Même sans alcool, le surpoids peut mener à la cirrhose
De quoi on parle
8,1 litres d’alcool pur. C’est, en moyenne, ce que chaque Suisse a bu en 2014, un chiffre en diminution puisque, en 2010, il était de 8,5 et en 2000 de 9,2.
Cette diminution ne devrait pourtant pas faire baisser les cas de cirrhose. En effet, cette maladie trouve aussi son origine dans le surpoids et l’inactivité physique, en constante augmentation dans nos sociétés.
Souffrir d’une cirrhose du foie sans jamais avoir bu une goutte d’alcool ni eu d’hépatite – les deux causes principales de cette maladie – c’est possible. Et cela sera toujours plus fréquent, préviennent les médecins: l’obésité, qui ne cesse d’augmenter dans les pays industrialisés, s’avère en effet elle aussi toxique pour le foie. Une fois installée, la cirrhose est une maladie grave, qui a tendance à évoluer en cancer du foie.
Mais comment en arrive-t-on là? Au début de ce processus, un foie gras. Pas le mets que l’on déguste pendant les fêtes, mais un phénomène semblable, qui touche le foie humain dont les cellules accumulent les graisses au lieu de les faire recirculer dans l’organisme. Il y a deux causes principales à cette anomalie: une alimentation trop sucrée, grasse et abondante et le manque d’activité physique, explique le Dr François Jornayvaz, responsable de la consultation de diabétologie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). «Si l’on est sédentaire et que l’on consomme trop de sucre, celui-ci n’est plus stocké sous forme de glycogène dans les muscles mais transformé en graisse et conservé dans le foie», précise-t-il. De même, le surpoids ou l’obésité, la résistance à l’insuline (l’hormone qui régule le taux de sucre dans le sang) qui les accompagnent et le diabète de type 2 (qui découle du mode de vie) favorisent l’accumulation de graisse dans les cellules du foie.
Cicatrices délétères
Ce foie gras, appelé stéatose hépatique, est très largement répandu: selon certaines études, deux individus sur cinq seraient concernés et même près d’un sur deux chez les diabétiques de type 2. «Heureusement, à ce stade, la maladie n’a pas d’effet négatif sur la santé», rassure le Dr Pierre Deltenre, hépatologue au CHUV. Mais, poursuit le spécialiste, «chez certaines de ces personnes, différents événements en cascade font que ce foie s’enflamme». Cette inflammation, appelée stéatohépatite non alcoolique, est présente chez 3 à 5% de la population, donc de cinq à dix fois moins que le foie gras sans inflammation. Là, les choses s’aggravent: «Cette stéatohépatite présente les mêmes risques pour le foie qu’une hépatite virale chronique», explique le Dr Emiliano Giostra, hépatologue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). On estime ainsi qu’entre 20 et 50% de ces malades courent le risque de déclarer une cirrhose.
La cirrhose intervient quand le système est déstabilisé de façon définitive et irréversible: «Elle représente un changement dans l’architecture normale du foie causé par l’alcoolisme (lire encadré), une hépatite virale, une maladie auto-immune ou, précisément, la stéatohépatite non alcoolique», détaille le Dr Giostra. Un Européen sur mille en souffrirait. Les cellules du foie sont endommagées et remplacées par du tissu cicatriciel.
Et le rôle de l’alcool?
Entre le début de la dépendance à l’alcool et la cirrhose, le foie se dégrade par étapes. Cet organe a comme tâche de métaboliser l’alcool, c’est-à-dire de le transformer en d’autres composés, dont certains lui sont toxiques. En même temps, la consommation régulière d’alcool produit une accumulation de graisse dans le foie. Lequel, agressé, doit sans cesse se réparer en «cicatrisant». Lorsque l’ingestion d’alcool est importante et répétée, le tissu cicatriciel l’envahit, ce qui conduit à la cirrhose. Des facteurs génétiques influenceraient la rapidité de cette dégradation. Et le foie des femmes est plus sensible à la toxicité de l’alcool.
Le fonctionnement du foie est entravé, celui-ci ne joue plus correctement son rôle de dégradation des substances toxiques et de production des protéines du sang. Le tableau est dramatique: cinq ans après le diagnostic d’une cirrhose, un malade sur quatre est mort. De plus, chaque année après le diagnostic, complète le Dr Deltenre, de 3 à 4% des malades développent une insuffisance hépatique et 3% un cancer du foie (soit environ 700 Suisses chaque année).
En constante croissance
Pour résumer, le foie gras est très répandu dans la population mais ne présente pas de danger en tant que tel. Chez un petit groupe de personnes, il évolue vers une maladie grave: la cirrhose. Seule une fraction des personnes avec un foie gras déclare donc une cirrhose. Les hépatologues se montrent cependant inquiets car le nombre d’individus avec un foie gras ne cesse de croître. «L’excès pondéral et le diabète augmentent constamment dans la population, relève le Dr Deltenre. Il faut donc s’attendre à davantage de lésions graves du foie dues à un excès de graisse dans celui-ci.» «La stéatohépatite non alcoolique est d’ores et déjà la maladie du foie la plus fréquente en Suisse», abonde le Dr Giostra.
Au-delà de l’augmentation des cas, cette épidémie pose deux difficultés aux médecins. De pronostic tout d’abord: parmi les personnes qui ont un foie gras, on ne sait pas pourquoi certaines développeront une inflammation et d’autres non. La maladie évolue sans symptômes précis, il est donc difficile d’identifier les personnes à traiter préventivement. De diagnostic ensuite: «L’examen qui permet de déterminer le plus précisément le degré d’atteinte du foie est la biopsie, explique le Dr Jornayvaz. Il s’agit de prélever un tout petit morceau de foie qui sera ensuite observé au microscope. C’est une procédure assez lourde et présentant des risques. Il est hors de question de la faire subir à toute personne qui semble avoir un foie gras.» Pour savoir chez qui elle est indiquée, les médecins se basent sur d’autres tests, notamment sanguins, et sur leur connaissance des facteurs de risque à l’œuvre –une personne obèse et diabétique de plus de 50 ans a, par exemple, deux chances sur trois de présenter des lésions du foie.
Le fructose sur le banc des accusés
Que la consommation de boissons sucrées favorise le surpoids ne surprendra personne. La surprise vient en revanche du fait que les sodas favorisent un foie gras indépendamment de l’indice de masse corporelle d’un individu et de son apport calorique. C’est ce qu’affirmait une équipe de chercheurs de Boston dans le numéro de juin dernier du Journal of Hepatology après avoir réalisé des examens chez plus de 2500 individus. En moyenne, pour deux personnes ayant un foie gras mais ne buvant pas de soda, le nombre passait à trois chez les consommateurs quotidiens de soda sucré.
Le responsable semble être le fructose, contenu en grande quantité dans le bien nommé sirop de maïs à haute teneur en fructose (high fructose corn syrup ou HFCS) utilisé très largement pour sucrer ces boissons. Différentes recherches laissent supposer qu’il se transforme plus facilement en graisse dans le foie que d’autres sucres.
Bouger plus, manger mieux
Reste la question du traitement. La bonne nouvelle est que la maladie est réversible dans ses deux premiers stades (voir infographie), ceux du foie gras et de la stéatohépatite. On ne dispose pas de médicaments spécifiques contre ces pathologies. «Les seules mesures qui se sont avérées efficaces consistent à perdre du poids – on voit déjà des améliorations après une perte de 5 à 10% –, à manger mieux et moins et à exercer une activité physique qui permet au sucre de se stocker à nouveau dans les muscles», résume le Dr Jornayvaz. En effet, comme le foie se régénère en permanence, si l’on réduit les causes de sa maladie, il revient à un état quasi normal, explique le Dr Giostra, qui précise qu’une chirurgie de l’obésité peut être préconisée. On recommande aussi d’éviter la consommation d’alcool qui peut exacerber l’inflammation. La cirrhose, elle, se soigne par une greffe du foie, un traitement «très efficace mais grevé de risques», détaille le Dr Deltenre. Sans parler de la pénurie d’organes à transplanter.
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Obésité
L’obésité est une maladie qui augmente le risque de survenue d’autres maladies et réduit l’espérance et la qualité de vie. Les patients atteints de cette accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle nécessitent une prise en charge individualisée et à long terme, diététique et comportementale.