Tabac et alcool favorisent les cancers de la sphère ORL
De quoi on parle?
Bruce Dickinson, le chanteur du groupe de heavy metal britannique Iron Maiden, ne hurlera plus sa rage dans les stades. Du moins, le temps de soigner son cancer de la langue. En février, l’animateur français Pascal Brunner, qui a fait les beaux jours de «Fa si la chanter», décédait, lui, d’un double cancer, de la langue et de la gorge.
Bruce Dickinson, 56 ans, a déjà subi chimiothérapie et radiothérapie. Sa tumeur ayant été détectée à un stade précoce, il a de bonnes chances de guérir et devrait chanter à nouveau en mai.
En l’espace de quelques jours, les pages people annonçaient le cancer de la langue de Bruce Dickinson, chanteur du groupe de heavy metal Iron Maiden, et le décès de l’animateur de télé et de radio français Pascal Brunner des suites d’un double cancer, de la langue et de la gorge. Un hasard de l’actualité, sans doute, mais il n’empêche que les cancers de la sphère ORL sont fréquents: «A Genève, 3% de la population en sera un jour atteint», affirme le professeur Pavel Dulguerov, responsable de l’Unité de Chirurgie cervico-faciale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Les hommes sont les plus touchés par ce type de cancer (80% contre 20% chez les femmes). Des cas qui se déclarent le plus souvent entre 50 et 60 ans, après des années d’exposition à deux puissants éléments carcinogènes: le tabac et l’alcool.
En effet, une exposition répétée provoque, à terme, une cancérisation des tissus. C’est un effet local et purement «mécanique», décrit Sandrine Faivre, professeur au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV): «Le cancer se développe dans les parties qui ont été en contact avec ces carcinogènes. Pour l’alcool, il s’agit principalement de la bouche (la partie mobile de la langue, sa base arrière ou son plancher, situé en dessous) et des parties pharyngées (pharynx, oropharynx et hypopharynx) jusqu’à l’œsophage. Pour le tabac, c’est la cavité buccale, mais surtout les voies respiratoires (le larynx, les cordes vocales, les poumons) qui sont concernées.» Les risques de développer une tumeur sont multipliés par cinq chez les personnes qui cumulent alcool et tabac. Or il s’avère que, très souvent, les «buveurs» chroniques sont également fumeurs.
Le mode de vie en cause
Certains groupes sociaux sont plus exposés à une consommation régulière de tabac et d’alcool, et donc à ce type de cancers. D’un côté, les classes sociales défavorisées; de l’autre, les personnes évoluant dans les métiers de l’art, du milieu festif ou de la représentation, où l’alcoolisme et le tabagisme sont répandus et s’intègrent dans une démarche mondaine ou socialisante. Pour Sandrine Faivre, il faut cependant veiller à ne pas stigmatiser les personnes touchées.
Il semble également que les cancers de la sphère ORL soient plus fréquents en Suisse romande, en France, en Italie et en Espagne que dans les régions du nord de l’Europe, «sans doute pour des raisons culturelles et sociales liées à la consommation d’alcool», note la spécialiste du CHUV. Les symptômes peuvent être relativement discrets, au début du moins, ce qui explique des diagnostics souvent tardifs.
Les malades ne ressentent en général pas de douleur, sauf si les structures osseuses ou nerveuses sont touchées. Dans ce cas, ils ressentent une gêne pour avaler, déglutir ou pour bouger la langue. Visuellement, il faut s’inquiéter si la muqueuse de la bouche recèle des zones irrégulières, blanchâtres, ou qui ont tendance à saigner. De même, une boule dans le cou, la mâchoire qui part de travers ou une cicatrisation difficile après un arrachage de dents doivent pousser à consulter.
Reconstruire la langue avec des morceaux d’avant-bras
Lorsqu’une tumeur cancéreuse se développe sur la langue (en bordure, en dessous, ou à sa base), aucune barrière anatomique ne l’empêche de se propager, car c’est un tissu mou. Son ablation peut dès lors entraîner une perte importante de tissu. Pour limiter les conséquences fonctionnelles d’une telle opération, en d’autres termes, pour que le patient puisse de nouveau manger et parler normalement, la chirurgie reconstructrice est indispensable.
Après avoir enlevé les parties cancéreuses, les chirurgiens chercheront à combler la perte de substance grâce à une autogreffe. Des lambeaux de la peau et du muscle seront prélevés, le plus souvent de l’avant-bras, puis greffés directement avec leurs propres vaisseaux sanguins au niveau de la langue, juste après l’ablation de la tumeur. «Il s’agit d’interventions de six à dix heures, mais les résultats sont bons», commente le Pr Pavel Dulguerov, des Hôpitaux universitaires de Genève.
Attention aux lésions dans la bouche
Comme le rappelle le professeur Pavel Dulguerov, «il n’est pas normal d’avoir des lésions dans la bouche. Une ulcération de la muqueuse, un changement de couleur, un bourgeonnement, une inflammation ne devraient pas persister au-delà d’un mois. Dans le cas contraire, il est vivement conseillé de se faire examiner par un spécialiste ORL ou par un dentiste, qui souvent est en première ligne.» Si le médecin suspecte une tumeur, il lui faut examiner l’ensemble des muqueuses de la région – celles de la cavité buccale, du pharynx, du larynx, de l’œsophage, de la trachée et des bronches – au moyen d’une radiographie et d’une endoscopie. La biopsie de tissus, effectuée sous narcose au moment de l’endoscopie, vise à délimiter l’étendue de la tumeur et à analyser les prélèvements.
Comme pour tous les cancers, le traitement dépend de la localisation et de l’étendue de la tumeur. Toutefois, notamment pour les cancers de la langue, le patient est opéré (lire encadré), car une intervention chirurgicale augmente nettement les chances de guérison. Et dans deux cas sur trois, explique le Pr Dulguerov, il n’y a pas de grosse conséquence fonctionnelle (pour parler et manger) même quand beaucoup de matière a été enlevée. Et si les répercussions s’annoncent trop lourdes, d’autres types de soins sont envisagés (radiothérapie avec ou sans chimiothérapie).
Chances élevées de guérison
Heureusement, les cancers ORL ne métastasent que dans 10 à 20% des cas. Mais l’apparition de nouvelles tumeurs est plus fréquente, comme cela a été le cas pour Pascal Brunner, atteint d’un double carcinome à la langue et à la gorge. Une fois qu’une première tumeur a été décelée dans la sphère ORL, le risque d’en découvrir une ailleurs dans la cavité buccale ou plus loin dans les voies respiratoires est élevé. «Dans 6 à 10% des cas, précise le professeur Dulguerov, les patients sont atteints de deux cancers ORL simultanés, en raison des mêmes facteurs de risque que sont le tabac et l’alcool, auxquels sont exposées toutes les muqueuses des voies aéro-digestives supérieures.»
Malgré tout, les chances de guérison sont élevées: 80% lorsqu’il s’agit de petites lésions, entre 30 et 40% lorsqu’elles sont plus avancées. Modérer sa consommation d’alcool et de tabac et agir sur les causes d’une addiction avec, si besoin, l’aide de spécialistes, restent donc deux moteurs de prévention efficaces contre ces maladies.
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Cancer du poumon
Chaque année en Suisse, on dénombre environ 4100 nouveaux cas de cancer du poumon (carcinome bronchique), ce qui représente 10 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer du poumon touche plus souvent les hommes (62 %) que les femmes (38 %). C’est le deuxième cancer le plus fréquent chez l’homme, et le troisième chez la femme. C’est aussi le plus meurtrier, avec 3100 décès par an.
Cancer de la cavité buccale
Chaque année en Suisse, on dénombre quelque 1100 nouveaux cas de cancer de la cavité buccale ou de la gorge, ce qui représente environ 3 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer de la cavité buccale touche plus souvent les hommes (70 %) que les femmes (30 %). Il peut aussi survenir chez des personnes jeunes : 12 % des patients ont moins de 50 ans au moment du diagnostic, 58 % ont entre 50 et 70 ans.
Cancer de l’œsophage
Chaque année en Suisse, près de 500 personnes développent un cancer de l’œsophage (carcinome œsophagien), ce qui correspond à 1,5% de toutes les maladies cancéreuses.