Carence en fer: tout ne se joue pas dans l’assiette
Assimilation du fer, mode d’emploi
Lorsqu’une supplémentation en fer s’impose, le plus souvent, il s’agit de comprimés à prendre au quotidien. Si le traitement et sa durée sont ajustés au cas par cas, plusieurs paramètres peuvent toutefois se muer en alliés ou, à l’inverse, empêcher son efficacité. Les conseils de Sandrine Lasserre, diététicienne ASDD au Metabolic Center à Genève et membre de l’ADiGe, pour favoriser l’assimilation en fer par l’organisme.
- En cas de supplémentation en fer: prendre si possible le traitement à jeun en l’associant à un aliment riche en vitamine C (une orange par exemple) et à distance d’au moins deux heures des tanins du thé et du calcium présent dans les produits laitiers.
- Se méfier des obstacles à l’absorption du fer: thé ou café (si plus de deux tasses par jour), consommation excessive en fibres (légumes, fruits, céréales complètes, etc.).
Eh non, les épinards ne sont pas la parade miracle à nos possibles carences en fer. D’abord parce qu’avec leur teneur d’à peine 3 mg de fer pour 100 g, ils en sont une source plus que modeste. Ensuite, parce que l’équation est bien plus complexe que cela. Allié indispensable de nos globules rouges pour la distribution de l’oxygène dans notre organisme et élément essentiel à la réalisation d’une multitude de processus cellulaires, le fer est en équilibre subtil dans notre corps. Il y a ainsi, d’un côté, les «entrées», par le biais de l’alimentation. De l’autre, les «sorties», où peuvent se côtoyer pertes physiologiques quotidiennes – par la desquamation de la peau par exemple –, règles abondantes, pratique sportive soutenue ou pathologies intestinales entraînant des microsaignements.
Lorsque l’équilibre est rompu, une carence peut s’installer progressivement et rester longtemps ignorée. La raison est double. Il y a d’abord la nature des symptômes: fatigue, cheveux cassants, irritabilité et même syndrome des jambes sans repos. «Les manifestations d’une carence en fer ne sont pas spécifiques et peuvent être attribuées à bien d’autres causes, ce qui explique que des personnes qui en souffrent ne consultent pas ou tardivement», explique la Dre Sophie Waldvogel, médecin responsable de l’Unité d’hématologie transfusionnelle des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ensuite il y a la prise en charge elle-même, pas toujours évidente: «En raison des nombreux paramètres en jeu, il n’existe à ce jour pas de critères universels pour traiter une carence en fer, poursuit l’experte. Le diagnostic et le traitement se basent donc au cas par cas sur les résultats d’une prise de sang et sur les symptômes ressentis.» À noter que ce n’est pas le fer lui-même qui est dosé, mais la ferritine. Et pour cause: «Toxique à l’état pur pour l‘organisme, le fer est immédiatement "encapsulé" par une petite molécule, la ferritine. C’est en la dosant elle que l’on détermine le taux de fer présent dans le corps», précise la Dre Waldvogel.
Avec ou sans anémie
On parle de carence en fer dès lors que la ferritine passe sous la barre des 50 µg/l, une valeur inférieure à 10 µg/l témoignant de réserves épuisées. Deux cas de figure se distinguent alors: une carence en fer sans anémie (le taux normal d’hémoglobine indique que les globules rouges ne sont pas affectés) ou une carence en fer avec anémie (les taux d’hémoglobine bas témoignent d’un manque de globules rouges). «Dans les deux cas, un traitement médicamenteux s’impose généralement. Il sera similaire mais à prendre sur une durée plus longue en cas d’anémie, le temps que tous les paramètres reviennent à la normale», indique l’experte. Le principe du traitement: la prise quotidienne d’une supplémentation en fer, sur une période de trois mois au moins, avant un nouveau bilan sanguin. «Si le taux de ferritine ne remonte pas suffisamment, un traitement par intraveineuse peut être envisagé», ajoute la Dre Waldvogel.
En parallèle, un état des lieux des causes possibles du déficit en fer peut être précieux. «Il s’agit d’évaluer si les apports par l’alimentation sont suffisants ou si les réserves s’épuisent pour une autre raison», résume l’experte.
Fer héminique et non héminique
Côté alimentation: «Les principales sources de fer se trouvent dans les aliments d’origine animale (lire encadré) qui, outre les teneurs élevées qu’ils présentent, contiennent un fer dit "héminique", bien mieux assimilable par l’organisme que celui "non héminique" présent dans les végétaux», rappelle Sandrine Lasserre, diététicienne ASDD au Metabolic Center à Genève et membre de l’Antenne des diététiciens Genevois (ADiGe). Un défi peut donc se présenter pour les personnes végétariennes ou véganes. «Un régime végétarien varié, équilibré, comprenant des œufs et des céréales complètes riches en fer, peut permettre de couvrir les besoins, à condition toutefois de miser sur des quantités suffisantes. Il faut ainsi par exemple 230 à 250 g de lentilles cuites pour obtenir un apport en fer équivalent à 100 g de viande séchée, précise l’experte. Quant aux personnes véganes, la vigilance s’impose, car outre les quantités d’aliments nécessaires, la consommation importante de fibres peut freiner l’assimilation du fer (lire encadré).»
Et puis il y a les pertes possibles, plus ou moins insidieuses. «Il peut par exemple s’agir de pertes de sang régulières, en cas de règles abondantes, de microsaignements du tube digestif (en cas de tumeurs, par exemple) ou de dons de sang trop fréquents, indique la Dre Waldvogel. Mais il y a aussi les situations obligeant le corps à "bloquer" une partie de ses réserves en fer, en cas d’inflammation par exemple. Le fer n’est alors plus disponible pour remplir ses fonctions et une carence peut apparaître.» D’où l’importance d’un suivi global et au cas par cas: «Une carence en fer est une pathologie en soi, mais peut aussi être l’indicateur d’un autre dysfonctionnement mettant à mal l’organisme», conclut l’experte.
Comment glisser plus de fer dans nos menus?
En termes d’apports en fer, il y a les vrais… et les faux amis pour couvrir les besoins quotidiens, qui sont de 10 mg pour les hommes et de 15 mg pour les femmes. Tour d’horizon de possibles alliés et de leur teneur en fer avec Sandrine Lasserre, diététicienne ASDD au Metabolic Center à Genève et membre de l’ADiGe.
- Sur la plus haute marche du podium, les abats: boudin noir (30 mg de fer pour 100 g), foie grillé (13 mg pour 100 g).
- Viennent ensuite: viande séchée, telle que viande des grisons ou bresaola (8 mg pour 100 g), jaunes d’œufs (5 mg pour deux œufs), bœuf (3 mg pour 100 g), poulet (1 mg pour 100 g).
- Côté végétaux: lentilles et quinoa (respectivement 8 et 7 mg pour 100 g de portions sèches, soit 230 à 250 g cuites), pain complet (4 mg pour 100 g), tofu (3 mg pour 100 g).
- Les coups de pouce «bonus»: levure de bière (18 mg pour 100 g), chocolat noir 70% (15 mg pour 100 g), noix de cajou (7 mg pour 100 g).
- Quant à la spiruline, souvent plébiscitée pour sa richesse en fer (71 mg pour 100 g): les dosages recommandés des compléments alimentaires reviennent généralement à un apport journalier de 2 à 3 mg.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 02/07/2023