Arsenic: danger!
L'impact de l’arsenic sur la santé humaine est largement méconnu, alors qu’on estime que plus de 200 millions d’individus, rien qu’en Asie, seraient menacés aujourd’hui par la bonne vieille «poudre de succession»! On commence toutefois à en prendre sérieusement conscience, au point que de nombreuses institutions internationales se penchent sur la question. Tout récemment encore, la plus grande société savante du monde, l’Americain Chemical Society (ACS), organisait un symposium spécial sur cet élément chimique très particulier.
L’arsenic est un poison on ne peut plus sournois, puisqu’il est à la fois inodore, insipide, et presque incolore, et que les symptômes d’une intoxication à l’arsenic ressemblent beaucoup à ceux de maladies banales. En outre, on ne peut guère l’éviter, puisqu’il nous est «offert» par la nature dans de nombreux endroits du monde.
La menace la plus grande se situe dans l’eau potable, plus particulièrement dans celle qui est tirée de sources profondes ou de puits. C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a choisi d’édicter une norme limite –dix microgrammes d’arsenic par litre– pour les eaux potables, concentration qui est malheureusement dépassée dans de nombreux pays, y compris en Suisse.
La Suisse bientôt plus sévère
Il n’est pas rare que certaines de nos eaux potables aient une concentration en arsenic de plus de dix microgrammes par litre, la norme recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elles ont même le droit, pour l’instant, d’en contenir jusqu’à 50 microgrammes par litre. Mais les choses devraient changer, si l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) arrive à mettre en oeuvre la nouvelle norme prévue. Il souhaite en effet fixer la limite légale en conformité avec les recommandations de l’OMS et des divers Comités internationaux s’étant penchés sur la question. Cette nouvelle limite de dix microgrammes par litre affectera de nombreuses communes de montagne dans les Grisons, le Valais ou le Tessin, où les roches riches en arsenic occupent plusieurs centaines de km2. Elles devront soit fermer certains captages d’eau de source, soit les assainir, soit encore réorganiser leurs circuits d’alimentation en eau potable, de façon à diluer l’eau contaminée avec de l’eau plus pure et d’une autre origine.
Même dans la bière
Mais qui dit eau potable dit aussi boissons en tout genre et aliments divers, susceptibles d’être contaminés par le dangereux arsenic. C’est ce qu’a découvert avec stupeur l’année dernière la Fédération américaine des consommateurs, qui a trouvé que 10% des jus de pomme qu’elle avait testés avaient une concentration en arsenic supérieure à la norme de l’OMS.
La bière ne fait pas exception, comme l’a expliqué au symposium un chercheur de l’Université technique de Munich, mais en raison cette fois des filtres utilisés dans sa fabrication, qui sont constitués d’une roche siliceuse légère et très poreuse, la diatomite, particulièrement riche en arsenic. Les conclusions de ce chercheur s’appuient sur l’analyse de plus de 140 échantillons de bières vendues en Allemagne, mais celui-ci a bien précisé que des bières de six autres pays présentaient des concentrations encore plus élevées.
De l’eau aux aliments, il n’y a évidemment qu’un pas. A commencer par les produits de la mer, et notamment les algues, capables d’accumuler l’arsenic de façon puissante. Seul réconfort: l’arsenic que l’on trouve dans les produits marins est le plus souvent de l’arsenic organique, moins dangereux que l’arsenic inorganique.
Le riz et ses dérivés dans le collimateur
S’il est un aliment extrêmement répandu dans le monde, c’est bien le riz, dont la culture se pratique essentiellement sous plusieurs centimètres d’eau. C’est dire que, dans les régions où les sols et l’eau sont riches en arsenic, le riz va forcément s’en charger de façon importante. C’est bien ce qu’a découvert l’année dernière la célèbre FDA, l’agence américaine pour les médicaments et l’alimentation, qui a mis en évidence des concentrations d’arsenic particulièrement élevées dans divers types de riz. Ses analyses vont d’ailleurs se poursuivre cette année sur quelque 1300 échantillons, mais aussi sur plusieurs produits à base de riz.
Car le riz se présente aussi dans le commerce sous la forme d’innombrables produits secondaires, dont l’origine n’est pas toujours clairement annoncée: biscuits de riz, céréales à base de riz soufflé, boissons au riz, pâtes de riz, etc. Sans compter le «sirop de riz brun», qui a fait l’objet au Canada au début de cette année d’une mise en garde publique: utilisé pour sucrer à moindre coût les entremets, il interviendrait également dans la composition de petits pots pour bébés.
Or, la concentration en arsenic de ces produits dérivés du riz est bien supérieure à celle qui est autorisée dans l’eau potable. Il est donc urgent d’édicter des concentrations limites d’arsenic valables aussi pour les aliments, comme l’a suggéré lors de ce congrès Brian Jackson, du Dartmouth College.
Cancérigène confirmé
L’impact de l’arsenic sur la santé devient une préoccupation majeure, et ses effets délétères commencent à être mieux connus. Il est en effet établi aujourd’hui que l’arsenic est impliqué dans de nombreuses maladies, qui vont des douleurs gastriques à la faiblesse musculaire, en passant par diverses affections dermatologiques.
Mais le plus préoccupant est son rôle cancérigène, confirmé tant par l’Agence internationale de recherche sur le cancer de Lyon, rattachée à l’OMS, que par la Société américaine du cancer. Seraient concernés les cancers de la vessie, des reins, de la peau, et dans une moindre mesure ceux du côlon et du foie.
Il apparaît par ailleurs que plus l’exposition à l’arsenic a lieu tôt dans la vie, plus larges sont ses dommages, comme il a été expliqué au congrès. Or, un récent examen d’échantillons sanguins prélevés à la naissance pour le dépistage systématique des maladies génétiques a montré que le taux d’arsenic dans le sang des nouveau-nés était loin d’être négligeable, et surtout qu’on en trouvait dans 80% des échantillons!
Bref: l’arsenic suscite aujourd’hui un immense intérêt, mais aussi des craintes de plus en plus objectives. L’heure d’une prévention plus poussée a décidément sonné.