Lorsque certains fruits et légumes peuvent être dangereux
Avec le retour de l'automne, la cueillette des champignons connaît à nouveau une activité très intense. Mais les services d'urgence hospitalière aussi, hélas, tant il est vrai qu'ils doivent accueillir chaque année à pareille époque une cohorte d'imprudents, venus consulter pour des intoxications plus ou moins graves dues à l'ingestion de champignons non comestibles.
Or, si la toxicité des champignons sauvages est relativement connue, le grand public ignore d'ordinaire – et avec lui même certains médecins! – que d'autres aliments apparemment communs peuvent aussi être dangereux selon les circonstances. C'est le cas notamment de divers fruits et légumes, ou de quelques épices, dont une consommation importante ou la préparation inadéquate peuvent faire courir un risque majeur à certaines personnes.
Qui penserait par exemple que les pommes de terre, les tomates ou les aubergines pourraient être dangereuses? Toutes contiennent en effet une quantité plus ou moins élevée de solanine, un alcaloïde pouvant provoquer transpiration, vomissements ou spasmes de la respiration. C'est surtout dans les fleurs, les germes ou la peau que se concentre la solanine, et dans une moindre mesure dans le tubercule proprement dit. Les conditions de stockage, ou les meurtrissures provoquées durant la récolte, peuvent augmenter la concentration de cet alcaloïde, dont on pourra soupçonner le taux élevé en présence d'une amertume particulière ou si l'on ressent des brûlures.
Des haricots rouges aux amandes amères
Une autre substance montrée du doigt par les spécialistes est une lectine, la phytohémagglutinine, que l'on trouve entre autres dans les haricots rouges, et dont une consommation importante peut entraîner après une à trois heures des maux de ventre, des diarrhées et des vomissements. On incrimine surtout dans ce cas la mauvaise préparation ou une cuisson insuffisante. Pour limiter la concentration des haricots rouges en lectine, il suffit ainsi de les faire tremper durant cinq ou six heures avant de les faire cuire dans de l'eau pendant au moins dix minutes.
Quant au tristement réputé cyanure, il fait aussi partie des «faux amis» de la consommation de fruits et légumes. En effet, diverses substances cyanogènes se retrouvent dans les noyaux de plusieurs fruits comme les abricots, les pêches ou les amandes. La consommation d’une grande quantité de ces amandes amères peut entraîner dans l'heure qui suit des troubles graves, dus à une intoxication au cyanure: agitation, confusion mentale, convulsions, ou encore troubles du rythme cardiaque.
La consommation de manioc cru ou de pousses de bambou peut entraîner les mêmes troubles neurologiques.
Des cristaux à éviter
Les feuilles de rhubarbe, la carambole, l'oseille ou les épinards ont une fâcheuse tendance à contenir des quantités importantes d'acide oxalique, tout comme les betteraves, le thé, les cacahuètes ou le cacao. Or, les cristaux d'oxalate sont susceptibles d'obstruer les tubes rénaux et d'entraîner une néphropathie aiguë (affection rénale). Leur absorption peut également provoquer des dépôts tissulaires dans les parois vasculaires et dans le myocarde. Les patients urémiques et dialysés devraient donc être particulièrement vigilants, car l'ingestion de carambole, en raison du potentiel neurotoxique de l'oxalate, est potentiellement mortelle. Dans le cas – tout de même rare – d'une intoxication à l'oxalate, les spécialistes recommandent de beaucoup boire afin de favoriser rapidement l'élimination des cristaux au niveau du rein.
A l'occasion de ce petit tour d'horizon des délices – perfides – de la table, il ne faudrait pas oublier non plus le bon vieux bâton de réglisse de notre jeunesse. Car cette réglisse, disponible de nos jours sous forme de pâtes à friandise ou de sirop comme agents sucrants, a pour principal principe actif de la glycyrrhizine, susceptible d'induire à la fois une hypertension et une carence en potassium (hypokaliémie) lorsque consommée en excès. Plusieurs cas d'intoxication ont été décrits dans la littérature médicale, à l'occasion par exemple d'une hypertension inexpliquée, de la présence d'œdèmes périphériques, ou face à une hypokaliémie ayant entraîné une paralysie temporaire.
Du piment à la muscade
Ah, le piment! La réputation du piment est universelle, que ce soit en raison des qualités que lui prêtent de nombreux consommateurs (revigorant, aphrodisiaque, antibactérien, voire antiparasitaire) ou à cause des effets néfastes dont on l'accuse (cancérigène, diarrhéique, stimulateur des hémorroïdes). Ce qui fait la force du piment et de tous ses extraits, c'est un alcaloïde que l'on retrouve dans toutes ses espèces, la capsaïcine. C'est elle qui est responsable de la brûlure intense que l'on ressent lorsqu'on en consomme, et qui est due à son action sur les terminaisons nerveuses. Ici c'est à nouveau une consommation en grande quantité qui peut être dangereuse: elle peut provoquer des crises d'hypertension alors qu'on a montré chez l'animal qu'il risquait d'en résulter de graves troubles moteurs, pouvant même mener au décès.
Quant à la muscade, qui entre dans la composition de nombreux mélanges épicés, ses propriétés psychoactives et hallucinogènes sont connues de longue date. Elle les doit à son composant majeur, la myristicine, responsable d'effets tant neurologiques (vertiges, paresthésies, hallucinations) que cardiovasculaires (vasodilatation, tachycardie). Les cas graves, parfois mortels, ont découlé d'une consommation d'à peine 15 grammes de poudre de noix de muscade.
En conclusion, à l'heure où l'on recommande de consommer suffisamment de fruits et de légumes dans le cadre d'une alimentation équilibrée, il s'agit tout de même de bien ouvrir l'œil, et de comprendre que tout ce qui se trouve dans la nature n'est pas forcément innocent. Et de se souvenir du message du grand médecin suisse Paracelse: «Tout est poison, et rien n’est poison; seule la dose est déterminante».
Référence
Adapté de «Fruits et légumes: peuvent-ils être dangereux?», Drs Mathieu Pasquier et Fabrice Dami, Pr Bertrand Yersin, Service des urgences CHUV, in Revue Médicale Suisse 2013; 9: 1483-7, en collaboration avec les auteurs.