La maigreur menace autant la santé que l’obésité
De quoi on parle?
Les faits
Mesurant 1,80 m pour 65 kilos, le mannequin Kerstin Cook, élue Miss Suisse en 2010, serait trop grosse. C’est en tout cas l’avis de l’agence française de mannequinat qui l’a engagée et qui lui a demandé de perdre 5 kilos.
Le bilan
Ne souhaitant pas devenir aussi maigre que ses collègues françaises, la jeune Lucernoise envisage de quitter Paris et de tenter sa chance dans les castings de mode, à Milan ou à Londres.
Avec ses 65 kilos pour 1,80 m, Kerstin Cook est mince. Mais, fait rare pour un mannequin, pas suffisamment. En revanche, si elle avait accepté de perdre 5 kilos comme le lui demandait son agence de mannequinat, elle serait tombée à la limite de la maigreur.
L’ex-Miss Suisse a eu raison de refuser de maigrir, car elle a le poids idéal. Celui qui, pour les médecins, ne menace pas la santé. «Cela fait trente ans que l’on sait que lorsque le poids augmente ou diminue, le risque d’être malade s’accroît», souligne Eric Héraief, spécialiste de médecine interne et ancien responsable du Service d’obésité et des troubles du comportement alimentaire au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Avec pour conséquence une chute de l’espérance de vie. Du côté du surpoids, la mortalité est même deux fois et demie plus élevée chez les personnes souffrant d’obésité dite «morbide» (la plus avancée) que chez celles dont le poids est normal.
La balance ne suffit pas
La balance ne suffit cependant pas à dire si l’on est trop maigre ou trop gros. Peser 100 kilos n’a pas le même impact que l’on mesure 1,60 m ou 1,80 m. C’est pour cette raison qu’au XIXe siècle, le scientifique belge Adolphe Quetelet, considéré comme le père de la statistique moderne, a proposé une formule de calcul qui tient compte à la fois du poids et de la taille. Cet indice de masse corporelle (IMC), comme on l’appelle aujourd’hui, est maintenant largement utilisé (lire infographie).
L’IMC ne s’applique qu’aux adultes de 20 à 65 ans. Chez les enfants, les calculs doivent tenir compte de l’âge et, chez les seniors, son interprétation est différente car le poids n’a pas les mêmes conséquences sur la santé que chez les plus jeunes.
Autre limite de l’indice: il n’est évidemment pas valable pour les femmes enceintes ou qui allaitent. Ni même pour les sportifs et les gens très musclés, car il ne fait pas la différence entre la masse grasse et la masse maigre (celle des muscles, des os et des organes). Mais bien qu’il soit «empirique et imprécis pour les tailles extrêmes, l’IMC a l’avantage de pouvoir être facilement calculé par les médecins», constate Luc Tappy, professeur à l’Institut de physiologie de l’Université de Lausanne et médecin au service d’endocrinologie au CHUV.
Dans l’affaire, le poids total ne fait pas tout et il faut tenir compte de la manière dont les kilos superflus sont répartis. En d’autres termes, de la silhouette de chacun. La morphologie peut être, surtout chez les hommes, en forme de «pomme» – la graisse s’accumulant essentiellement autour de l’abdomen. Ou bien, principalement chez les femmes, en forme de «poire» – la graisse étant surtout stockée dans les fesses et les hanches. La mesure du tour de taille vient donc utilement compléter l’IMC pour évaluer l’état de chaque patient.
Apnée du sommeil
Car trop s’écarter du poids idéal peut avoir des conséquences fâcheuses. A commencer par les maladies cardiovasculaires, dues au fait que la graisse superflue accroît l’hypertension et le taux de cholestérol. En outre, explique Luc Tappy, «elle conduit au développement d’une résistance à l’insuline qui favorise la survenue du diabète», lequel est à son tour un facteur de risque pour les troubles du cœur et des artères.
Bien d’autres problèmes guettent. En position couchée, «la masse graisseuse comprime les muscles respiratoires et le diaphragme», selon Eric Héraief, ce qui peut donner lieu à des apnées du sommeil (arrêts prolongés de la respiration pendant la nuit). Le surpoids pèse aussi sur les muscles et le squelette, usant les cartilages et provoquant de l’arthrose. On a même observé, sans comprendre pourquoi, une association entre l’obésité et la survenue de certains cancers, comme celui du côlon chez l’homme et du sein ou des ovaires chez la femme.
La maigreur, elle aussi, diminue l’espérance de vie. Mais son rôle est plus difficile à évaluer, car «elle peut être le signe d’une maladie», précise Eric Héraief. Quoi qu’il en soit, quand elle est trop prononcée, elle aune incidence sur la santé. «C’est la même chose que lorsqu’on fait une grève de la faim prolongée, précise Luc Tappy. Au début, on ne remarque pas grand chose, mais l’organisme puise dans ses réserves de protéines en «détruisant» pour cela ses tissus. Le système immunitaire est très rapidement touché par ce processus, ce qui entraîne des infections souvent sévères.»
Poids idéal social
La maigreur compte aussi parmi les facteurs de risque de l’ostéoporose. Par ailleurs, elle agit sur les hormones, notamment sexuelles, et peut perturber la fertilité des jeunes femmes.
Considérée du point de vue purement médical, la situation paraît donc claire. Mais, souligne Eric Héraief, «il existe aussi un poids idéal social qui correspond à l’image que nous renvoie la société», et qui évolue au cours du temps. «Aujourd’hui, avoir de l’«embonpoint» signifie être trop gros. Au départ, ce terme définissait une bonne santé car il était le contraire de «mal en point», malade. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les gens bien enveloppés étaient ceux qui avaient de quoi manger, se chauffer et qui allaientparfois voir un médecin.» C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui dans certaines régions du monde où l’accumulation de kilos est signe de richesse.
Reste qu’il faut garder le sens critique devant tous ces critères imposés. Avoir quelques kilos de plus ou de moins que la normale n’a rien de grave. Il est aussi important de se sentir bien dans sa peau.