Des cadres de la Silicon Valley dopent leur créativité au LSD
Du LSD à la place du café
Des journaux américains sérieux faisaient état en août dernier d’une nouvelle tendance née en plein cœur de la Silicon Valley, dans la baie de San Francisco. De jeunes entrepreneurs en quête d’inventivité et d’efficacité au travail consomment régulièrement des microdoses d’acide lysergique diéthylamide, communément appelé LSD. En très faible quantité, cette substance aurait pour effets d’élargir le champ de conscience, et donc de booster la créativité. Si la consommation de LSD reste illégale aux États-Unis, la pratique se popularise.
«Lucy in the Sky with Diamonds», chantaient les Beatles. Un titre devenu célèbre notamment parce qu’il reprend les initiales d’une fameuse substance hallucinogène, le LSD. Ce psychotrope très populaire dans les années soixante est connu pour modifier la perception du monde environnant. Un état proche du rêve éveillé, où les couleurs sont exacerbées, les perspectives augmentées et les émotions ressenties plus intensément. Depuis quelques années, le LSD semble susciter un regain d’intérêt au sein d’une jeune génération d’ingénieurs et entrepreneurs en quête d’idées novatrices. La Silicon Valley est l’épicentre de cette nouvelle mode du microdosage, une pratique qui consiste à consommer régulièrement du LSD en très faible quantité.
Élargir son champ de conscience
Il n’induit pas de dépendance
Même à haute dose, le LSD ne provoque pas d’addiction. Sa durée d’action peut s’étendre de six à neuf heures, mais les effets disparaissent ensuite sans provoquer de manque. Au contraire, les consommateurs ressentent généralement une grande fatigue et ne sont pas tentés de recommencer l’expérience tout de suite. Par ailleurs, les spécialistes s’accordent sur le fait que les substances les plus addictives sont généralement celles qui procurent un plaisir intense. C’est le cas par exemple de la cocaïne ou de l’héroïne. Le LSD, en revanche, n’est pas particulièrement euphorisant. Il suffit d’ailleurs d’être dans un état psychologique instable ou de se trouver dans un environnement déplaisant pour vivre un « bad trip ». Ses effets sont donc fortement dépendants de la disposition dans laquelle se trouve le consommateur.
Classé depuis 1970 parmi les produits hallucinogènes aux États-Unis, le LSD y est donc illégal. Cela ne freine pourtant pas certains jeunes professionnels, qui cherchent à «doper» leur carrière grâce au microdosage.
Aucune étude contrôlée n’a aujourd’hui pu démontrer l’efficacité de cette méthode sur la créativité. Pourtant, les consommateurs décrivent des effets positifs sur leur ouverture d’esprit. La consommation de LSD à faible dose leur permettrait de penser au-delà des conventions habituelles, de percevoir des symboliques inédites et de faire des associations originales. Tout comme le café, il aurait également des effets stimulants et favoriserait la concentration. «Il est tout à fait possible que consommé en microdose, le LSD élargisse le champ de conscience, estime le Dr Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint à l’unité des dépendances aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Lorsqu’on consomme ce type de substance, tout devient sujet à questionnement, d’où une impression de créativité exacerbée. De plus, c’est un psychotrope très stable. Il augmente un peu la tension artérielle et la fréquence cardiaque, mais n’est pas toxique pour les organes et ne provoque pas de dépendance.» Autant de caractéristiques qui expliquent le succès grandissant de cette pratique, notamment auprès d’une population à la recherche d’idées innovantes.
Pourtant, de nombreux effets secondaires peuvent accompagner la prise de psychotropes. «Même consommé à faible dose, le LSD peut provoquer des effets indésirables immédiats, comme de la fatigue, un état de confusion, de déstructuration ou encore une distorsion de la temporalité, détaille le Dr Favrod-Coune. D’un côté, on sera peut-être plus inventif, mais de l’autre on risque d’être un peu "déconnecté", donc moins productif.» Des caractéristiques qui se révèlent parfois gênantes en milieu professionnel. De plus, un consommateur de LSD n’est pas à l’abri de développer une psychose persistante, c’est-à-dire des hallucinations qui se maintiennent après que le produit a cessé de faire effet. Un phénomène rare, mais qu’il ne faut pas banaliser.
Des zones cérébrales hyperconnectées
Les modes d’action du LSD sur le cerveau ne sont pas encore tous connus. On sait cependant que la substance agit essentiellement au niveau de la sérotonine, un neurotransmetteur qui intervient notamment dans la régulation de divers paramètres (dont l’appétit, le sommeil, la douleur ou encore la température du corps). Après avoir consommé du LSD, les neurones libèrent davantage de sérotonine, ce qui provoque l’effet stimulant.
«Certains champignons hallucinogènes agissent sur le même système, relève le Pr Daniele Zullino, médecin-chef du service d’addictologie aux HUG. Grâce à l’imagerie médicale, on a pu montrer que sous l’effet de ce type de substance, différentes régions du cerveau s’activent en même temps et de manière plus intense (voir infographie). Un phénomène qui permettrait aux individus de faire des associations inhabituelles. » Il semblerait en effet que sous l’action du LSD, des zones cérébrales qui n’ont pas l’habitude de communiquer sont soudain hyperconnectées. Cela expliquerait en partie les hallucinations visuelles complexes expérimentées par les consommateurs.
Le LSD, découvert en 1938 par le chimiste suisse Albert Hofmann, et ses effets ont été l’objet de nombreuses études, notamment dans les années soixante. Portée par le mouvement de contre-culture aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la substance a été largement consommée avant d’être interdite. Lors d’hallucinations, certains consommateurs ont pris des risques inconsidérés et se sont mis en danger. De nombreux pays ont donc choisi de bannir le psychotrope, ce qui a considérablement freiné les recherches à ce sujet. Pourtant, il semblerait que le LSD ne soit pas dépourvu de vertus thérapeutiques. «Plusieurs études utilisant le LSD, la psilocybine et l’ecstasy essayent de tester leur effet dans le traitement des addictions, souligne le Pr Zullino. À l’heure qu’il est, ce sont encore que des spéculations, mais tout de même de jolies pistes à explorer.»
Si la pratique du microdosage n’est pas dénuée de risque, un changement d’attitude envers les psychotropes semble petit à petit se dessiner. De quoi peut-être offrir de nouvelles perspectives thérapeutiques, sans toutefois risquer de causer la disparition de la pause-café.
Le LSD pourrait combattre la dépression
Aux États-Unis, certains consommateurs de LSD en microdose vantent aussi ses vertus antidépressives. La romancière Ayelet Waldman explique avoir tenté le microdosage pour combattre ses idées suicidaires. Après avoir testé plusieurs traitements en vain, ce sont d’après elle quelques gouttes de LSD qui auraient eu raison de sa morosité.
«Il est possible que certains psychotropes puissent traiter les troubles de l’humeur, confirme le Dr Thierry Favrod-Coune, des HUG. Le LSD peut provoquer une sorte de voyage intérieur dont on ressort enrichi. Cela peut donc potentiellement contribuer à une amélioration de l’état dépressif.» Un individu qui souffre de dépression a une perception négative de la vie. Or certaines études montrent qu’une personne sous LSD a de la peine à voir les visages tristes et détecte un plus grand nombre de visages heureux. Si ces effets n’ont pas encore été scientifiquement prouvés, ils constituent néanmoins un espoir dans le développement de nouvelles thérapies.
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Paru dans Le Matin Dimanche du 27/08/2017.