Surpoids et obésité: les ravages d’une pandémie silencieuse

Dernière mise à jour 18/01/23 | Article
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Pourquoi cette progression et surtout comment soigner cette maladie? Tour d’horizon avec le Pr Philippe Morel, ancien chef de service et directeur du Département de chirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), et le Pr Jacques Philippe, médecin et responsable du Centre de l’obésité et du diabète de la Clinique Générale-Beaulieu.

«L’obésité fait des ravages et mène à l’augmentation de la prévalence de certains cancers, des diabètes de type II et des maladies cardiovasculaires. C’est un problème de santé majeur qui va coûter cher aux assurances, aux patients, mais aussi à la santé globale», alerte d’entrée de jeu le Pr Philippe Morel, ancien chef de service et directeur du Département de chirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La pandémie de Covid-19 n’a pas amélioré les choses puisque la diminution de l’activité physique durant cette période, l’anxiété et le fait de rester à domicile ont joué en faveur d’une prise de poids. En effet, selon une étude de l’Université de Saint-Gall, la population suisse a pris 3,3 kg en moyenne, ce qui équivaut à 33 fois plus que d’habitude[1].

L’obésité sous toutes ses formes

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit le surpoids par un indice de masse corporelle (IMC; poids en kilos divisé par la taille en mètres au carré) égal ou supérieur à 25 et l’obésité par un IMC égal ou supérieur à 30[3]. Il existe différentes classes d’obésité.

Indice de
masse corporelle (IMC)

Classe d’obésité

25,1 - 29,/9 kg/m2

Surpoids

30 - 34,9 kg/m2

Obésité modérée

35 - 39,9 kg/m2

Obésité sévère

40 - 49,9 kg/m2

Obésité morbide

> 50 kg/m2

Super-obésité

Les courbes du Covid-19 se sont affaissées, mais l’épidémie mondiale d’obésité se poursuit. Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la cause fondamentale de l’obésité et du surpoids est un «déséquilibre énergétique entre les calories consommées et dépensées»[2]. Les raisons qui mènent à ce déséquilibre sont nombreuses et interdépendantes: «Aujourd’hui, la disponibilité d’aliments hypercaloriques tels que les charcuteries, les fromages, les sauces ou encore les produits frits est quasi infinie. Il n’y a plus aucune obligation de se déplacer à pied ou à vélo et notre mode de vie nous impose un stress quasi permanent», explique le Pr Jacques Philippe, médecin et responsable du Centre de l’obésité et du diabète de la Clinique Générale-Beaulieu.

L’environnement dans lequel nous vivons s’est modifié jusqu’à devenir obésogène: les produits transformés ont peu à peu supplanté les légumes du potager, les écrans ont remplacé les ballons de football et les véhicules motorisés se sont substitués aux kilomètres à pied. Parallèlement, le besoin de contrôle, qui va du nombre de calories absorbées aux pas réalisés chaque jour, est devenu toujours plus excessif, pendant que l’abondance à laquelle nous sommes confrontés de manière permanente nous pousse à le perdre. Une ambivalence à laquelle il est devenu difficile de faire face et avec laquelle il va falloir composer pour réapprendre à vivre avec toutes ces incitations à caractère obésogène. Dès lors, comment contrer la prise de poids conduisant au surpoids et à l’obésité? Il y a plusieurs leviers d’action, selon les spécialistes interrogés.

1. Le rôle de la prévention

La chirurgie bariatrique

La chirurgie bariatrique permet d’obtenir une perte de poids rapide et drastique. Aujourd’hui, deux techniques sont pratiquées:

  • Le bypass gastrique (60% des opérations), qui consiste en un court-circuit interne de l’intestin (mais qui n’enlève aucun organe).
  • La sleeve ou gastrectomie tubulisée (40% des opérations), qui consiste à enlever quatre cinquièmes de l’estomac.

N’est pas candidat à la chirurgie qui veut puisqu’en tout cas un patient sur deux se voit refuser le traitement. Les critères sont en effet très stricts:

  • avoir un IMC ≥ 35 (sauf pour les patients diabétiques: IMC ≥ 30);
  • être en excès de poids depuis deux ans ou plus;
  • avoir tenté de manière médicalement contrôlée de perdre du poids pour démontrer objectivement sa volonté d’agir.

Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on. Seulement, il y a la théorie et la pratique. En effet, l’évolution des coûts du système de santé montre que la part des dépenses affectées à la prévention atteignait seulement 2,2% en 2014[4]. «C’est incroyable que l’on n’investisse pas plus dans la prévention. Ça n’intéresse pas les assurances, car les bénéfices ne sont pas immédiats. Pourtant, si on faisait autant de mise en garde sur les hamburgers que sur les paquets de tabac, la situation irait mieux », explique le Pr Morel. La prévention de l’obésité, qui est reconnue aujourd’hui comme une maladie, devrait être une priorité politique, car les problèmes de poids concernent de plus en plus d’enfants et d’adolescents. Comme l’explique le Pr Philippe, c’est un problème majeur, puisque leur prise en charge est particulièrement complexe: pour les enfants, il faut parvenir à faire entendre aux parents qu’il y a un problème et, pour les adolescents, il faut un suivi relativement serré pour s’assurer de leur compréhension et de leur motivation. «Il est grand temps d’augmenter l’activité physique des jeunes dans les écoles et de proposer un enseignement poussé sur l’alimentation ainsi que des repas sains. Il faut aussi promouvoir le sport, les pistes cyclables sécurisées, l’implication des familles, c’est un tout», ajoute l’expert. 

En Suisse, il existe plusieurs programmes destinés à promouvoir une alimentation saine, une activité physique et une mobilité douce. Souvent initiés à l’échelle cantonale, il n’est pas rare d’en voir certains repris et développés à leur tour par d’autres cantons. Toutefois, ils ne suffisent souvent pas à stopper l’ascension des taux de surpoids et d’obésité et de nouvelles mesures politiques pourraient aider la population dans cette lutte. En matière d’alimentation par exemple, une régulation des industries agroalimentaires permettrait d’acquérir un certain contrôle sur la composition de leurs produits, notamment en matière de sucres ajoutés. Une subvention sur les produits sains et non transformés permettrait de favoriser leur disponibilité pour tous, tant d’un point de vue géographique que financier. En matière d’activité physique, le réaménagement de certains environnements pourrait les rendre plus compatibles avec une mobilité douce et une activité physique, et la mise en place de nouveaux programmes dans les écoles encouragerait l’activité physique et le mouvement dès le plus jeune âge. Enfin, une dernière piste de réflexion pourrait s’orienter vers la régulation de la publicité pour les produits alimentaires, plus particulièrement pour les enfants. 

2. Identifier ses fragilités personnelles

Des médicaments pour accélérer la perte de poids

Aujourd’hui, on observe l’arrivée de nouvelles molécules, des analogues du GLP-1, déjà utilisées depuis dix-sept ans dans le traitement du diabète, mais qui induisent une perte de poids inespérée.  

Le GLP-1est une hormone ayant pour effet:

  • d’informer le cerveau que la prise alimentaire est suffisante;
  • de sécréter de l’insuline par le pancréas;
  • d’augmenter légèrement la dépense énergétique basale;
  • de ralentir la vidange gastrique afin de moins manger.

Il est désormais établi que supprimer les kilos en trop ne suffit pas, le poids sur la balance n’étant que la pointe de l’iceberg. Sans compter que les régimes sont contre-productifs sur le long terme. Les mécanismes à l’origine d’une prise de poids sont souvent complexes et multifactoriels. Identifier les facteurs qui en sont responsables est une étape incontournable. Ceux-ci ne doivent pas être considérés de manière isolée car ils sont le plus souvent interdépendants. Il convient donc de s’intéresser à l’alimentation, au comportement alimentaire, à l’activité physique, au mode de vie, aux émotions et au vécu de la personne en surpoids ou en situation d’obésité, car c’est ainsi que l’on sera en mesure de définir un plan d’action personnalisé. 

Les centres de l’obésité proposent ce type de prise en charge multidisciplinaire grâce à la présence de médecins, psychologues, diététiciens, cardiologues, gastroentérologues, chirurgiens, etc.: «Nous avons dans ces centres des soignants qui connaissent l’obésité à chacun de ses niveaux et qui sont en mesure de proposer des traitements personnalisés en fonction de la situation de chaque patient », confirme le Pr Philippe. Les différents axes thérapeutiques peuvent donc s’orienter autour de l’hygiène de vie, l’équilibre et le comportement alimentaire, l’activité physique, l’éducation thérapeutique, la psychothérapie, les traitements médicamenteux ou encore la chirurgie. Il s’agit, pour la personne souffrant d’obésité, de réapprendre à composer avec un environnement obésogène et de mieux comprendre ce qui se joue pour elle, afin de déclencher une perte de poids. Se reconnecter à ses sensations fait partie de ce cheminement: réapprendre à écouter son sentiment de satiété permet d’éviter à la nourriture de devenir un refuge. Parfois, quand les changements d’habitudes de vie ne suffisent pas, une aide médicamenteuse, voire chirurgicale, peut s’avérer nécessaire (lire encadré).

Depuis quatre ans, un traitement a été approuvé en Suisse, le Saxenda (liraglutide), qui permet aux patients de perdre entre 5 et 6 kg par an en moyenne. Aujourd’hui, il existe même plus efficace: le semaglutide, disponible aux États-Unis pour le traitement de l’obésité avec une dose maximale de 2,4 mg et menant à une perte de poids moyenne de 17,5 kg sur un an (également disponible en Suisse, mais à ce jour seulement pour le traitement du diabète et avec une dose maximale de 1,0 mg), ainsi que le Mounjaro (tirzépatide), un analogue du GLP-1 également, approuvé aux États-Unis et permettant de perdre en moyenne 20 kg sur un an. Ces traitements sont une vraie révolution dans la prise en charge de l’obésité et donc de la diminution des complications cardiovasculaires, des problèmes liés au diabète et de la mortalité.

Delphine Chevalier, 50 ans: «Je ne baisse pas les bras»

«Vers 13-14 ans, j’ai commencé à avoir des formes, la fameuse "culotte de cheval", puis entre 20 et 27 ans, à la suite d’une rupture amoureuse, de la séparation de mes parents et d’un échec de formation, j’ai peu à peu continué à prendre du poids. J’ai érigé une carapace autour de moi par besoin de trouver ma place et, en même temps, pour me protéger de l’extérieur. Le regard des autres est très pesant et destructeur. En 1998, j’ai atteint 95 kilos et commencé un régime. J’ai perdu 18 kilos, mais pour le médecin qui me suivait, ce n’était pas assez. Je me suis mise à reconsommer en grande quantité tout ce dont je m’étais privée. J’ai non seulement repris le poids perdu, mais aussi fini par dépasser les 100 kilos. J’ai tenté d’autres régimes mais je n’ai pas tenu longtemps. Les quelques kilos que je perdais revenaient bien vite. À 40 ans, tout devenait un effort: me baisser pour attacher mes chaussures, lever mes jambes pour enfiler un pantalon, marcher. Je faisais entorse sur entorse, puis sont apparues des douleurs dans les jambes et une perte de sensation sur une cuisse. 

C’est en juin 2021 que je me suis sentie prête à demander une prise en charge pour l’obésité. Au premier rendez-vous, on m’a dit que le poids que je souhaitais atteindre était utopique et que la seule solution pour m’en approcher était la chirurgie. J’en suis ressortie totalement détruite car je n’étais pas prête à cela. Une deuxième demande a été faite ailleurs, un mois plus tard, mais plus de deux ans d’attente étaient nécessaires. C’est finalement en mars 2022, à Estavayer, qu’on a entendu ma détresse et que je me suis sentie soutenue dans mon choix de ne pas opter pour la chirurgie. J’ai rapidement commencé l’aquastep (activité sportive en piscine, version aquatique du step, ndlr) et je dois dire que cela m’aide beaucoup, mais je n’ai droit qu’à six mois de cours pour me donner un déclic psychologique sur l’importance de l’activité physique, selon le chirurgien. En septembre, je vais devoir me débrouiller seule et j’ai un sentiment profond d’abandon et d’injustice. 

Aujourd’hui, je pèse 140 kilos. Je me vois grosse, mais j’arrive à me dire que malgré tout, je suis belle, géniale et je m’aime exactement comme je suis. En obésité morbide, avec du lipœdème et à l’AI, j’ai l’impression que ma vie est une bataille, mais je ne baisse pas les bras.»

_________

Pour en savoir plus: Sophie Davaris et Jacques Philippe, J’ai envie de comprendre… Mon alimentation et ses effets, Éditions Planète Santé, 2019.

[1] https://www.rts.ch/info/suisse/12452281-le-covid19-a-pese-sur-le-tour-de-taille-des-suisses-ils-ont-pris-33-kg.html

[2] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight

[3] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight

[4] https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20163182

_____

Paru dans le hors-série «Votre santé», La Côte/Le Nouvelliste, Novembre 2022.

 

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