Alcool et cannabis, pourquoi les ados sont vulnérables

Dernière mise à jour 16/12/15 | Article
Alcool et cannabis, pourquoi les ados sont vulnérables
Boire et consommer des psychotropes fait partie des usages de beaucoup de jeunes. Il ne faut toutefois pas les banaliser, surtout que des moyens de prévention existent pour contrer les dérives.

De quoi on parle

Depuis dix ans, le programme Départ du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) dépiste, évalue et accompagne les adolescents en proie à une consommation problématique d’alcool, de cannabis ou d’autres substances psychotropes. 

L’unité compte désormais quatre secteurs répartis dans tout le canton. Elle est également un pôle de formation et de relais pour tous les professionnels qui s’occupent d’adolescents entre 12 et 20 ans.

Depuis une dizaine d’années, la consommation d’alcool, de cannabis et autres substances problématiques stagne voire diminue chez les adolescents. Néanmoins, ils sont encore un sur deux à avoir au moins une fois consommé un produit illicite et tous ont consommé de l’alcool.

L’adolescence est une période de grande vulnérabilité. La puberté se caractérise par d’importantes transformations biologiques (apparition des caractères sexuels secondaires – poils, seins, etc. –, croissance, changements cérébraux), psychologiques et sociales. Si les adolescents sont tentés par des substances interdites, c’est d’abord par curiosité et par goût des expérimentations en tout genre. Cette recherche de sensations nouvelles naît d’un besoin de se réapproprier un cerveau en proie à de grands remaniements émotionnels, à des sentiments extrêmes et à une grande impulsivité.

Mais pas seulement. «L’adolescence est le temps de la passion et de la séparation. La relation de dépendance aux parents fait place à d’autres dépendances (à un comportement, un objet, une substance) mais rarement à une personne. Car les jeunes se raccrochent à quelque chose qu’ils peuvent, ou croient pouvoir, maîtriser», explique le Dr Philippe Stephan, codirecteur de l’unité Départ au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui œuvre dans le domaine des addictions adolescentes. Consommer de l’alcool, du cannabis ou du tabac (rarement d’autres drogues) s’inscrit donc dans un contexte de rupture psychoaffective d’avec l’enfance. Un contexte de maltraitance, un traumatisme, une dépression ou une grande difficulté à élaborer ses émotions peuvent également favoriser ces conduites.

Une partie des adolescents consomme ces produits de manière récréative dans un contexte festif, plus ou moins fréquemment selon les cas. L’euphorie ressentie leur permet de s’intégrer au groupe et de tester de nouvelles identités. Parfois, la consommation est plus régulière. Fumer des joints, par exemple, est la solution trouvée pour faire baisser la pression qui repose sur eux (réussite scolaire, choix d’un métier, gestion de l’argent, déplacements), pour calmer les angoisses, ralentir le flot des pensées et canaliser les émotions. Cette prise de risque est aussi une forme d’autonomisation, où le jeune a l’impression de choisir ses règles et de fixer ses limites.

Quelles qu’en soient les raisons, la consommation devient problématique quand elle retentit sur les résultats scolaires, provoque des conflits avec la famille, l’école et entraîne des ruptures. Et quand elle se transforme en une véritable dépendance, ce qui ne représente qu’une minorité des cas. «L’addiction se caractérise par une relation intense et exclusive avec un produit. Une conduite plutôt solitaire qui donne au jeune une sensation de maîtrise alors que tout le reste lui échappe. Une fois mise en place, la consommation n’est plus un plaisir mais une nécessité qui tourne sur elle-même», décrit le Dr Stephan. La substance absorbée agit sur le centre du plaisir dans le cerveau par une augmentation de la libération de dopamine. A force, ces molécules court-circuitent les pensées «normales» et induisent des changements en favorisant les circuits à la base du comportement addictif. Un nouveau système neurobiologique se met en place.

Le jeu vidéo à haute dose agit «comme un antidépresseur»

Les parents sont souvent inquiets de voir leur ado passer des heures devant sa console ou des jeux en ligne. Le Dr Philippe Stephan, du CHUV, relativise: «Même si un jeune voue une véritable passion pour les jeux vidéo, ce phénomène ne relève pas d’une addiction. Il n’y a pas de substance addictogène stimulant des zones précises du cerveau –le circuit de la récompense– comme c’est le cas avec de l’héroïne, par exemple.» En revanche, il y a lieu de s’inquiéter quand le jeu vidéo devient le seul moyen pour le jeune de se sentir valorisé et gratifié. «Dans un tel cas, le jeu est utilisé comme un antidépresseur, mais encore une fois il ne s’agit pas d’addiction. On ne connaît pas de décès pour y avoir trop joué», précise le Dr Stephan. Ce type d’activité favorise toutefois une certaine agitation et des défauts de concentration, reconnaît le médecin. Après une séance de jeu, les zones de perception (notamment visuelles) du cerveau sont hyperstimulées. Avant de pouvoir se concentrer sur autre chose, le jeune doit d’abord «dé-saturer» son cerveau. «Ce phénomène de saturation pourrait rendre compte, pour une part, de l’augmentation des troubles d’hyperactivité avec déficit d’attention.» Pour mieux encadrer ces pratiques, le spécialiste conseille aux parents de s’y intéresser pour pouvoir poser des limites claires et acceptables pour le jeune.

A partir de combien de verres ou de combien de joints la consommation est-elle problématique? «Chez l’adolescent, nous allons nous intéresser aux quantités, mais aussi à la fréquence et aux modes de consommation, à la fonction de celle-ci, aux effets qu’il en attend ainsi qu’au contexte global dans lequel elle s’inscrit, répond Kathia Bornand, intervenante socio-éducative à l’unité Départ. Pour l’alcool, la façon de boire, le nombre de verres absorbés à la suite dans une même soirée, par exemple, sont des indicateurs des risques pris et des effets attendus.»

Prise en charge interdisciplinaire

Dans le programme Départ, la prise en charge est globale et interdisciplinaire. Intervenants socio-éducatifs, infirmières, psychologues ou psychiatres évitent de se focaliser sur le produit – perçu par le jeune comme une solution à ses difficulté s– pour s’intéresser surtout à sa personne. Car très souvent la consommation n’est qu’une partie du problème. Il s’agit donc d’évaluer d’abord la situation sur la durée, comprendre ce qui le pousse à adopter des comportements à risque (équilibre psychique, dynamique familiale, cadre social, etc.), et voir quels en sont les retombées sur sa vie. L’accompagnement se fait toujours avec deux professionnels – qui peuvent confronter leurs points de vue et se soutenir – et directement dans la vie du jeune, selon les difficultés rencontrées (travail, école, famille, justice). Ces interventions ont pour but de l’aider à affronter le monde, à valoriser ses ressources et à lui redonner du pouvoir sur sa vie en créant des expériences positives.

Ecouter et entourer son adolescent

  • Un adolescent qui va mal adopte des comportements caractéristiques. Les parents doivent y être attentifs et adapter, si besoin, leurs relations avec lui. 
  • Etre attentif au fléchissement de ses résultats scolaires et à la diminution de ses investissements (loisirs ou relations avec les autres, par exemple). 
  • Prendre au sérieux ses changements d’attitude (irritabilité, agressivité, repli, tristesse). 
  • S’il perd confiance en lui, écouter les sentiments qu’il exprime. 
  • Eviter de rompre le lien en cultivant le dialogue et la bienveillance. 
  • Faire preuve de tolérance, accepter de négocier tout en maintenant des règles strictes (mais justes) et non discutables. 
  • Confronter ses perceptions avec celles des autres adultes qui font partie de sa vie. 
  • Renforcer sa confiance en lui plutôt que de lui faire peur et d’augmenter la surveillance. 
  • Prendre conseil auprès d’un spécialiste (pédiatre,professeur, infirmière scolaire, etc.) ou d’une unité spécialisée comme Départ, au CHUV.

Un repérage précoce est indispensable pour estimer l’ampleur de la situation et prévenir les conséquences d’une consommation problématique. Mais aussi parce qu’on sait qu’une consommation précoce est l’un des facteurs de risque majeurs d’une addiction future. Heureusement, seule une faible proportion des adolescents développe une dépendance à l’âge adulte. «Tous les fumeurs de joints ne deviennent pas toxicomanes! Beaucoup de jeunes arrêtent d’un jour à l’autre», conclut Kathia Bornand.

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

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