Quand le frigo a faim
Un article CHUV |
Parler de la dénutrition dans les sociétés occidentales, bondées de supermarchés et de restaurants, peut sembler étrange. Pourtant, la prévalence des personnes qui ingèrent un apport protéino-énergétique quotidien insuffisant ou qui sont à risque de dénutrition est estimée entre 20 et 40% des admissions à l’hôpital. Ce phénomène touche particulièrement les personnes âgées qui vivent seules ou souffrent de maladies chroniques, notamment neurodégénératives, respiratoires, inflammatoires, intestinales, HIV ou cancer.
Encore trop peu connue des professionnels de la santé et du grand public, la dénutrition passe souvent inaperçue. Pourtant, ses conséquences pour l’organisme et la qualité de vie sont graves: elle augmente les infections, les complications, la faiblesse générale, le niveau de dépendance, la mortalité, les durées de séjours en milieu hospitalier et donc les coûts de la santé. «Cela reste un problème négligé dans nos sociétés, estime Yves Froté, infirmier clinicien spécialisé, qui a conçu un projet clinique visant à améliorer le dépistage de la dénutrition en milieu hospitalier, notamment par le personnel infirmier. En 2001 déjà, le Conseil de l’Europe émettait des recommandations. Mais ce n’est que cinq ans plus tard que l’Office fédéral de la santé publique les a diffusées en Suisse.» Malgré la prévalence élevée et la gravité de ce problème, il reste donc trop peu pris en compte.
Une recherche menée par Nadia Danon-Hersch, médecin spécialiste FMH en prévention et santé publique, montre l’ampleur du problème. Dans le cadre d’un doctorat en épidémiologie sur la nutrition et la santé chez les plus de 65 ans, sous la direction de la professeure Brigitte Santos-Eggimann, elle a passé au crible 1422 personnes représentatives de la population lausannoise, ne vivant pas en institution. Parmi elles, 19% des hommes, et 10% des femmes mangent des fruits et légumes moins de deux fois par jour, ce qui est largement insuffisant en comparaison des cinq portions quotidiennes recommandées par l’Organisation mondiale de la Santé.
Par ailleurs, 6% des hommes et 8% des femmes ne prennent qu’un seul repas par jour. 42% des hommes et 51% des femmes consomment rarement au moins une catégorie d’aliments, type produits laitiers ou viande. «Nos analyses statistiques ont également révélé des disparités socioéconomiques. Les hommes habitant seuls mangent moins de fruits et légumes que ceux qui vivent avec d’autres personnes. Tandis que les femmes seules mangent moins de viande et de poisson, et sont légèrement plus minces», explique Nadia Danon-Hersch. Dans le même sens, les personnes connaissant des difficultés financières ne mangent pas fréquemment trois repas par jour, et consomment moins de fruits et légumes que les participants ayant un meilleur niveau de vie.
Suivi personnalisé
«Il faut impérativement mettre en place des stratégies d’identification et de prise en charge pendant la durée du séjour à l’hôpital. Mais aussi s’assurer que les professionnels du réseau extra-hospitalier, tels que le médecin traitant ou les infirmières à domicile, prendront le relais pour que le patient bénéficie dans son lieu de vie habituel des efforts débutés à l’hôpital», avance Yves Froté. Pour augmenter les chances de dépister les patients atteints et mieux les accompagner vers un changement de leurs habitudes alimentaires, le CHUV a pris des dispositions. L’unité de nutrition clinique élabore des contrats de collaborations entre l’unité et les différents services afin de définir les responsabilités de chacun. Des cours de sensibilisation sont également proposés au personnel soignant.
Tous les patients peuvent signaler leurs préférences alimentaires, leurs allergies et composer des plateaux repas personnalisés, selon une carte variée de mets qui tient compte des régimes particuliers liés à la maladie. Très impliqué dans le quotidien des personnes hospitalisées, le personnel infirmier a un rôle important à jouer. «Le moment du repas doit être convivial et stimulant. Il faut savoir tenir compte des troubles de l’humeur ou d’un état de démence pour favoriser la prise alimentaire, ainsi que lutter contre la nausée ou les douleurs. Le corps doit être propre, la bouche bien humide et le dentier adapté, explique Yves Froté. Il s’agit également de veiller aux textures et aux régimes, ainsi que de remettre en question des mises à jeun prolongées tout comme réviser des traitements médicamenteux qui favoriseraient l’inappétence. Ce sont des détails qui ont leur importance et qui montrent qu’un geste aussi simple que manger devient, pour ces personnes, une activité complexe nécessitant des compétences pointues.»
Source
CHUV Magazine, été 2012, http://www.chuv.ch/chuv-chuvmag-nutrition.pdf