Un tournant dans le traitement de l'obésité
«Nous assistons à un véritable virage, c’est une pierre angulaire pour le traitement du diabète et de l’obésité.» C’est en ces termes forts que le Pr Alain Golay, chef du Service d’endocrinologie, diabétologie, nutrition et d’éducation thérapeutique du patient aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), résume les derniers résultats d’une étude menée sur le sémaglutide et publiée dans le New England Journal of Medicine.
Cette molécule est ce que l’on appelle un analogue du GLP-1. Elle active les récepteurs du GLP-1, une hormone physiologique sécrétée lorsqu’on mange qui entraîne une régulation de l'appétit et favorise la sécrétion d’insuline, d’où son indication depuis plusieurs années dans le traitement du diabète. «Certains de ces analogues du GLP-1 parviennent à passer la barrière hématoencéphalique et viennent agir au niveau de l’hypothalamus, où s’opère la régulation des besoins alimentaires et de la dépense énergétique. Cela entraîne une satiété précoce et donc une diminution des quantités alimentaires consommées», explique la Dre Lucie Favre, médecin associée au Service d'endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Résultat: la perte de poids est importante, davantage encore avec le sémaglutide qu’avec le liraglutide, un autre analogue du GLP-1 utilisé depuis 2016 dans le traitement du diabète.
Une perte de poids de 15%
Les résultats des travaux menés par l’équipe de John P. H. Wilding, de l’Université de Liverpool, ont fait le tour du monde. Cette étude, menée sur près de 2000 personnes en situation de surpoids ou d’obésité, semble en effet confirmer ce que les diabétologues constataient depuis quelques années. Administré de façon hebdomadaire (2,4 mg par semaine), le sémaglutide, associé à une bonne hygiène de vie, entraîne une perte d’environ 15% du poids initial – jusqu’à 20% chez certains participants – contre seulement 2,4% pour le groupe placebo. «Ce sont des résultats excellents, sachant que les médicaments actuels ne permettent pas d’atteindre ces niveaux», ajoute la Dre Favre.
Le traitement aurait également un impact positif sur le métabolisme en général, avec une baisse de la pression artérielle et une réduction des taux de graisses et de sucre dans le sang, autant de facteurs de risque cardiovasculaires.
Pas de risque non plus d’effet «yoyo», contrairement à ce qui se passe lors d’un régime, où la réduction drastique d’alimentation stoppe la sécrétion de l’hormone de satiété. «Un régime alimentaire strict place le métabolisme dans un état de stress et l’incite à faire des "stocks" dès qu’on lui apporte à nouveau de la nourriture, explique Lucie Favre. Mais l’hormone GLP-1 donne le signal de satiété avant que l’on ait mangé, ce qui ne place pas l’organisme dans un mode de reprise pondérale immédiate.»
Le diabète, conséquence fréquente de l’obésité
On estime que près d’un patient obèse sur deux développera un diabète de type 2. En effet, le surpoids provoque une dégradation progressive du fonctionnement du pancréas et une résistance à l’insuline, qui peuvent mener au diabète. «La bonne nouvelle, c’est que le diabète de type 2 peut diminuer ou disparaître avec la perte de poids et ce, assez rapidement», explique le Pr Golay.
Mais le diabète n’est pas la seule complication de l’obésité. La liste de son impact sur la santé est longue. «Problèmes métaboliques (hypertension, apnées du sommeil, stéatose hépatique), articulaires (arthrose précoce), digestifs (reflux gastro-œsophagiens), risque d’insuffisance rénale, augmentation du risque du cancer (notamment du côlon et du sein), maladies cutanées (mycoses dans les zones de plis), etc. L’obésité n’épargne aucun organe», constate la Dre Favre.
Les récents travaux menés sur le sémaglutide, jusqu’à présent réservé aux patients diabétiques (à une posologie maximale de 1 mg/semaine et commercialisé sous le nom Ozempic®), ouvrent donc de larges perspectives pour les personnes souffrant d’obésité, qui ne bénéficient pour l’instant que de son cousin moins efficace (le liraglutide).
Traiter l’obésité de façon globale
Si cette molécule prometteuse qu’est le sémaglutide est déjà remboursée pour les patients diabétiques, elle n’est pas encore indiquée chez les personnes obèses. «Cela ne devrait pas tarder car nous bénéficions d’un recul conséquent sur ce médicament, précise Alain Golay. Mais ce n’est pas un médicament miracle et il devra impérativement être intégré à une prise en charge globale, essentielle dans le traitement de l’obésité, qui est aussi une maladie du comportement.»
En première ligne, l’adaptation de l’alimentation, la mise en place d’une activité physique régulière et une approche psychologique sont en effet essentielles. «Mais ce changement d’hygiène de vie a ses limites, car la perte dépasse rarement 5 à 10% du poids total», nuance Lucie Favre. Reste alors la chirurgie bariatrique, efficace mais relativement lourde.
Le traitement médicamenteux apparaît donc comme un bon entre-deux qui arrive après la mise en place des bases d’une bonne hygiène de vie et peut éviter, ou repousser, une opération plus invasive.
Médicaments coupe-faim, un catalogue de scandales
Mediator®, Acomplia®, Isoméride®, extraits thyroïdiens, anorexigènes amphétaminiques… la liste des médicaments coupe-faim qui ont défrayé la chronique est affreusement longue. Mis sur le marché et largement prescrits, ils se sont avérés extrêmement dangereux, voire mortels, et ont fait de nombreuses victimes avant d’être retirés du marché. Le terrain des médicaments agissant sur la satiété est donc particulièrement glissant. Comment être sûr, face à l’engouement que semblent susciter les dernières études sur le sémaglutide, que nous ne sommes pas, une fois encore, à l’aube d’un nouveau scandale sanitaire?
Le Pr Alain Golay, chef du Service d’endocrinologie, diabétologie, nutrition et éducation thérapeutique du patient aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), se veut rassurant: «Ce médicament est utilisé depuis de nombreuses années chez les patients diabétiques et est donc bien connu. Cela fait trente-trois ans que je suis des patients obèses. Je suis totalement confiant avec cette molécule, qui est efficace, bien tolérée et non dangereuse. »
Du côté des effets secondaires, des troubles digestifs (sensation de ballonnements, diarrhée, nausées…) sont néanmoins constatés dans les premières semaines du traitement. «Il faut donc travailler en amont avec le patient sur cette nouvelle sensation de satiété, lui apprendre à savoir quand s’arrêter de manger, à s’hydrater correctement, à revoir la composition de son assiette pour prévenir au mieux ces troubles», explique la Dre Lucie Favre, médecin associée au Service d'endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Autre précaution, cibler les bénéficiaires de ce médicament. Il devrait être indiqué chez les patients présentant un IMC supérieur à 35 kg/m2 ou entre 28 et 35 kg/m2, avec comorbidité liée à l’obésité. Il est en revanche contre-indiqué dans les rares cas de patients atteints d’un carcinome médullaire de la thyroïde.Malgré ces limites, les bénéfices semblent l’emporter sur les risques. «Des études de sécurité ont été menées et ont montré que ces analogues du GLP-1, dans le cadre du traitement du diabète, avaient également des propriétés de protection rénale et cardiaque», ajoute la Dre Favre.
_____
Paru dans Le Matin Dimanche le 25/07/2021.
Prise de poids durant la ménopause: une fatalité?
Stéatose hépatique: une maladie sournoise, mais réversible
Obésité: quand la nourriture devient une drogue
"Pour perdre du poids, ne faites surtout pas de régime "
Révolution dans la lutte contre l'obésité: découverte de nouvelles cellules adipeuses
Saholy Razafinarivo Schoreiz, une spécialiste de l'obésité infantile
Obésité
L’obésité est une maladie qui augmente le risque de survenue d’autres maladies et réduit l’espérance et la qualité de vie. Les patients atteints de cette accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle nécessitent une prise en charge individualisée et à long terme, diététique et comportementale.