constate le médecin du CHUV. Cette technique validée par l’autorité de santé américaine est autorisée en Suisse, mais pas encore remboursée par les assurances.
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