L’épidémie d’obésité est en progression en Suisse

Dernière mise à jour 29/07/14 | Article
L’épidémie d’obésité est en progression en Suisse
Selon l’OCDE, la majorité de la population des pays riches est en surpoids.

Les faits

Dans son rapport de juin, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) indique que la majorité des habitants de ses pays membres est en surpoids ou obèse. Ces cinq dernières années, l’épidémie a progressé modestement, voire s’est stabilisée dans plusieurs pays (Etats-Unis, Canada, Angleterre, Italie, Espagne, Corée). Mais elle a connu en revanche une progression marquée au Mexique, en Australie, en France et en Suisse!

L’épidémie mondiale de l’obésité se poursuit, quand bien même ses conséquences sociales, économiques et sur la santé (risque accru de diabète, cancers et maladies cardiovasculaires) sont lourdes. L’OCDE dévoile, dans un récent rapport, que la majorité des habitants des pays riches est en excès pondéral ou obèse. Mais depuis cinq ans, on observe un ralentissement du phénomène, sauf au Mexique, en Australie, en France et en Suisse, pays dans lesquels le taux d’obésité a augmenté de 2 à 3%. «Au niveau populationnel, il s’agit d’une croissance élevée», commente le Dr Idris Guessous, responsable de l’Unité d’épidémiologie populationnelle aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Selon lui, la situation serait même pire que le tableau dressé par l’OCDE: «On peut augmenter ces chiffres de 5 à 10% parce que les données ont été autorapportées. Or on observe qu’avec ce genre de méthodes, les personnes interrogées ont tendance à déclarer être plus grandes et moins lourdes qu’elles le sont en réalité.»

La crise économique en cause

Mais la question centrale reste celle des causes de cette hausse en Suisse. Notre pays suit une tendance naturelle qui voit l’obésité augmenter dans le monde, «mais, chez nous, commente le Dr Guessous, la marge de progression est plus grande parce que la prévalence (pourcentage de la population touchée) de la maladie est basse (moins de 10% selon l’OCDE). Autrement dit, il y a, dans la population, un plus grand potentiel de personnes à risque de devenir obèse. Pour les autres pays, ajoute-t-il, on aurait tort de se réjouir de voir le phénomène se stabiliser, car il s’agit souvent d’un plafonnement, comme aux Etats-Unis, où les taux restent très élevés (>35%).»

Dans son rapport, l’OCDE accuse la crise économique qui sévit depuis 2008 d’être au centre des problèmes d’obésité. Un argument plausible pour la Suisse? «Certes, elle a été plus épargnée que les pays voisins, mais elle en a quand même subi les effets et a connu des flux migratoires en provenance d’Espagne et du Portugal notamment, analyse le Dr Guessous. Or, on sait que la situation économique a plus d’impact sur les populations les plus précaires.» L’obésité est en effet fortement corrélée avec le niveau d’éducation et de revenu. Plus ce niveau est élevé, moins le risque de souffrir d’obésité est important.

S’il reste difficile de définir la responsabilité de la crise, l’histoire a montré à de nombreuses reprises que ces périodes ne favorisent pas les comportements sains et sont synonymes de prise de poids, commente la Dr Nathalie Farpour-Lambert, pédiatre responsable du programme de soins Contrepoids: «Face au stress, à la fatigue et à l’angoisse, l’alimentation – le sucre et la graisse – détient un fort pouvoir apaisant.»

Le chômage aussi a une influence sur le tour de taille. La perte de son activité professionnelle correspond souvent à une baisse de l’activité physique. La diminution des revenus se traduit, elle, par une diminution des dépenses alimentaires. Quant à la consommation de fruits et de légumes, elle est réduite au profit d’aliments à haute densité énergétique (produits frits, charcuterie, pâtisseries, etc.). Le rapport quantité-prix de ces derniers peut sembler avantageux, mais ils sont riches en graisse et en sucres, sont peu rassasiants. «Les populations les plus vulnérables sont la cible des actions de baisse de prix qui concernent rarement des aliments sains», ajoute la spécialiste.

Toutefois, les difficultés économiques ne suffisent pas à expliquer la progression de l’obésité en Suisse. Sont en cause également les changements dans le mode de vie. «La part du budget consacrée à l’alimentation n’a de cesse de baisser, commente Sylvie Borloz, diététicienne diplômée et chargée de projet au Département médico-chirurgical de pédiatrie Hôpital de l’enfance à de Lausanne.

Après la guerre, 30% du budget étaient destinés à la nourriture, alors qu’aujourd’hui, c’est moins de 10%.» Par ailleurs, le temps consacré à la préparation des repas est en chute libre tandis que l’on recourt toujours plus aux aliments industriels tout prêts, souvent plus caloriques. De même, on prend de moins en moins souvent son repas de midi à la maison, en raison d’une mobilité toujours plus grande. Sur le plan marketing, le camouflage des aliments sous un excès de sel ou de sucre, les messages trompeurs sur la qualité nutritionnelle et la complexité des informations données ne facilitent pas les choses.

L'obésité peut cacher un abus sexuel

L’obésité est une maladie complexe, à la composante psychologique forte. Fait bien connu des spécialistes, mais moins du grand public, une personne obèse sur trois a été victime d’abus sexuels durant son enfance. «L’excès de poids est un mécanisme de défense imparable pour éviter les regards sur son corps et pour mettre à distance la sexualité», explique le Dr Vittorio Giusti. «La prise de poids est une stratégie de survie. Très sollicitées émotionnellement, les personnes traumatisées recherchent dans la nourriture un apaisement à court terme», complète Bertrand Crottet, psychologue à la Division d’endocrinologie, de diabétologie et d’obésité pédiatrique du CHUV. De tels traumatismes sont rarement verbalisés d’entrée en consultation, admet le psychologue, mais les professionnels sont conscients de cette possibilité. D’autres événements traumatiques peuvent être à l’origine de l’obésité. Bertrand Crottet évoque les ruptures de contexte sans autre forme d’explications (un départ soudain des parents dans un autre pays par exemple), une mort violente dans la famille ou encore la maladie d’un parent. Dans l’idée de protéger leur progéniture, les parents maintiennent parfois un silence sur ces réalités difficiles. Dans les faits, cette attitude a plutôt tendance à renforcer le sentiment d’insécurité de l’enfant. Autant de blessures affectives involontaires qui peuvent conduire à des troubles alimentaires compulsifs, lorsqu’elles s’associent à d’autres facteurs.

Enrayer l’épidémie

Pour tenter d’enrayer la progression de l’obésité, de nombreuses pistes sont explorées. On sait déjà qu’une prise en charge précoce (avant 6 ans) est primordiale si l’on veut éviter la persistance du problème à l’âge adulte. «La surveillance du poids est importante chez les femmes en âge de procréer, car le risque pour l’enfant d’être en surpoids ou de développer un syndrome métabolique est deux fois plus grand quand la mère est obèse et/ou diabétique», explique le Dr Farpour. La spécialiste plaide pour une interdiction des publicités alimentaires destinées aux enfants, une mesure que les politiciens suisses ne soutiennent pas pour le moment. Des efforts en matière d’urbanisme (plus d’espaces pour les piétons et cyclistes, des centres commerciaux au centre des villes) pourraient stimuler l’activité physique. De son côté, le Dr Vittorio Giusti, médecin-chef du Centre cardiométabolique de l’Hôpital intercantonal de la Broye, insiste sur la nécessité de former davantage de spécialistes et d’élargir les possibilités de prises en charge adaptées et de remboursement des prestations associées à l’obésité.

Obésite

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

 

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