Mangez sainement, c’est bon pour votre santé mentale
On ne le répétera jamais assez: une alimentation saine et équilibrée représente, avec une activité physique régulière, un pilier de la santé physique. Mais l’idée selon laquelle une bonne santé mentale passerait également par l’assiette est moins répandue. Pourtant, ces dernières années, les preuves scientifiques quant aux liens entre alimentation et santé psychique s’accumulent. De plus en plus de recherches s’intéressent en effet à l’impact du régime alimentaire sur des troubles comme la dépression, l’anxiété, la schizophrénie ou encore les démences (maladie d’Alzheimer, par exemple). Cette thématique a même donné lieu à une nouvelle discipline: la psychiatrie nutritionnelle. Peu connue ici, celle-ci regarde comment la nutrition peut contribuer non seulement à prévenir mais aussi à soigner ces maladies psychiques. Selon elle, l’alimentation pourrait ainsi venir compléter l’arsenal thérapeutique standard, qui inclut entre autres la psychothérapie et les médicaments.
Les végétaux au menu…
Alimentation et émotions
Les liens entre psychologie et nutrition sont explorés dans le cadre de maladies comme l’obésité ou les troubles du comportement alimentaire (boulimie, anorexie, etc.). «Ces deux aspects sont très intriqués. La souffrance psychique, qui peut se traduire par un sentiment de vide, des difficultés à s’affirmer, une basse estime de soi, peut amener à une perte de contrôle sur le plan alimentaire. Quand cela dérape, la nourriture perd sa fonction première et vient en quelque sorte pallier un fonctionnement déficitaire», explique Lydia Lanza, psychologue à l’Unité d’éducation thérapeutique du patient des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Pour soigner ces troubles, on préconise une approche pluridisciplinaire incluant psychothérapie, conseils nutritionnels et activité physique, notamment.
Globalement, la recherche montre qu’une alimentation riche en végétaux et exempte de produits industriels ultra-transformés est associée à une meilleure santé mentale. Selon une méta-analyse récente, ce mode d’alimentation réduit par exemple d’environ 30% le risque de dépression. «Le régime méditerranéen est favorable à la santé mentale et au cerveau car il est riche en antioxydants et anti-inflammatoires qui protègent du stress oxydatif, responsable de la production de radicaux libres qui abîment les cellules», explique la Dre Aline Corcelle, médecin spécialiste en micronutrition à Genève. Pour rappel, le régime méditerranéen réserve une large part aux fruits et légumes, sources majeures d’antioxydants. Il se compose également de céréales complètes riches en fibres, de légumineuses, d’oléagineux et de poissons gras, contenant les précieux oméga 3. Ce régime est d’ailleurs recommandé par la Société internationale pour la recherche en psychiatrie nutritionnelle, au même titre que les diètes scandinave et japonaise.
… et sans produits transformés
Mais pour tirer bénéfice d’une alimentation de qualité, il faut en parallèle éviter l’alimentation industrielle, trop sucrée, trop salée, pleine de mauvaises graisses, pauvre en nutriments essentiels et pourvoyeuse d’inflammation. En effet, on sait que ce qu’on mange module la composition de la flore intestinale. Ainsi, la «malbouffe» pourrait jouer un rôle dans le développement de troubles psychiques. On parle aujourd’hui de l’axe intestin-cerveau, explique la Dre Corcelle: «On trouve dans le microbiote intestinal des bactéries qui synthétisent les mêmes neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine, GABA…) que dans le cerveau. Si on le nourrit mal, on risque d’être plus vulnérable au stress, par exemple.» L’alimentation ultra-transformée est pointée du doigt aussi à cause des colorants, conservateurs, édulcorants, etc., ajoutés. Elle est associée à une augmentation du risque de dépression.
Indépendamment de la junk food, des études ont d’ailleurs montré que le microbiote des personnes atteintes de schizophrénie diffère de celui des individus sains. Ces observations suggèrent que des altérations du microbiote pourraient augmenter la vulnérabilité psychique, le microbiote se nourrissant de ce que nous mangeons. L’idée est alors de favoriser le développement d’un bon équilibre de la flore intestinale. Car un déséquilibre peut entraîner une diminution des capacités d’absorption intestinale et contribuer aux déficits, notamment en fer. Pour que le cerveau et la cognition puissent bien fonctionner, nous avons besoin d’apports suffisants en vitamines du groupe B, en vitamine D, fer, zinc, d’oméga 3, entre autres. Le magnésium, aussi, est essentiel car il participe à la fabrication de dopamine, ce neurotransmetteur utile pour la mémorisation et l’attention, ainsi que de sérotonine, impliquée notamment dans la régulation de l’humeur.
Un facteur de risque modifiable
Ces connaissances récentes ouvrent la perspective d’une approche holistique des patients et patientes atteints dans leur santé mentale. «L’alimentation peut soutenir un traitement médicamenteux, par exemple dans le contexte d’une dépression. Novateur, ce type d’accompagnement est peu répandu aujourd’hui», regrette la Dre Corcelle. Pourtant, un essai clinique randomisé contrôlé a montré que 30% des personnes ayant bénéficié de conseils nutritionnels par des spécialistes, en plus de leur traitement antidépresseur, ont vu leurs symptômes dépressifs disparaître, contre seulement 8% chez les personnes ayant reçu un seul soutien social.
Si manger sain et équilibré améliore la qualité de vie, un accompagnement peut néanmoins être nécessaire pour initier un changement sur le plan alimentaire, poursuit la spécialiste: «Cela demande un engagement. Si on n’est pas bien moralement, il est difficile d’être motivé et concentré pour appliquer de nouvelles consignes d’hygiène de vie.»
Enfin, ces données de la recherche en psychiatrie nutritionnelle sont également intéressantes dans une optique de prévention. L’alimentation est un facteur de risque modifiable, à la portée de tous, non invasif et sans effets secondaires.
En pratique
Quelques conseils pour retirer le plus de bénéfices possibles de son alimentation, donnés par la Dre Aline Corcelle, médecin spécialiste en micronutrition à Genève, et Sandrine Lasserre, diététicienne ASSD au Metabolic Center à Genève et membre de l’Antenne des diététiciens Genevois (ADiGe):
- Des protéines au petit-déjeuner pour favoriser la fabrication de dopamine et sérotonine, utiles pour le fonctionnement cérébral.
- Des sources de protéines végétales (légumineuses, par exemple) le soir pour leur apport en glucides, favorisant la production de sérotonine.
- Au moins 500 grammes de végétaux par jour.
- Éviter les produits transformés à haute teneur en graisses saturées, en sel et en sucre, qui sont hautement addictifs.
- De bonnes graisses avec des oméga 3 (huiles de colza, de noix, oléagineux, des petits poissons gras).
- Des viandes blanches plutôt que de la viande rouge.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 17/12/2023