Des chercheurs du CHUV font grossir des volontaires

Dernière mise à jour 31/03/16 | Article
Des chercheurs du CHUV font grossir des volontaires
Que se passe-t-il lorsqu’on suralimente son organisme? C’est ce qu’une équipe vaudoise tente de comprendre en recrutant des «cobayes» pour mal se nourrir durant 32 jours.

 

De quoi on parle

L’annonce a fait grand bruit. Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) est en quête de volontaires – contre rémunération – pour ingurgiter durant un mois chips, barres chocolatées et autres junk food. Derrière ce que certains ont pu prendre pour un gag, se cache un projet de recherche très sérieux, mené en collaboration avec une équipe de recherche lyonnaise, et qui vise à mieux comprendre les mécanismes impliqués dans les stades précoces de l’obésité.

Etre payé pour manger de la «junk food». La proposition en a surpris plus d’un. Le service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a lancé un recrutement pour une nouvelle étude de «suralimentation». Un Super Size Me à la vaudoise? Dans le documentaire américain, le réalisateur, Morgan Spurlock, s’était nourri exclusivement de fast-food durant un mois pour dénoncer les méfaits de la malbouffe. Ici, le protocole se montre moins radical, mais le but n’est pas si éloigné. L’équipe du professeur François Pralong cherche en effet à observer l’impact d’un apport excessif de calories pour mieux comprendre les mécanismes menant au surpoids.

Les principaux effets de la malbouffe sur la santé

50% de calories supplémentaires

L’étude prévoit d’observer sur quatre semaines l’effet d’une augmentation importante des apports caloriques: les volontaires devront manger la moitié de leur ration habituelle, soit 1000 à 1500 kilocalories (kcal), en plus chaque jour. La nourriture sera fournie sous forme de snacks, de barres chocolatées, de chips et autres aliments très riches en calories. «C’est la quatrième étude de ce type que nous menons au CHUV. Nous sommes maintenant bien organisés pour les ravitaillements au supermarché», sourit François Pralong. Certains volontaires recevront également des polyphénols, soit des molécules antioxydantes naturellement présentes dans certains fruits et légumes, qui pourraient limiter les effets néfastes de la suralimentation.

Mis au point en parallèle à Lyon par l’équipe du professeur Martine Laville au Centre de recherche en nutrition humaine, le protocole inclut la réalisation de nombreux tests, de prélèvements sanguins à des biopsies du tissu adipeux et musculaire, en passant par l’analyse de la flore intestinale.

Mais 32 jours sont-ils suffisants pour obtenir des informations sur une pathologie chronique telle que l’obésité? «C’est une des critiques souvent formulée lors des premières études de ce type, mais l’expérience a montré que de nombreux paramètres sont modifiés dès les premiers jours de suralimentation, explique François Pralong. Les changements hormonaux sont ainsi très proches de ceux observés chez les personnes obèses.»

Le sucre en ligne de mire

Luc Tappy, médecin et professeur à l’Université de Lausanne, a quant à lui réalisé plusieurs protocoles de surcharge en fructose, parfois concentrés sur quelques jours seulement, et qui provoquaient déjà des réponses notables de l’organisme. «On observe des modifications sur les triglycérides sanguins, l’expression de certains gènes impliqués dans le métabolisme, et surtout une augmentation de la résistance à l’insuline, un des marqueurs précoces du diabète de type 2», précise le médecin. Si les aliments gras ont très tôt attiré les soupçons, le sucre a lui bénéficié d’une certaine impunité. Mais depuis une vingtaine d’années, ses méfaits sur l’organisme et son rôle dans l’épidémie mondiale d’obésité ne font plus guère de doute.

«Le sucre ne doit pas être diabolisé! L’être humain est capable de dégrader le sucre, il a toutes les enzymes pour le faire, insiste Luc Tappy. Mais nous absorbons aujourd’hui presque 50 fois plus de sucre que nos ancêtres il y a 200-300 ans!» Longtemps, en effet, le sucre est resté un produit très rare, onéreux et donc utilisé avec parcimonie. «La consommation a augmenté autour des années 1850, et depuis, cette croissance est continuelle, explique Luc Tappy. Le sucre représente maintenant 20% des calories absorbées, alors que les recommandations mettent la barre en dessous de 10%.»

Outre son implication dans le surpoids et le diabète, le sucre en excès s’avère aussi néfaste pour le foie où il produit une accumulation de graisses. La NASH, ou stéatose hépatique non alcoolique (Non-Alcoholic Steatohepatitis en anglais), est devenue aux Etats-Unis la première cause d’atteintes hépatiques, devant les cirrhoses alcooliques; sa fréquence en Europe ne cesse aussi d’augmenter.

Jusqu’à 25 cuillerées de sucre dans une boisson

Il aura fallu moins d’une dizaine d’années pour que l’habitude américaine des boissons à emporter s’implante en Europe. Les chaînes de cafés, Starbucks en tête, ont maintenant pignon sur rue, et nombreux sont les adeptes qui attaquent leur journée par un café, souvent agrémenté de beaucoup de sucre et de graisse. Une habitude qui pourrait coûter cher en matière de santé. En février dernier, une association britannique a donné l’alerte en pointant du doigt une boisson qui contiendrait près de 25 cuillerées de sucre!  Si cette spécialité n’est pas vendue en Suisse, celles que l’on trouve plus classiquement affichent tout de même des concentrations en glucides qui devraient amener à limiter leur consommation. Commandées en grand format (50 cl), la plupart atteignent les 40 voire 50 grammes de sucre, pour un apport calorique qui peut dépasser les 500 kcal, soit un quart des apports journaliers recommandés pour une femme.

Des effets réversibles

Que les volontaires de l’étude du CHUV ne s’inquiètent cependant pas. «Leurs paramètres métaboliques vont évoluer, mais en restant dans les limites de la normalité», rassure François Pralong. Pour ce qui est de la perte de poids, là aussi aucune inquiétude à avoir selon le médecin: tous les volontaires des précédentes études ont perdu les 2 à 4 kg pris spontanément à l’arrêt de la suralimentation. «Nous veillons lors du recrutement à ne pas inclure de personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire. Et par la suite, un suivi est prévu si besoin.» Les chercheurs lausannois peinent cependant à recruter des femmes, plus réticentes à prendre du poids semble-t-il. «C’est pour nous bien plus compliqué d’enrôler des femmes, alors qu’il serait important de comprendre le rôle des hormones féminines sur la prise de poids», souligne François Pralong. A Lyon, le recrutement des hommes continue lui aussi. Avis aux volontaires!

Déménager pour perdre du poids?

Le quartier que vous habitez a-t-il un impact sur votre santé? Oui, si on en croit l’étude GeoCoLaus menée par Stéphane Joost (EPFL) et Idris Guessous (HUG, CHUV) sur plus de 6500 Lausannois. Les cartes élaborées par les chercheurs établissent un lien entre lieu d’habitation et corpulence (estimée par l’indice de masse corporelle – IMC). Il y a ainsi plus de personnes en surpoids dans l’Ouest lausannois, surtout dans les quartiers de Sébeillon, Malley et la Bourdonnette. A l’inverse, au centre et à l’est, les corpulences minces sont prépondérantes. Des différences persistent même si on prend en compte le niveau socio-économique des personnes, facteur dont l’impact sur le poids est aujourd’hui bien documenté. Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont étudié la similitude entre l’IMC de chaque participant et celui de personnes vivant dans un rayon de 800 mètres autour de sa résidence. On observe une dépendance des valeurs d’IMC supérieures à la moyenne à l’ouest et au centre-ville, mais également dans les quartiers populaires du nord de la ville. Si les chercheurs n’ont pas d’explication précise, ils évoquent le rôle du type d’urbanisation. L’aménagement de certains quartiers pourrait en effet favoriser la sédentarité et par conséquence le surpoids.

 

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