Une méthode controversée pour lutter contre l’obésité

Dernière mise à jour 14/07/15 | Article
Une méthode controversée pour lutter contre l’obésité
La chirurgie bariatrique permet une perte de poids à long terme, non sans contrainte. Très répandue en France, la «sleeve gastrectomie» n’est pas une opération standard en Suisse.

Face à l’échec répété d’une perte de poids et devant les risques accrus de diabète, d’hypertension, de maladies cardio-vasculaires et d’autres maladies, liés à un excès pondéral, la chirurgie bariatrique (ou chirurgie de l’obésité) offre la possibilité de retrouver un poids plus sain et de contrôler les désordres métaboliques.

La chirurgie n’est toutefois réservée qu’aux personnes souffrant d’obésité sévère, c’est-à-dire qui ont un indice de masse corporelle (IMC, poids divisé par la taille au carré) supérieur à 35. C’était par exemple le cas du comédien français Laurent Ournac, héros de «Camping Paradis» qui, grâce à une sleeve gastrectomie, a perdu pas moins de 47 kilos en quelques mois seulement. Les photos de sa nouvelle silhouette, publiées sur le réseau social Instagram, ont fait mouche.

La gastrectomie longitudinale ou sleeve gastrectomy

Moins connue chez nous que le by-pass gastrique, «la gastrectomie dite "en manchon" (sleeve) est une chirurgie purement restrictive, c’est-à-dire qui empêche de manger de grandes quantités», explique le Dr Bijan Ghavami, chirurgien viscéral à la Clinique de la Source à Lausanne. L’ablation de la partie externe de l’estomac réduit en effet son volume et donc sa capacité. Le passage des aliments dans l’estomac, qui ne ressemble plus à une poche mais à un tube, est ralenti. L’opération entraîne par ailleurs une diminution de l’appétit, en raison de la suppression de la partie de l’estomac qui sécrète la gréhline (l’hormone de la faim). L’acteur français a d’ailleurs confié qu’il mangeait désormais moins que sa fille de 3 ans!

Une mode américaine et française

Pratiquée sous anesthésie générale, l’intervention est définitive. Elle ne nécessite que trois à cinq jours d’hospitalisation. Ses effets sur la perte de poids sont réels, du moins à court terme, comme en témoigne le récit de l’acteur. Mais comme toute chirurgie bariatrique, elle nécessite d’avoir en parallèle une hygiène de vie – alimentation et activité physique – saine pour que la perte de poids soit durable.

A qui cette intervention est-elle destinée? A l’origine, «la sleeve gastrectomie faisait partie d’une stratégie dite en deux temps, réservée aux personnes "super-obèses" (dont l’IMC dépasse les 50), chez qui la réalisation d’un by-pass en première intention est délicate, explique le Dr Pierre Allemann, chef de clinique au service de chirurgie viscérale au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Une fois que les patients avaient perdu du poids, une seconde intervention était réalisée sous la forme d’un by-pass duodénal.» Or il s’est avéré que la sleeve gastrectomie permet une perte de poids suffisante à elle seule. Cette technique s’est alors fortement répandue notamment en France et aux Etats-Unis. Au point même de devenir une mode «parce qu’elle est beaucoup plus simple à réaliser qu’un by-pass gastrique et qu’elle est plus rentable pour le chirurgien!», regrette le professeur Philippe Morel des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

La chirurgie comme coup de pouce

Parce qu’elle permet de perdre beaucoup de poids dans un délai relativement court, la chirurgie bariatrique apparaît comme une solution miracle. Mais c’est d’abord un parcours du combattant. La préparation à une intervention bariatrique dure entre un et deux ans. Elle est réservée aux patients souffrant d’obésité morbide (dont l’indice de masse corporelle est supérieur à 35) et ayant essuyé une série d’échecs dans leurs tentatives de perte de poids. Un bilan de santé complet –pulmonaire, cardiaque, nutritionnel, psychiatrique, intestinal, etc.– est effectué afin d’écarter toute contre-indication à la chirurgie. La présence de troubles du comportement alimentaire impliquera un suivi psychologique. Par ailleurs, les candidats à la chirurgie reçoivent une information complète concernant l’obésité, les principes d’une alimentation saine, la chirurgie et ses risques et les changements de vie qui les attendent. Après l’intervention, les patients sont astreints à un suivi médical à vie et à une hygiène de vie (alimentation et exercice physique) stricte pour que la perte de poids soit maintenue. Comme conclut le Pr Morel, «la chirurgie bariatrique n’est qu’une partie du traitement de l’obésité».

Différent du by-pass

Le by-pass est effectivement une intervention complexe, à la fois restrictive et malabsorptive. Elle consiste à réduire la taille de l’estomac et à modifier le circuit alimentaire pour que seule une partie des aliments soit absorbée. En plus de la perte de poids, on observe une diminution directe du diabète et des risques de comorbidité liés au surpoids. C’est une intervention en théorie réversible, puisque rien n’est retiré du patient.

Elle est aujourd’hui considérée comme le «golden standard», poursuit le professeur Philippe Morel: «Le by-pass existe depuis trente ans. A ce jour, pas moins de 12 millions de patients ont été opérés dans le monde. Les résultats sur la perte de poids sont excellents. En un an, le patient retrouve un indice de masse corporelle inférieur à 30. Son espérance de vie redevient, elle aussi, normale.»

«Quelques années après l’opération, si le patient reprend des habitudes alimentaires non-contrôlées, telles que le grignotage, il va en même temps regagner une partie du poids perdu, malgré l’opération. En cas de sleeve gastrectomie, cette reprise peut atteindre jusqu’à 60% du poids perdu, alors qu’après by-pass, elle se situe autour de 30%», illustre le Dr Ghavami. Mais surtout, la sleeve gastrectomie est beaucoup moins sûre que le by-pass. Son taux de complications n’est pas moins important, au contraire: «On redoute particulièrement la survenue de fistules, soit la fuite du liquide gastrique dans l’estomac, avec risque de péritonite», indique le professeur Morel. Mais c’est surtout son caractère irréversible qui est un inconvénient majeur, poursuit-il: «Le fait d’enlever 80% de l’estomac présente un risque énorme, surtout chez les jeunes patients, en cas de cancer ou d’autres maladies. Après un by-pass, on peut leur redonner une absorption normale, mais pas après une sleeve.»

Moins sûre, la sleeve l’est aussi, car on a peu de recul sur cette technique –tant en termes du nombre de patients opérés que du suivi. «Après un by-pass, les patients sont suivis à vie, en raison des contraintes que cette chirurgie impose sur l’alimentation et des risques de carences nutritionnelles et de complications à long terme. Cet accompagnement présente en outre l’avantage de réduire le taux d’échec», explique le Dr Allemann. Ce suivi n’est généralement pas organisé pour la sleeve. Le devenir des patients opérés et les complications y sont donc moins bien connus.

Si, aujourd’hui, les arguments scientifiques sont faibles en faveur de la sleeve, plusieurs centres l’étudient néanmoins pour évaluer son efficacité et ses effets métaboliques à long terme.

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

 

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