Perte d’élan: faut-il s’inquiéter?
En chiffres
En 2021, 25% environ de la population ont affirmé souffrir d’une détresse psychologique modérée à forte.
(Source: Schuler D, Tuch A, Sturny I, et Peter C. Santé psychique. Chiffres clés et impact du COVID-19 (Obsan Bulletin 02/2022). Neuchâtel: Observatoire suisse de la santé, 2022.)
C’est un manque d’énergie, d’élan, d’envie, arrivé subitement ou tout doucement, en plein confinement ou en différé… Et qui perdure, malgré une vie qui cherche à reprendre son cours. S’agit-il uniquement d’un mauvais moment à passer? Le signe d’un bouleversement plus profond? D’une pathologie sous-jacente? «Personne n’a été épargné par ce phénomène mondial, mais il est important de souligner que les réalités sont hautement individuelles. Selon la vie que nous menions avant la pandémie et ce qu’elle a provoqué pour nous ou nos proches, un tableau très personnel apparaît», souligne la Dre Lamyae Benzakour, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison et de la Consultation de psychotraumatologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Et d’ajouter: «Le contexte global n’est pas non plus si simple. D’abord parce que la pandémie ne s’est pas éteinte du jour au lendemain et a continué à semer le trouble en divers points du globe. Ensuite parce qu’au moment où les masques disparaissaient des visages, d’autres menaces prenaient le relais, entretenantun climat d’incertitude et d’insécurité: la guerre en Ukraine, le dernier rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr), entre autres.»
Profils à risque
Une accalmie en demi-teinte donc et, dans le même temps, des enquêtes se multipliant pour préciser les répercussions de la pandémie sur la santé psychique des individus. Parmi les études marquantes, celle parue dans la revue Current Neuropharmacology*. Compilant les résultats de nombreuses publications scientifiques portant sur les effets du Covid-19, cette revue de la littérature révèle l’existence d’un impact traumatique bien réel sur le fonctionnement psychique, notamment chez les personnes âgées, celles travaillant dans le domaine de la santé et celles ayant été infectées par le Covid-19. «La pandémie s’est notamment traduite par davantage de cas de troubles de stress post-traumatique (lire encadré), de dépression, d’anxiété ou encore d’abus de substances», précise la Dre Benzakour. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) détaille quant à lui que les personnes de plus de 65 ans isolées socialement ou présentant une maladie préexistante ont davantage été en proie à des humeurs négatives et que les jeunes ont eu des difficultés à supporter la réduction des contacts avec leurs pairs. Quant aux personnes d’âge moyen, beaucoup ont dû faire face à de multiples contraintes liées au travail et à l’école à la maison.
Trouble de stress post-traumatique, vraiment?
Hospitalisation traumatisante, décès de proches ou effets du climat anxiogène dans les rues et sur tous les écrans: la pandémie a donné lieu à des épreuves sans précédent, dont il a souvent fallu s’accommoder pour affronter le quotidien. Chez certaines personnes exposées à ces événements éprouvants sont apparues au fil du temps des manifestations telles qu’insomnie, anxiété, flash-backs, pensées intrusives et récurrentes. «Ces symptômes sont typiques du trouble de stress post-traumatique. Ils nécessitent une prise en charge spécialisée pour se défaire des effets, immédiats ou différés dans le temps, des traumatismes», alerte la Dre Lamyae Benzakour, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison et de la Consultation de psychotraumatologie aux HUG.
Autant de profils laissant entendre qu’il a été difficile – voire impossible – d’être épargné par la pandémie. Et si certains ressentent avec soulagement que le plus fort de l’épreuve est passé, d’autres souffrent de ces répercussions aujourd’hui plus que jamais. «Les cas de figure sont infinis, car les retombées d’un tel événement sur la santé psychique d’un individu sont multifactorielles, souligne la spécialiste. Chaque personne a fait face selon la façon dont elle s’est construite, son degré d’exposition à la maladie, ses stratégies de coping (stratégies mises en place en cas d’adversité, ndlr), ses antécédents psychiatriques ou encore sa situation familiale, sociale et professionnelle avant, pendant et après la pandémie. Pour certains, ce sont surtout les mesures de contrainte inhérentes à la gestion de la pandémie qui ont été intolérables.» D’autres, à l’inverse, ont été rassurés par les gestes barrières, les masques et le télétravail, et c’est la levée des restrictions qui a mis à mal leur équilibre.
Dépression, trouble de stress post-traumatique, syndrome post-covid
Dès lors, que faire quand le trouble s’est installé et perturbe le quotidien? «Ne pas hésiter à consulter, estime l’experte. Cela est important pour évaluer ce qui se passe, mais également pour exprimer son vécu subjectif de la pandémie, revenir sur les moments difficiles.» Une introspection difficile à faire seul: «Autodiagnostics et autres tests en ligneont le vent en poupe, mais ces démarches sont périlleuses. D’abord parce que ce sont des indications partielles sur l’état psychique alors qu’une évaluation clinique globale est généralement nécessaire, ensuite parce qu’elles ne fournissent pas de réponse et peuvent accroître le désarroi d’une personne en souffrance se retrouvant seule avec un résultat plus ou moins fiable.»
Il est donc plutôt conseillé de faire le point avec son médecin généraliste, avant d’être éventuellement orienté vers un spécialiste (psychologue ou psychiatre) si besoin. «Les situations cliniques sont variables et l’évaluation peut être complexe, poursuit la Dre Benzakour. Certaines personnes ont pu développer une dépression ou un trouble de stress post-traumatique associé, ou non, à un syndrome post-Covid-19 (lire encadré).» Avant de conclure: «Ce qu’on a vécu a laissé des traces, il ne faut pas minimiser ni avoir honte d’une souffrance qui persiste et oser en parler.»
Et si c’était un «syndrome post-Covid-19»?
D’abord appelée «Covid long», l’affection post-Covid-19** a été définie par l’Organisation mondiale de la santé en octobre2021 et toucherait jusqu’à 20% des personnes atteintes, trois mois après l’infection. Fatigue intense, problèmes de mémoire ou de concentration, gêne respiratoire (dyspnée) ou encore douleurs dans les membres, les symptômes sont multiples et ne dépendent pas forcément de l’intensité de ceux qui accompagnaient l’infection elle-même. «Beaucoup reste à faire pour comprendre les mécanismes en jeu et apporter les solutions les mieux adaptées, résume la Dre Lamyae Benzakour, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison et de la Consultation de psychotraumatologie aux HUG. Chez certains patients, un cercle vicieux particulièrement éprouvant s’est amorcé, les effets du virus se conjuguant à ceux du stress causé par les symptômes eux-mêmes. Les bouffées de fatigue notamment peuvent être particulièrement invalidantes et empêcher à elles seules le retour à la vie "d’avant".»
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* Chamaa F, Bahmad HF, Darwish B, et al. PTSD in the COVID-19 Era. Curr Neuropharmacol. 2021;19(12):2164-2179.
** https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/347764/WHO-2019-nCoV-Post-COVID-19-condition-Clinical-case-definition-2021.1-fre.pdf
Paru dans Générations, Hors-série «Comment rebondir… dans son corps, dans sa tête, dans son couple, dans sa famille, dans sa vie», Octobre 2022.
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