Le «binge drinking» provoque des altérations dans le cerveau des adolescents
«Binge drinking»? La langue française peine encore à traduire au mieux ce phénomène: au choix, «biture express», «chaos éthylique», «alcool défonce», «beuverie effrénée», «alcoolisation massive», «hyper-alcoolisation», «intoxication alcoolique aiguë» ou «alcoolisation paroxystique intermittente». Il s’agit, dans tous les cas, d’une consommation importante de boissons alcooliques, sur une courte période de temps, par épisodes ponctuels ou répétés. Un comportement où l'état d’ivresse est recherché rapidement.
Tester ses limites
Dans plusieurs pays anglo-saxons le binge drinking est considéré comme un problème majeur de santé publique. Il en va de même, progressivement, dans les pays du Vieux Continent qui estimaient il y a peu encore ne pas être véritablement concernés.
Souvent associé à des comportements de groupe (fêtes d'étudiants, regroupements de jeunes avec beuveries sur la voie publique, etc.), ce phénomène concerne pour l’essentiel des jeunes qui joueraient à «tester leurs limites», ignorant le plus souvent que cette conduite peut entraîner un coma éthylique mortel (soit entre 2 et 4 g d'alcool par litre de sang). On parle là encore de «comportement ordalique», comportement à haut risque motivé par un besoin de «jouer avec la mort» ou de «revitaliser son existence».
Les psychologues évoquent quant à eux d'une «appétence traumatophilique», puissant désir de valider son existence via des conduites à haut risque. Des sociologues y voient «un entre-soi générationnel, rituel d’intégration au groupe hors du regard des adultes». On peut également y percevoir le symptôme éclairant de situations de détresse adolescente.
Les spécialistes discutent encore du nombre de boissons nécessaires pour atteindre cet «état hyper-alcoolique». Aux Etats-Unis, le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) estime qu’il correspond, pour un adulte, à la consommation (minimale) de cinq verres standards (hommes) ou de quatre verres (femmes), sur une durée de deux heures environ. Boire deux à trois fois ces quantités en une seule occasion est qualifié d’extreme drinking.
«L’industrie alcoolière a développé des produits adaptés aux jeunes: des noms, des goûts exotiques, des packagings sophistiqués, branchés, modernes, collectors… », observent deux spécialistes français des addictions dans un récent et précieux ouvrage1. « Les binges drinkers consomment des premix ou alcopops, des alcools forts, purs ou mélangés […] La binge-drinkorexie ou alcoolorexie est un autre phénomène constaté chez les adolescentes et les étudiantes. Il s’agit de conduites de restriction alimentaire combinées à des épisodes de binge drinking. Ces filles multiplient les épisodes de jeûne pour affiner leur silhouette (car l’alcool, très calorique, n’est pas sans conséquence sur la balance). Etre ivre encore plus vite (et économiser de l’argent pour le dépenser dans l’alcool). Manger moins pour être plus vite défoncée! Il semblerait qu’un tiers de ces jeunes filles aient leur première relation sexuelle sous l’emprise de l’alcool. On s’interrogera sur la question du désir réel…»
Activité cérébrale affectée
Les questions des risques immédiats (conduite automobile en état d’ivresse, violences, viols, rapports sexuels non protégés, etc.) et décalés (instauration d’une dépendance à l’alcool) ne sont pas les seules. Ingérer de grandes quantités d'alcool, quelles conséquences cérébrales? Des études préliminaires avaient déjà fait état de lésions cérébrales. D’autres avaient associé la pratique du «binge drinking» à une série de déficits neurocognitifs, de mauvais résultats scolaires et des comportements à risque.
Une nouvelle étude récemment publiée dans une revue spécialisée2 établit un parallèle entre cette pratique et les conséquences d’imprégnations alcooliques chroniques sur l'attention ou la mémoire de travail. Menée par un groupe de chercheurs portugais et espagnols, cette étude a été conduite auprès d’un groupe de 80 étudiants de première année d'université. Ces derniers ont renseigné par questionnaire ce qu’il en était de leurs habitudes de consommation. Leur activité électrique dans différentes zones du cerveau a été évaluée. Des analyses qui établissent que par rapport aux abstinents ou aux buveurs raisonnables, les adeptes du binge drinking présentent une altération de leur activité cérébrale; et ce même au repos.
Les analyses révèlent notamment des mesures significativement plus élevées de paramètres électrophysiologiques spécifiques (oscillations bêta et thêta) dans le lobe temporal droit et le cortex occipital bilatéral. Les altérations de l’activité du cerveau au repos observées par ces chercheurs (témoins d’une réduction de la capacité de réponse aux stimuli externes et de traitement de l'information) apparaissent comme similaires à celles relevées dans le cerveau d’adultes alcooliques chroniques.
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1. «Tous addicts, et après?» des Drs William Lowenstein et Laurent Karila. Editions Flammarion.
2. «The Brain of Binge Drinkers at Rest: Alterations in Theta and Beta Oscillations in First-Year College Students with a Binge Drinking Pattern», Frontiers in Behavioral Neuroscience, doi: 10.3389/fnbeh.2017.00168.
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