Moins d’overdose par opiacés quand le cannabis médical est légal

Dernière mise à jour 19/11/14 | Article
Moins d’overdose par opiacés quand le cannabis médical est légal
Depuis plusieurs années les Etats-Unis sont confrontés à une constante augmentation du nombre de décès par overdose d’antalgiques opiacés. Une étude récente montre que dans les états américains où l’usage médical du cannabis a été légalisé, le nombre de ces surdoses médicamenteuses a diminué d’un quart.

Les chiffres des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) sont sans équivoque: les morts par overdose sont devenues, aux Etats-Unis, une des causes majeures de décès. Chaque jour, plus de 110 personnes meurent des suites de ce type d’intoxication, qui est dans 80% des cas accidentelle. Plus de la moitié de ces décès sont liés à un abus de médicaments et non de drogues illicites. Dans trois cas sur quatre, la molécule en cause est un antidouleur contenant un dérivé de l’opium (opiacé), et 60% des victimes disposaient d’une prescription médicale pour se procurer ces médicaments.

Prescriptions multipliées par deux

La plupart des antalgiques opiacés impliqués dans des overdoses contiennent de l’oxycodone, de l’hydrocodone ou de la morphine et sont classés en tant qu’antidouleurs de palier III, c’est-à-dire les plus forts actuellement disponibles. Mais les opiacés dits «faibles», tels que le Tramadol©, ne sont pas sans risque non plus. En dix ans, les prescriptions d’antalgiques opiacés ont doublé aux Etats-Unis. Depuis 1999, les chiffres ont augmenté de 400% chez les femmes et de 265% chez les hommes.

En 2012, le Washington Post a publié une enquête dénonçant des conflits d’intérêt chez certains experts de l’autorité de santé américaine (FDA) et mettant en cause l’industrie pharmaceutique, accusée d’avoir minimisé les effets d’accoutumance des antalgiques opiacés, tels que l’OxyContin et la Vicodin, pour favoriser leur prescription.

Face à ce que les autorités de santé n’hésitent plus à appeler une «épidémie», des chercheurs américains ont évalué les possibles effets de la disponibilité d’alternatives à ces traitements antidouleur, en l’occurrence le cannabis thérapeutique. Les résultats, publiés dans la revue médicale JAMA, montrent que dans les états américains où la prescription de cannabis thérapeutique est légale, la mortalité par surconsommation d’opiacés a significativement baissé.

Un lien de causalité encore à démontrer

Pour mener leurs recherches, les scientifiques ont étudié des certificats de décès établis entre 1999 et 2010. Durant cette période, treize états américains ont promulgué des lois autorisant l’usage de cannabis pour des indications thérapeutiques. Depuis, dix autres états ont fait de même. Les analyses statistiques réalisées par les chercheurs, qui ont tenté de prendre en compte le maximum de potentiels facteurs confondants, montrent qu’en moyenne, dans les treize états où les patients peuvent être traités grâce au cannabis, la mortalité par overdose d’opiacés (antalgique et héroïne) est 24,8% inférieure à celle des états qui prohibent le cannabis médical.

Un résultat qui n’étonne pas Barbara Broers, médecin adjointe à l’Unité des dépendances des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG): «Cette recherche est importante car elle met en lumière deux choses, d’une part que la prescription d’antalgiques opiacés n’est pas anodine et d’autre part que la légalisation du cannabis médical n’augmente pas les overdoses, comme certaines personnes le suggèrent parfois.»

Cependant, le médecin souligne que cette étude ne permet pas d’établir un lien de cause à effet entre l’accès au cannabis thérapeutique et la diminution de mortalité. «Ces résultats sont cependant tout à fait cohérents avec ce que nous observons en pratique, ajoute Barbara Broers. Certains patients qui ont testé beaucoup d’antalgiques n’arrivent à se soulager qu’avec du cannabis. Mais actuellement, hormis ceux pour lesquels il est possible d’obtenir une prescription de Sativex® (médicament à base de cannabis), ils doivent se procurer illégalement leur drogue et la fumer, ce qui n’est évidemment pas idéal.»

Une situation propre aux Etats-Unis

«La légalisation du cannabis thérapeutique en Suisse apporterait sans nul doute des bénéfices en termes de prise en charge pour de nombreux patients, relève Barbara Broers. Mais il ne faut pas s’attendre à un effet similaire à celui observé aux Etats-Unis, puisque les surdoses d’opiacés restent rares en Suisse».

Pour expliquer cette différence entre les deux pays et l’important nombre d’overdoses liées aux opiacés aux Etats-Unis le médecin avance une hypothèse: «L’accès à des programmes de substitution pour les personnes dépendantes aux opioïdes est là-bas peu répandu, les listes d’attente sont très longues et il existe encore une certaine stigmatisation des personnes qui y ont recours». En conséquence, une part non-négligeable des personnes qui auraient besoin d’être prises en charge par un traitement substitutif (méthadone, buprénorphine) tente d’obtenir des antalgiques opiacés auprès de leur médecin en invoquant des douleurs chroniques.

Quand les antalgiques mènent à la drogue

Mais un phénomène en miroir est en train de se développer: devenus dépendants aux antalgiques opiacés, certains patients deviendraient à leur tour consommateurs d’héroïne. Selon les derniers chiffres publiés par les CDC, le nombre d’overdoses liées à l’héroïne a doublé aux Etats-Unis en deux ans. L’héroïne est aujourd’hui moins chère que les antalgiques, et il est de plus en plus facile de s’en procurer. «Réduire le nombre d'ordonnances médicales pour des opioïdes qui ne sont pas justifiées est une stratégie cruciale de santé publique pour répondre au problème des overdoses de ces antidouleurs et d'héroïne», a estimé dans un communiqué le directeur des CDC, le Dr Tom Frieden.

Les risques ignorés du paracétamol

Les antalgiques de classe III ne sont pas les seuls responsables d’intoxication médicamenteuse. Les antalgiques en vente libre présentent aussi des risques importants. Aux Etats-Unis, le paracétamol est la molécule la plus fréquemment utilisée dans les tentatives de suicide par surdose médicamenteuse. Le paracétamol est ainsi responsable de plus de 30 000 intoxications, dont la moitié est accidentelle. L’usage de cet antalgique apparaît souvent comme banal aux consommateurs alors que les effets secondaires peuvent être graves. Le paracétamol présente une toxicité hépatique importante, or la dose toxique est proche de la dose maximale journalière autorisée (4 g). Cette limite peut-être rapidement dépassée, notamment si les patients prennent en plus de l’antidouleur une préparation qui contient aussi du paracétamol (contre le rhume, par exemple, comme le Néocitran©). Selon une étude australienne, les surdoses sont aussi fréquentes chez les enfants. Le paracétamol est l’antidouleur donné préférentiellement par les parents, mais certains ignorent que le dosage doit être adapté au poids de l’enfant et non à son âge.
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