Anémie des géophages : la terre peut nourrir ou affaiblir
Un cas particulier
Une jeune femme africaine de 19 ans, habitant en Suisse depuis une dizaine d’années consulte son médecin pour des douleurs de ventre, une constipation et des règles plus importantes que d’habitude. Elle se sent spécialement fatiguée. Les examens de sang montrent une importante anémie. Lors de la consultation, la jeune femme parle de sa consommation excessive de terre, estimée à environ 1 kg par jour depuis plusieurs années. Après un traitement de l’anémie par des injections de fer, ses envies compulsives de manger de la terre disparaissent, de même que sa fatigue et ses douleurs abdominales.
Avantages d’une telle pratique
Certaines cultures partagent la croyance que la terre comporte des valeurs nutritives. L’ingestion de terre est fréquente chez les jeunes enfants et les femmes. La tradition semble continuer lors de la migration d’un pays en voie de développement vers un pays riche. Les bienfaits de la terre seraient ses propriétés antitoxiques, la stimulation du système immunitaire et le renforcement des barrières intestinales. Chez la femme enceinte, elle diminue les remontées acides et les vomissements.
Le revers de la médaille
Lors de l’ingestion de terre, de nombreux effets sont délétères. En effet, cette pratique peut induire des anémies par manque de fer (le fer est séquestré par l’argile dans l’intestin), des intoxications aux métaux lourds et aux pesticides, des infections par des parasites, des constipations graves (avec risque d’occlusion intestinale), une paralysie musculaire (par carence en potassium)…
La relation entre l’anémie et l’ingestion de terre n’est pas encore bien établie mais semble être un cercle vicieux : l’ingestion de terre entraîne une anémie par carence en fer. L’anémie augmente l’envie de consommer la terre. Et ainsi de suite.
Ce que disent les psy
Le terme « PICA » désigne la consommation compulsive de produits non comestibles. La géophagie, ou absorption volontaire de terre, est la forme de PICA la plus répandue. Le manuel de psychiatrie DSM-IV place la PICA dans son chapitre sur les troubles de l’alimentation et des conduites alimentaires (le plus souvent chez l’enfant). Avant de conclure à un diagnostic psychiatrique, il faut prendre en compte la différence culturelle liée à cette pratique.
Que retenir de tout cela?
La géophagie est une pratique répandue en Afrique et en Amérique du Sud qui concerne majoritairement les jeunes enfants et les femmes enceintes. Chez les personnes migrantes, la tradition peut perdurer une fois arrivées en Suisse (ou dans un autre pays industrialisé). En cas de symptômes inhabituels, ces personnes devraient consulter un médecin pour exclure des affections plus graves. Un traitement de fer devrait leur être proposé en cas d’anémie avérée et très probablement, la substitution par la bouche est moins efficace que par la voie veineuse qui permettrait d’interrompre plus rapidement la pratique de la géophagie.
Référence
Adapté de «Anémie ferriprive sur géophagie dans un pays riche?», Drs Seyrane Yersin, Bernard Favrat, Patrick Bodenmann et Michel Cheseaux, Policlinique Médicale Universitaire de Lausanne, in Revue médicale suisse 2012 ; 8 : 604-6, en collaboration avec les auteurs.