Les régimes lents ne valent pas mieux que les diètes rapides
De quoi on parle?
Les faits
Publiée dans le prestigieux journal médical The Lancet, une étude australienne jetait un pavé dans la mare de la nutrition en fin d’année dernière: une perte de poids obtenue sur le long terme n’a pas plus de chances d’être stabilisée que si elle a été obtenue rapidement. Qu’ils aient suivi le régime alimentaire en 12 ou 36 semaines, les patients qui ont participé à cette expérience ont repris la quasi-totalité du poids perdu.
Le bilan
Si la méthodologie de cette étude est critiquée, les résultats ont le mérite de souligner l’intérêt d’une prise en charge globale (alimentaire et psychologique) des personnes en surpoids.
Hyperprotéinés, basés sur l’absorption d’un aliment unique, de jus de fruits, d’herbes ou d’autres substances, les régimes à base de restriction sévère ont en commun de réduire drastiquement l’apport calorique quotidien. Mais le poids perdu ainsi est, dans la plupart des cas, repris dans les mois ou les semaines qui suivent l’arrêt de la diète. C’est le fameux effet yo-yo. Il a été largement documenté par des études scientifiques qui concluent à la nécessité de perdre progressivement le surpoids accumulé, sous peine d’entrer dans le cercle vicieux où se succèdent prises de poids et régimes. C’est cette idée pourtant communément admise que remettait en question le travail de l’équipe de Joseph Proietto, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Melbourne.
Méthodologie contestée
L’étude menée à Melbourne incluait 200 Australiens souffrant d’obésité sévère, suivis pendant près de trois ans. La première phase de l’étude consistait à leur faire perdre 15% de leur poids (une quinzaine de kilos en moyenne) sur 12 ou 36 semaines selon le groupe, puis d’observer l’évolution de leur poids. Après les 144 semaines de suivi, le constat est sans appel: perdus vite ou de manière progressive, les kilos sont de retour et dans les mêmes proportions. Des résultats qui pourraient conforter les candidats aux régimes éclair, qui préfèrent se serrer la ceinture pendant quelques semaines plutôt que de faire des efforts au quotidien des mois durant.
Mais du côté des médecins, ces résultats suscitent surtout interrogations et critiques méthodologiques. «Ce travail a été conduit très sérieusement, là n’est pas le problème, estime Lucie Favre, cheffe de clinique à la Consultation de prévention et traitement de l’obésité du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Mais il y a un biais majeur: ce n’est que la comparaison de deux régimes similaires, certes l’un rapide et l’autre plus lent, mais dans les deux cas à base de substituts de repas en sachet!» Selon la spécialiste, comparer un régime rapide à une perte de poids progressive obtenue dans le cadre d’une prise en charge globale aurait été bien plus intéressant, et n’aurait sans doute pas montré les mêmes résultats.
Même réaction du côté du Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), que dirige le professeur Alain Golay: «Cette publication ne fait que confirmer ce que l’on sait depuis longtemps: traiter l’obésité par la seule restriction calorique est totalement inefficace. D’ailleurs, la plupart des consultations spécialisées offrent aujourd’hui des programmes bien plus complets aux personnes en surpoids.»
A l’heure où l’obésité est considérée comme une maladie multifactorielle, dans laquelle l’équilibre psychique des patients joue un rôle prépondérant, il est étonnant de voir un protocole de recherche clinique ne s’appuyer que sur un régime draconien (de 450 à 800 kcal par jour pour le groupe rapide) et le suivi diététique. «Ce type de diète n’est plus du tout prescrite au CHUV depuis des années, confirme Lucie Favre. C’est dommage pour les 200 patients de cette étude: il était quasi sûr qu’ils allaient reprendre leurs kilos perdus, or il y a un réel coût psychique à vivre un échec de plus dans un parcours souvent long de tentatives de perte de poids.»
La chirurgie a ses limites
Lorsque l’obésité est sévère (avec un indice de masse corporelle, IMC, supérieur à 40), résistante aux prises en charge classiques et, surtout, associée à d’autres maladies (hypertension, diabète, hypercholestérolémie), une perte de poids sur plusieurs mois n’est pas envisageable. «Le traitement chirurgical qui vise à réduire la taille de l’estomac est alors la meilleure option, explique Lucie Favre, cheffe de clinique à la Consultation de prévention et traitement de l’obésité du CHUV. En plus de l’importante perte de poids, cette chirurgie dite "bariatrique" permet souvent d’améliorer le taux de lipides sanguins ainsi que le diabète. Mais, modère la spécialiste, si cette chirurgie est un réel espoir, la durée de ses effets bénéfiques sur le métabolisme reste à préciser.»
Quant à la pérennité de la perte de poids, la praticienne met en garde: «Là encore, si les troubles du comportement alimentaire ne sont pas aussi pris en charge, la reprise de poids sera inéluctable. Or les patients voient parfois l’opération comme une "baguette magique" et l’échec n’en est que plus difficile à surmonter. Il faut donc préparer au mieux les patients et les accompagner dans ce qui est un véritable changement de vie.»
Des prises en charge sur mesure
«Aux HUG, environ la moitié de nos patients ont un poids stable cinq ans après avoir consulté», se félicite Alain Golay, qui explique que dans sa consultation les prises en charge sont «taillées sur mesure». L’équipe rassemble médecins, infirmiers, diététiciens mais aussi psychologues et art-thérapeutes. «L’état psychologique des patients obèses a trop longtemps été laissé de côté, constate le professeur. Je dis souvent qu’il faut perdre les kilos dans la tête avant de pouvoir les perdre physiquement.»
Une majorité des patients obèses présentent des troubles du comportement alimentaire, parfois associés à d’autres problèmes psychiques (dépression, anxiété, troubles bipolaires, phobies…). «Prescrire des régimes très restrictifs à des patients dont l’équilibre psychologique est perturbé, comme dans cette étude australienne, est dangereux et peut aggraver les troubles préexistants», prévient Lucie Favre. Dans son service aussi, les aspects comportementaux sont prioritaires dans la prise en charge des patients obèses. «On peut prendre quelques kilos parce qu’on a une mauvaise hygiène de vie, mais quand on parle d’obésité, donc un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 35, il est rare qu’il n’y ait pas un rapport pathologique avec la nourriture.»
L'intérêt d'une prise en charge familiale
Il n’est pas rare que le surpoids touche plusieurs membres d’une même famille. La génétique explique-t-elle tout? «Bien sûr qu’il peut y avoir un terrain génétique favorable au surpoids dans certaines familles, mais on ne transmet pas que ses gènes à ses enfants, souligne le professeur Alain Golay. Il n’est pas toujours évident d’inculquer de bonnes habitudes alimentaires à ses enfants quand on souffre soi-même d’obésité et/ou de troubles du comportement alimentaire.» Pour aider ces familles, les Hôpitaux universitaires de Genève proposeront une prise en charge familiale. «La nourriture est au centre de la vie des petits: c’est un des premiers échanges avec les parents, elle peut aussi devenir un moyen de montrer son mécontentement ou d’être récompensé, commente le professeur Golay. Quand plusieurs enfants sont en surpoids, il faut travailler ensemble pour améliorer les rapports de chacun avec la nourriture et la remettre à sa bonne place.»
Le maître mot: plaisir
Pour perdre du poids et surtout pour réussir la phase de stabilisation, les patients doivent comprendre les liens entre les émotions ressenties et le comportement alimentaire associé, identifier la place que la nourriture a prise au fil du temps dans leur vie. «Souvent, ces personnes ont commencé à grossir après avoir vécu un événement traumatique. La nourriture les a paradoxalement aidées à ne pas sombrer, souligne le professeur Golay. On ne peut pas juste leur dire de manger moins!»
Les consultations du CHUV et des HUG offrent aux patients en surpoids des parcours de soins pour retrouver des sensations aussi essentielles que la faim et la satiété, corriger des erreurs alimentaires, apprendre à lire les informations nutritionnelles sur les étiquettes, reprendre une activité physique. «Le maître mot pour réussir dans ces parcours souvent au long cours, c’est le plaisir! Et souvent nos patients ont oublié depuis bien longtemps ce que cela veut dire; nous sommes là pour les aider à le retrouver», conclut Lucie Favre.