Phénomène «puffs»: faut-il s’inquiéter?

Dernière mise à jour 17/04/23 | Article
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Les «puffs», ces cigarettes électroniques nouvelle génération, séduisent de plus en plus de jeunes, voire très jeunes. Sont-elles vraiment sans danger?

Elles se déclinent dans toutes les couleurs, du vert pomme au rose fuchsia en passant par le jaune fluo, et se présentent sous la forme de bâtonnets dotés d’un e-liquide contenant de la nicotine et des arômes appétissants, saveur «thé pêche», «cola» ou encore «bubble gum». Avec un look à mi-chemin entre le surligneur et le stick à lèvres, ces cigarettes électroniques jetables prêtent à confusion et ciblent les jeunes de façon agressive.

Débarquée sur le marché suisse en 2020, la «puff» («bouffée») rencontre rapidement un vif succès, notamment chez les jeunes. D’après une vaste étude menée par Unisantéet Promotion santé Valais, afin d’évaluer l’usage et les représentations des cigarettes électroniques jetables en Suisse romande, il apparaît que plus de la moitié des 14-25 ans avouent en avoir déjà consommé au moins une fois et plus d’un jeune sur dix en utilise régulièrement[1].

Le vulnérable cerveau des jeunes

La nicotine est une substance hautement addictive qui active le circuit de récompense du cerveau. Elle produit une sensation ressentie comme positive chez l’usager. Cet effet entraîne ainsi avec le temps un besoin accru de nicotine et des sensations de manque si l’apport est insuffisant: c’est le cercle vicieux de la dépendance qui s’installe.

Un phénomène d’autant plus important chez les personnes jeunes. «Le cerveau des adolescents est en pleine maturation et donc plus vulnérable au développement d’une addiction, explique la Dre Isabelle Jacot Sadowski, responsable de l’Unité tabacologie d’Unisanté à Lausanne. L’usage des produits avec nicotine, quels qu’ils soient, est donc particulièrement préoccupant chez les jeunes.»

Si la cigarette électronique contient moins de composés toxiques que la fumée des cigarettes conventionnelles, reste à savoir si sa consommation peut représenter une porte d’entrée vers le tabagisme. «Dans notre étude, nous n’avons pas mesuré précisément les trajectoires individuelles de consommation, mais un quart des jeunes interrogés considère que ce risque est réel», souligne Jérémy Cros, chargé de projets en promotion de la santé et prévention à Unisanté.

Des taux de nicotine préoccupants

Outre la problématique écologique – une puff a une durée de vie d’environ 600 bouffées, soit deux paquets de cigarettes –, ces dispositifs jetables inquiètent aussi pour leur composition. Certes, les puffs ne contiennent pas de tabac – reconnu toxique en particulier lors de la combustion – et sont donc présentées par les industriels, ou perçues par les utilisateurs, comme des alternatives «moins risquées pour la santé» que la cigarette classique. Toutefois, «les puffs sont des produits récents et leurs effets sur la santé ont peu été étudiés. Mais commeles autres cigarettes électroniques, elles peuvent à juste titre

être considérées comme moins nocives que les cigarettes conventionnelles»,explique la Dre Isabelle Jacot Sadowski, responsable de l’Unité tabacologie d’Unisanté. Propylène glycol, glycérol, nicotine et arômes divers sont présents, mais la composition exacte du mélange reste floue. Plusieurs experts romands demandent ainsi une obligation de transparence concernant ces produits et la publication de la liste des composants sur l’emballage, ainsi qu’une mise en garde sur les risques pour la santé. 

Autre point noir des puffs, la présence de nicotine, dans des concentrations parfois bien supérieures au seuil légal de 20 mg/ml (2%), une quantité équivalente à plusieurs centaines de bouffées de cigarettes conventionnelles, soit plus d’un paquet. Substance à l’origine de la dépendance au tabac (lire encadré), la nicotine justifierait également un avertissement renforcé indiquant sa présence et sa concentration. «Dans les puffs, la nicotine est présente sous forme de sels, ce qui facilite son inhalation en réduisant son caractère irritant, mais ce qui accélère aussi son acheminement vers le cerveau et augmente le risque de dépendance», précise Isabelle Jacot Sadowski. 

Une loi très attendue

Pour protéger la jeunesse face à cet usage préoccupant, de nombreux acteurs de la santé demandent que les réglementations autour des produits du tabac soient renforcées. «Il existe encore des disparités au niveau cantonal en termes de vente aux mineurs et de publicité, explique Markus Meury, porte-parole d’Addiction Suisse. Actuellement, ce type de produit n’est pas soumis à une réglementation nationale harmonisée.» 

Pour cela, il faudra attendre l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur les produits du tabac et les cigarettes électroniques (LPTab), prévue pour 2024. L’initiative «Enfants et jeunes sans publicité pour le tabac», soutenue notamment par laLigue suisse contre le cancer et la Ligue pulmonaire, espère ainsi que des restrictions publicitaires totales envers les moins de 18 ans soient mises rapidement en place. «Encore faut-il ensuite que ces mesures soient correctement appliquées et que la protection de la jeunesse soit vraiment prise au sérieux face aux pressions industrielles, marketing et économiques», ironiseMarkus Meury. 

Car parmi les nombreuses questions soulevées par la commercialisation des puffs, il y a celle des campagnes ciblant les jeunes, voire les très jeunes, notamment sur les réseaux sociaux comme TikTok et Snapchat. Des démarches publicitaires qui pourraient potentiellement s’avérer être une porte d’entrée vers le tabagisme conventionnel dont on connaît les risques pour la santé (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires…). 

Ceci n’arrangerait pas le cas de la Suisse, déjà mauvaise élève au niveau européen, avec 31% de fumeurs parmi les 15-24 ans[2]. «On peut espérer une diminution de la prévalence du tabagisme chez les jeunes à la suite de la révision de la LPTab avec l’initiative "Enfants sans tabac" vers 2026. Des données ont montré que dans 66 pays ayant appliqué une interdiction complète du marketing relatif au tabac, la consommation a diminué de 12% en moyenne[3]», conclut Jérémy Cros.

En tant que parent, que puis-je faire?

Si trois jeunes sur quatre sont conscients des risques que les cigarettes électroniques peuvent entraîner sur leur santé, cela n’empêche pas les parents d’ouvrir la conversation sur ce sujet pour renforcer la prévention. La fondation Addiction Suisse propose un guide d’information rassemblant des outils pour aborder la question avec son enfant. Parmi eux:

 

  • Lui demander, avec bienveillance, s’il connaît les puffs et s’il en utilise.
  • L’informer sur les risques de la consommation de nicotine et autres substances nocives sur la santé.
  • Aborder la question environnementale liée aux puffs ainsi que le ciblage publicitaire très spécifique des jeunes.
  • En cas d’inquiétude, ne pas hésiter à solliciter l’aide d’un professionnel (infirmier scolaire, psychologue, spécialiste en addiction, etc.) ou à consulter par exemple les sites addictionsuisse.ch et stop-tabac.ch.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 09/04/2023

[1] Enquête sur l'usage et les représentations des cigarettes électroniques jetables (puffs) parmi les jeunes romand·es, Unisanté, Université de Lausanne, 2023.

[2] Enquête suisse sur la santé, Office fédéral de la statistique, 2017.

[3] Blecher E. The impact of tobacco advertising bans on consumption in developing countries. J Health Econ. 2008;27(4):930-42. doi: 10.1016/j.jhealeco.2008.02.010.

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