Comment protéger nos enfants de la malbouffe?

Dernière mise à jour 20/09/21 | Article
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Céréales de super-héros et sodas multicolores ne se contentent plus de se glisser entre les dessins animés mais ont vogué vers Internet sous des formes qui ont de quoi inquiéter. La première étude suisse de neuromarketing consacrée à l’impact des vidéos YouTube «Kids unboxing» tire la sonnette d’alarme.

Ils s’appellent Swan, Néo ou Ryan et sont au cœur d’un marketing 2.0 à l’efficacité détonante. Baptisées «Kids unboxing», les vidéos de ces jeunes youtubeurs reposent sur la présentation de produits offerts par l’industrie. Des séquences légères, pleines de vie – à l’image de leurs chaînes respectives –, qui transforment de purs instants promotionnels en vidéos joyeuses et innocentes. Le problème? S’il s’agit à n’en pas douter de publicité, en particulier pour des produits alimentaires aux qualités nutritionnelles médiocres, dans la majorité des cas, les enfants ne le perçoivent pas ainsi. Telle est la conclusion de la première étude suisse de neuromarketing consacrée à l’impact de ces vidéos. Réalisée par la Haute école de gestion Arc (HEG Arc) en collaboration avec Promotion santé Valais, l’enquête a porté sur 90 enfants âgés de 4 à 13 ans*.

Pour les besoins de l’étude, deux vidéos promotionnelles de type «Kids unboxing alimentaire» ont été créées. Un jeune garçon et une jeune fille se sont ainsi prêtés au jeu de vanter face caméra les mérites de produits sucrés (bonbons, chocolat, soda) ou, dans un enregistrement distinct, de produits sains sans sucres ajoutés (fruits, galettes de riz, eau). La suite, impliquant les 90 volontaires répartis en trois groupes, s’est déroulée en trois temps. La première étape a eu pour but d’identifier les émotions des enfants face à ces contenus. Pour ce faire, tous ont été équipés de lunettes eye-tracking (mesurant le comportement visuel) et d’un casque EEG (permettant d’évaluer les émotions ressenties à un instant «t» face à une situation ou une image). Un groupe a ainsi été exposé à la vidéo présentant les produits sucrés, un autre à celle mettant en scène les aliments non sucrés. Le troisième groupe n’a visionné aucune des deux. Les enfants ont ensuite été invités, dans le cadre d’entretiens individuels, à apposer des smileys pour symboliser des situations de leur quotidien en lien avec l’alimentation: ambiance des repas en famille, goût ou aversion pour tel ou tel aliment, etc. L’étape ultime a reposé sur le choix de produits alimentaires face à un buffet présentant produits sains ou sucrés, les mêmes que ceux ayant été mis en scène dans l’une ou l’autre des vidéos.

Phénomène global, insidieux et dangereux

Vous avez dit «Nudge marketing»?

Initié dans les années 1970, le «Nudge marketing» repose sur une stratégie subtile où le consommateur/citoyen est orienté dans son choix sans injonction claire. Le terme anglais «nudge» signifie «coup de pouce». «L’un des exemples les plus éloquents de cette discipline provient d’une expérience menée à l’aéroport d’Amsterdam, dans les toilettes des hommes, raconte Julien Intartaglia, doyen de l’Institut de la communication et du marketing expérientiel à la HEG Arc. Pour faire face aux flaques d’urine entourant en permanence les urinoirs, de fins stratèges ont placé un sticker représentant une mouche au fond de chacune des vasques en question.» Résultat : succès absolu, les hommes visent la mouche, sans panneau ni supplique. «Les coûts d’entretien ont été réduits de 80%», précise l’expert.

Et les résultats ont été des plus éloquents. Ils confirment que, pour 82% des enfants, le contenu des vidéos promotionnelles n’est pas perçu comme publicitaire. Et ce n’est pas tout: «Il apparaît clairement que les vidéos de type " Kids unboxing" stimulent l’envie de manger, en particulier des aliments sucrés, dévoile Julien Intartaglia, doyen de l’Institut de la communication et du marketing expérientiel à la HEG Arc et auteur de l’étude. Le taux d’attention pour les produits alimentaires sucrés s’est quant à lui avéré particulièrement élevé chez les plus jeunes (4-6 ans), laissant à penser qu’ils sont particulièrement vulnérables face à de tels contenus.»

Inédite en Suisse, cette étude fait écho aux inquiétudes qui grondent du côté des experts au sujet de ces nouvelles techniques publicitaires: «Nous sommes face à un phénomène global, mondial, insidieux, et vraiment dangereux pour les jeunes, s’alarme la Dre Nathalie Farpour Lambert, médecin associée agrégée, responsable du Programme de soins «Contrepoids» des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En se glissant sur tous les écrans, à tout moment du jour ou de la nuit, et en se déguisant sous les atours de vidéos anodines, le marketing digital prend un tournant vertigineux. Et ce d’autant plus qu’il fait la promotion d’aliments particulièrement gras, sucrés ou salés, alors que surpoids et obésité augmentent chez les enfants, en particulier chez les adolescents. Les dernières statistiques européennes montrent que le surpoids touche jusqu’à 43% des enfants**.» Et de poursuivre: «L’Organisation mondiale de la santé s’est elle-même emparée de la question pour étudier ce phénomène marketing et pouvoir y répondre par des actions concrètes. Malheureusement, ce genre d’investigation, extrêmement complexe, prend du temps. De son côté, l’industrie alimentaire n’attend pas et semble toujours avoir une longueur d’avance pour vendre toujours plus, y compris les aliments les moins sains.» Un constat qu’illustre Julien Intartaglia par des chiffres sans appel: «L’investissement publicitaire sur les écrans ne dépassait pas 0,5 à 3% dans les années 2000. Il atteint 40% aujourd’hui et pourrait frôler les 65% d’ici deux ans seulement.»

Être conscient des ficelles utilisées

Comment lutter? D’abord en étant conscients des ficelles utilisées. «L’efficacité des vidéos de type " Kids unboxing" tient au fait qu’elles brouillent les pistes en gommant l’enjeu commercial pour miser sur le terrain de l’affectif, de l’émotionnel et du divertissement», explique l’expert. Un youtubeur devenu idole, ami à peine virtuel, raffole d’un aliment? L’enfant en a envie, c’est inconscient, puissant, évident. «Les marques l’ont compris et arrosent de produits les jeunes influenceurs, même ceux dont le succès est encore modeste», explique Julien Intartaglia. Et de poursuivre: «Si la magie opère, c’est parce que nous ne sommes pas des êtres rationnels. On estime en effet que 95% de nos décisions relèvent de processus automatiques et inconscients, s’étant souvent inscrits en nous dès le plus jeune âge.»

Mais pas facile de titiller l’inconscient avec un plat de carottes vapeur, même cuisinées avec amour, quand sodas et donuts s’invitent avec malice dans les séquences vidéo de notre enfant ou, pire, de notre adolescent dont on ignore – avouons-le – tout ou presque de ce qu’il regarde. Ce phénomène, ajouté à l’appétence des enfants pour des aliments gras et sucrés addictifs: le cocktail est explosif. La stratégie, tant pour faire contrepoids à ce nouveau marketing qu’à la hausse de l’obésité dans la population? «Elle est multiple, forcément, estime la Dre Farpour Lambert. Mais les principaux leviers sont clairement identifiés: alimentation équilibrée, activité physique et gestion des temps d’écran.» Et le rôle des parents y est crucial. «Mais il n’est pas simple, reconnaît l’experte. Les écrans sont devenus des baby-sitters, la pratique des activités physiques diminue et, côté alimentation, c’est simple: tout pousse à acheter des produits gras, sucrés, salés, n’ayant pas besoin d’être cuisinés et vite mangés.»

L’enjeu alors: seul, en famille ou accompagné d’un professionnel de santé, tenter de faire un état des lieux en ayant conscience de ces leviers et identifier, au cas par cas, ce qui peut être amélioré au quotidien. «Pour contrer un phénomène comme le "Kids unboxing", l’idée n’est pas d’envisager un retour en arrière technologique ou des interdictions radicales, mais bien d’accompagner les enfants et apporter des améliorations, par touches, en misant sur l’efficacité de bénéfices se cumulant les uns aux autres, suggère Julien Intartaglia. Un peu moins d’écran, des moments en famille autour de repas sains… Et surtout utiliser à bon escient cette corde "émotionnelle" qui fait le succès de ces vidéos.» Et de conclure: «Les discours moralisateurs ne fonctionnent pas bien, mais l’émotionnel et les automatismes sont des leviers d’une grande puissance. Les techniques du "Nudge marketing" peuvent d’ailleurs être inspirantes (lire encadré). Une étude a montré que face à un buffet présentant des fruits coupés en morceaux plutôt qu’entiers et des parts de gâteaux plus petites, les participants mangeaient bien plus de fruits et moins de gâteaux, même s’ils pouvaient se resservir autant de fois qu’ils le souhaitaient.» Une idée parmi d’autres à insuffler à la maison…

10 astuces pour mieux manger (en famille)

Comment éviter le «trop gras, trop sucré, trop salé, «trop» tout court» quand la profusion est partout et que l’attrait de nos bambins pour les chips et les biscuits dépasse souvent de loin celui pour les épinards et les brocolis? Les conseils de Sylvie Borloz, diététicienne ASDD et cheffe de projet «Obésité pédiatrique» au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

 

  1. Viser l’assiette «idéale». Sa composition: 40% de légumes, 40% de féculents (pâtes, riz, semoule, etc.), 20% d’aliments protéiques (viande, volaille, poisson, œufs, etc.).
  2. Miser sur la créativité pour les légumes. Bâtonnets de crudités, soupes, gratins, cuisson au wok ou toute douce au four: trouver les formules gagnantes pour séduire les papilles des plus jeunes.
  3. Sortir les fruits du frigo. Il arrive que les bonnes intentions s’arrêtent à la caisse du magasin et que pêches, fraises ou ananas finissent leur vie dans le frigo. Une idée: sans attendre, préparer et couper les fruits tout juste achetés pour les rendre attrayants et «prêts à consommer».
  4. De l’eau à table. Même s’ils portent la mention «100% fruits pressés», les jus de fruits vendus en supermarché sont gorgés de sucre. L’idéal: ne pas dépasser un verre par jour et privilégier les «vrais» jus, ceux pressés à la maison et sans ajout de quoi que ce soit.
  5. Fuir les aliments ultra-transformés. Les produits industriels ont généralement en commun d’être trop gras, trop sucrés, trop salés ou les trois à la fois. Comment les reconnaître? Une composition dépassant les cinq ingrédients – plusieurs d’entre eux ayant généralement des noms pour le moins mystérieux – et des procédés de fabrication impossibles à reproduire chez soi.
  6. Au goûter, ruser. Avant d’envisager biscuits et pâtes à tartiner, pourquoi ne pas commencer par un yaourt nature ou un fruit? De quoi entamer le goûter sur une note saine.
  7. Accepter les refus temporaires. Entre 3 et 5 ans, il est fréquent que les enfants rejettent subitement un fruit ou un légume dont ils raffolaient. Pas de panique, cela est aussi fréquent que normal. La clé? Reproposer régulièrement l’aliment, sans pression. Au bout de quelque temps, l’attrait pourrait revenir.
  8. Éviter les réserves XXL. Plus les placards sont remplis d’aliments – gras, sucrés, salés et prêts à consommer –, plus grande est la tentation de grignoter.
  9. Garder en tête l’essentiel: le naturel. Autant que possible, privilégier la cuisine autour d’aliments sains et bruts. Atout santé garanti.
  10. Donner l’exemple. Un repas pour les parents, un autre (plus fade, moins calorique ou moins équilibré) pour les enfants peut être source d’incompréhension et de frustration. L’idéal: viser un repas sain et alléchant pour tout le monde.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 22/08/2021.

* https://www.promotionsantevalais.ch/fr/mars-2021-julien-intartaglia-alimentation-2100.html

** WHO European Childhood Obesity Surveillance Initiative (COSI) Report on the fourth round of data collection, 2015-2017 (2021).

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