Le cancer est-il évitable?
Savoir et savoir-faire
Le cancer aujourd’hui dans le monde, c’est 7 millions de décès et 11 millions de nouveaux cas par an; c’est aussi 22 millions de personnes qui vivent avec la maladie. On entend souvent le postulat arguant qu’un tiers, voire la moitié des cancers pourrait être évités par une prévention adéquate. Est-ce réaliste ? Oui, répond le Pr Sancho-Garnier (Conférence du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer à Vevey le 22 avril 2010), mais à deux conditions. La première, évidente, est le savoir. Il faut connaître les facteurs de risque et l’histoire naturelle des cancers: comment ils se déclenchent et comment ils évoluent. La seconde condition est beaucoup moins évidente: c’est le savoir-faire. Quels moyens mettre en œuvre pour diminuer les facteurs de risque ?
Une association de causes endogènes et exogènes
Contrairement aux maladies infectieuses dont l’origine est aisément identifiable (un virus, un microbe = une maladie), la plupart des cancers résultent d’une association de causes, dont certaines sont endogènes (les spécificités de chaque organisme individuel) et d’autres exogènes, c’est-à-dire relatives à nos comportements et à notre environnement. Or, déplore l’oratrice, nous ne connaissons pas encore suffisamment la manière dont ces deux types de facteurs interagissent pour déclencher la maladie. Un exemple: le cancer de la peau. Il est avéré que l’exposition exagérée aux rayons du soleil constitue un risque majeur. Mais il est avéré aussi que le risque de développer un cancer varie selon le type de peau: il s’agit donc bien de l’association d’un facteur comportemental et d’une caractéristique individuelle.
En outre, Hélène Sancho-Garnier souligne le nombre élevé des facteurs de risque dans chaque catégorie. Parmi les causes exogènes, on relève les facteurs chimiques (tabac, alcool, contaminants divers), physiques (rayons UV, rayons ionisants, amiante) et biologiques (bactéries et virus). Parmi les causes endogènes, l’âge reste la plus importante, mais pas la seule: les différences de métabolismes, la force ou la faiblesse du système immunitaire, les anomalies ou les mutations génétiques jouent aussi leur rôle. A l’heure actuelle, la médecine n’est pas en mesure d’agir réellement sur les causes endogènes (que faire contre l’âge ?), même si la compréhension toujours plus pointue des mécanismes génétiques laisse espérer des avancées futures dans ce domaine. Elle peut en revanche intervenir en amont du déclenchement de la maladie, par exemple en vaccinant contre le virus de l’hépatite B ou en détruisant des cellules précancéreuses comme les polypes.
La répartition des facteurs exogènes
Restent donc les facteurs exogènes. Que représentent-ils exactement ? Selon les données statistiques françaises présentées par la conférencière
- – transposables sans autre pour la Suisse et pour la majorité des pays européens –, leur répartition est la suivante:
Facteurs de risque |
Hommes |
Femmes |
Tabac seul |
20% |
6% |
Tabac + alcool |
9% |
4,5% |
Infections |
3,4% |
5,7% |
Obésité, surpoids et sédentarité |
4,4% |
8,8% |
Rayons UV |
1,6% |
2,9% |
Autres rayonnements |
2% (H + F) |
|
Traitements hormonaux |
4,4% |
|
Expositions professionnelles |
2,5% |
0,7% |
Hélène Sancho-Garnier affine l’analyse: parmi les facteurs de risque, certains sont comportementaux, d’autres environnementaux (à l’instar des infections, nous les subissons, nous ne les choisissons pas). Le tabagisme en lui-même est comportemental, tandis que le tabagisme passif est environnemental. Globalement, dit la conférencière, on peut affirmer que 75% des facteurs de risque exogènes sont comportementaux.
Enfin, il va sans dire que les facteurs de risque évoluent avec les mœurs. Dans le cas du cancer du sein par exemple, on a pu établir que, outre les causes exogènes classiques (alcool, sédentarité, traitements hormonaux), l’augmentation de l’âge moyen auquel les femmes ont leur premier enfant avait une incidence statistique importante. Ce qui amène la constatation que dans ce domaine, identifié ne veut pas forcément dire évitable: on voit difficilement comment provoquer un changement sociétal «obligeant» les femmes à avoir leur premier enfant entre 18 et 25 ans…
Comment changer les comportements ?
Puisque les facteurs de risque sont en grande majorité comportementaux, comment modifier les comportements ? Le Pr Sancho-Garnier esquisse les fondements d’une stratégie globale:
- L’information. Un bon exemple: les avertissements sur les paquets de cigarettes. Ce qui ne doit pas faire oublier que les moyens publicitaires des cigarettiers sont très supérieurs à ceux des acteurs de la prévention…
- L’éducation, dans et hors de l’école. L’éducation est capable de contrer les effets pervers de certains changements sociaux par ailleurs bienvenus: la démocratisation des loisirs de plein air et des vacances balnéaires a fait grimper en flèche les cancers cutanés.
- La législation. Les lois de plus en plus sévères contre le tabac sont en train de modifier les comportements, même si c’est au prix d’une restriction des libertés individuelles et de retombées économiques négatives.
- L’adaptation des systèmes de santé. Il est difficile de sortir par soi-même d’une addiction, qu’elle soit tabagique, alcoolique ou alimentaire. Il faut donc mettre en place dans les établissements de santé des programmes de diagnostic, de conseil et de traitement des dépendances, gratuits ou au moins financièrement accessibles à tous.
- La mise en œuvre de politiques de santé spécifiques. Par exemple, créer des chaînes du froid dans les pays en développement et éviter ainsi la prolifération des bactéries responsables du cancer de l’estomac; remplacer avantageusement la culture du tabac par des cultures vivrières, de surcroît plus favorables économiquement aux paysans…
Des stratégies globales, mais aussi adaptée
A l’évidence, conclut l’oratrice, ces mesures seront d’autant plus efficaces qu’elles seront concertées. L’objectif est donc bien d’élaborer des stratégies globales de prévention, qui intègrent non seulement les acteurs du système de santé, mais aussi les milieux scolaires, le monde politique, les industriels, etc. Cependant, selon Hélène Sancho-Garnier, l’expérience montre qu’elles doivent émerger à l’échelle territoriale (la commune, le canton, la région, le pays), la seule qui engendre effectivement une réunion de compétences et d’intérêts divergents, la seule également qui permette une judicieuse adaptation aux mœurs locales. La prévention ne peut être efficace que si elle se fait avec les populations et non contre elles.
Conseillère stratégique pendant huit ans à l’Union internationale contre le cancer, elle est auteur ou coauteur de cinq livres sur la prévention du cancer. |
Pour en savoir plus...
Cet article est extrait d'Entre Nous, no 25 paru en juin 2010, publication de la Ligue vaudoise contre le cancer. La vidéo de la conférence, accompagnée d’un enregistrement audio du débat avec le public, est disponible sur le site de la Ligue: www.lvc.ch
Article original: http://assets.krebsliga.ch/downloads/lvc_en_juin_2010_def.pdf
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Cancer du poumon
Chaque année en Suisse, on dénombre environ 4100 nouveaux cas de cancer du poumon (carcinome bronchique), ce qui représente 10 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer du poumon touche plus souvent les hommes (62 %) que les femmes (38 %). C’est le deuxième cancer le plus fréquent chez l’homme, et le troisième chez la femme. C’est aussi le plus meurtrier, avec 3100 décès par an.
Cancer du sein (carcinome mammaire)
Chaque année en Suisse, environ 5500 femmes et environ 40 hommes développent un cancer du sein. Le cancer du sein est ainsi le cancer le plus fréquent dans la population féminine: il représente presque un tiers de tous les diagnostics de cancer chez la femme.