Avalé en grande quantité, le sucre peut rendre accro
De quoi on parle
Cet été, dans «Questions de confiance», une chronique diffusée sur RTL, Nicolas Sarkozy a déclaré être «addict au sucre». L’ancien chef de l’Etat a-t-il voulu exprimer une attirance particulièrement prononcée pour les aliments sucrés? Ou est-il en proie à une vraie addiction? Difficile de répondre. Quoi qu’il en soit, il n’est certainement pas le seul concerné par ce penchant, si on en croit l’abondante littérature grand public nous exhortant à arrêter le sucre…
En petits carrés, en poudre, ajouté ou caché, le sucre adoucit et donne de la saveur. Sans compter son pouvoir réconfortant face aux contrariétés du quotidien. Mais le sucre n’a pas que des qualités. Il est un facteur clé des épidémies de diabète et d’obésité dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé a d’ailleurs revu ses directives et recommande d’en réduire l’apport à moins de 5% de l’apport énergétique total, ce qui équivaut à environ 25 grammes ou 6 cuillères à café par jour. Malgré l’abondance de messages et autres publications nous invitant à «décrocher» du sucre, sa consommation continue de croître. Le sucre, comme l’a suggéré Nicolas Sarkozy au détour d’une confidence au micro de RTL, rend-il «accro» au même titre que le tabac, l’alcool ou les drogues?
Plusieurs études expérimentales vont dans ce sens. Dans l’une d’elles, les rats ayant le choix entre du sucre et de la cocaïne préfèrent le sucre dans un premier temps et la cocaïne à long terme. Dans une autre, des rats ayant été habitués à consommer d’importantes quantités de sucre pendant plusieurs semaines, présentent, si on leur refuse la substance, des symptômes de manque, en particulier de l’anxiété. De plus en plus d’études démontrent en effet des similarités entre la prise excessive de sucre et les processus addictifs. «Les structures neurobiologiques qui sous-tendent ces phénomènes sont les mêmes», confirme le professeur Daniele Fabio Zullino, chef du service d’addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «Comme pour n’importe quel aliment, l’ingestion de sucre entraîne l’activation de structures de l’hypothalamus, qui régule l’appétit et la satiété. Mais elle active également des structures cérébrales (l’aire tegmentale ventrale) régulant le plaisir lié à la consommation. C’est le système de récompense», explique Benjamin Boutrel, responsable de l’Unité de recherche sur la neurobiologie des troubles addictifs et alimentaires du Centre hospitalier universitaires vaudois (CHUV).
Ce qu’il faut comprendre, c’est que plus l’aliment est riche en énergie et plaisant au goût, plus la sécrétion de dopamine – dans le nucleus accumbens, une autre région cérébrale – augmente. Et cette augmentation de dopamine a plusieurs effets: elle stimule le sentiment de récompense, entraîne une perte de contrôle et pousse à consommer à nouveau cet aliment. Un phénomène qui se retrouve justement dans les comportements addictifs. En plus de cela, «le sentiment de plaisir serait renforcé par l’activation de structures opioidergiques (relatif à l’action des opioïdes) et la sécrétion d’endorphines, qui régulent le plaisir de savourer la substance», complète le chercheur lausannois.
Les enfants et le sucre
Bonbons, sucettes, chocolat, biscuits… Vous l’aurez sans doute remarqué, les enfants sont attirés par tout ce qui est sucré. Benjamin Boutrel, responsable de l’Unité de recherche sur la neurobiologie des troubles addictifs et alimentaires du Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV nous explique pourquoi: «Tout d’abord, le goût des enfants est différent de celui des adultes, les plus jeunes étant plus sensibles au goût sucré. Mais aussi, les enfants, et plus encore les adolescents, sont plus impulsifs que les adultes et résistent plus difficilement à la tentation.» Les industriels l’ont d’ailleurs bien saisi et savent en jouer, à grand renfort marketing. Mais, selon le spécialiste, l’attitude des adultes aurait aussi un effet renforçateur par rapport à ce phénomène: «Les adultes utilisent le sucre afin de contrôler les enfants. Offrez une récompense sucrée à un enfant, et l’effet est décuplé.» Et que dire de l’utilisation –il est vrai assez efficace– du sucre comme «antalgique» chez l’enfant? «S’agit-il d’un effet de détournement de l’attention (et donc de la douleur), d’un surinvestissement émotionnel par rapport au goût ou est-ce vraiment une diminution objective des sensations douloureuses?» s’interroge le spécialiste. La question reste ouverte. Quoi qu’il en soit, les adultes ont tendance à donner du sucre aux enfants pour avoir la paix, amplifiant ainsi le cercle vicieux de leur attirance pour le goût sucré.
Une question pas tranchée
Malgré ces observations, la question du pouvoir addictif du sucre reste controversée dans la littérature scientifique: «Ce pouvoir n’est de loin pas aussi fort que celui d’autres substances comme le tabac, l’alcool ou la cocaïne par exemple. La consommation de cette dernière entraîne une forte addiction chez 20% de ceux qui en consomment, ce qui n’est pas le cas du sucre. Par ailleurs, les effets sur la santé ne sont pas les mêmes», tempère le professeur Christian Lüscher, spécialiste des mécanismes neuronaux de l’addiction à l’Université de Genève. Les symptômes de sevrage et l’encadrement pour sa consommation non plus.
Si l’addiction au sucre n’est pas un diagnostic psychiatrique formellement reconnu, certains patients décrivent néanmoins une attirance irrépressible pour les mets sucrés, rapporte le professeur Jacques Philippe, médecin-chef du service d’endocrinologie, de diabétologie, d’hypertension et de nutrition des HUG. Le spécialiste évoque même une étude ayant démontré qu’une alimentation riche en fructose et glucose peut provoquer, chez des adolescents en surpoids et obèses, une modification de la flore intestinale. Et que le besoin de consommer toujours plus d’aliments très caloriques semble lié à ce changement de flore. Quoi qu’il en soit, les effets du sucre sont très variables selon les personnes. Comme pour d’autres formes d’addiction, à l’alcool ou au tabac notamment, il existe une variation de vulnérabilité d’un individu à l’autre.
Alors, tous accros? Il faut se rappeler que cette préférence pour les glucides – comme pour les lipides d’ailleurs – a des origines ancestrales. «Il y a 60 000 ans, il était préférable pour l’homme de manger des aliments hautement énergétiques, pour assurer sa survie. Ce comportement a été sélectionné par l’évolution», explique le professeur Zullino. Or, aujourd’hui, il y a un décalage entre ce comportement et nos besoins physiologiques. La surabondance du sucre dans les aliments industriels, pour donner du goût aux aliments bas de gamme et pour appâter les clients, entraîne un accroissement du nombre de personnes souffrant de diabète, de surpoids et de leurs effets secondaires. Chez ces personnes-là, une surconsommation de sucre devrait faire l’objet d’une prise en charge. Les personnes en bonne santé et avec un poids sain n’ont pas besoin de s’en priver, à condition d’être capables de modération…
TESTEZ-VOUS
Et vous, où en êtes-vous avec le sucre?
1. Ressentez-vous le besoin d’ingérer des aliments sucrés?
2. Si vous n’avez pas d’aliments ou de boissons sucrés à disposition, développez-vous des symptômes de manque (frustration, irritabilité, obsession, baisse de concentration, symptômes physiques comme des nausées, des palpitations, etc.)?
3. Ingérez-vous des aliments sucrés en quantités importantes (boissons sucrées, desserts, glaces ou sucreries entre les repas, par exemple) et sur de longues périodes?
4. L’envie de manger du sucré occupe-t-elle souvent votre esprit?
5. Votre attirance pour le sucre vous a-t-elle conduit à vouloir vous en passer, sans toutefois y parvenir?
6. Avez-vous essayé, plus que raisonnablement, de vous procurer des aliments sucrés (achat en grande quantité, détour ou recherche de la substance quand les magasins sont fermés)?
Résultat: Si vous avez répondu «oui» à plus d’une question, votre consommation de sucre est probablement problématique. Dans ce cas, il est recommandé de faire le point avec un spécialiste (diététicien, nutritionniste, par exemple).
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Obésité
L’obésité est une maladie qui augmente le risque de survenue d’autres maladies et réduit l’espérance et la qualité de vie. Les patients atteints de cette accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle nécessitent une prise en charge individualisée et à long terme, diététique et comportementale.