Les ravages de l'alcool sur le fœtus révélés par l'imagerie médicale
Les effets néfastes d'une consommation d'alcool par la femme enceinte sont bien connus, même s'ils ne sont hélas pas toujours pris en compte sérieusement par les personnes concernées. Sous le terme générique de «syndrome d'alcoolisation fœtale», on sait en effet regrouper aujourd'hui les divers dégâts organiques ou neurologiques dont souffre le fœtus sous l'effet de l'alcool consommé par sa mère. On définit mieux aussi leurs conséquences sur le développement physique ou mental du nouveau-né, sans parler de leurs effets psychosociaux à long terme.
Sur le plan morphologique et neurologique, on sait par exemple que l'alcool est susceptible non seulement de provoquer des malformations congénitales et de retarder le développement du fœtus (ce qui explique certains avortements spontanés), mais surtout de détruire une partie de son système nerveux, en raison des propriétés toxiques de l'alcool. L'alcool consommé par la femme enceinte passe en effet directement du placenta dans le sang du fœtus, tout comme son produit de dégradation principal, l'acétaldéhyde. Or, l'embryon est incapable de détoxifier ces substances chimiques comme le ferait le foie d'un adulte, il en subit donc plus longtemps les effets délétères, dont les conséquences sont souvent définitives.
Les traits du visage, le cerveau, et la croissance de l'enfant à naître, sont les premières victimes de cette toxicité in utero et de ce syndrome d'alcoolisation fœtale, qui affecte jusqu'à 2 nouveau-nés sur 1000 dans nos sociétés industrielles.
Sous les lumières de l'IRM
Si les ravages de l'alcool sur le fœtus sont clairement mis en évidence, depuis une quarantaine d'années, en termes de dysfonctionnements divers ou de malformations physiques, on commence seulement à montrer de façon précise quelles sont les lésions, parfois irréversibles, que subissent diverses zones du cerveau, responsables de handicaps psychiques majeurs. Cette avancée décisive est due aux développements spectaculaires de l'imagerie médicale, et notamment de l'imagerie par résonance magnétique (IRM).
On vient d'en avoir une nouvelle preuve, sous l'égide de la société nord-américaine de radiologie (RSNA), à l'occasion de son congrès annuel. Il s'agit du plus grand congrès médical au monde, qui rassemble chaque année à Chicago plus de 50'000 spécialistes.
Une équipe polonaise y a présenté les résultats d'une étude particulièrement significative, qui a regroupé d'une part 200 enfants dont la mère avait consommé de l'alcool durant leur stade foetal, et d'autre part 30 enfants dont la mère était restée sobre durant sa grossesse ainsi que pendant la lactation.
A l'aide des dernières techniques d' IRM, les médecins du département de radiologie du centre médical universitaire Jagiellonian à Cracovie ont examiné le cerveau de ces enfants, et particulièrement le corps calleux, qui est la dernière grande structure cérébrale à se développer chez le fœtus, à partir de la 13e semaine de gestation. Cette structure, dont les fibres nerveuses font le lien entre les quatre lobes des deux hémisphères du cerveau, assure le transfert des informations, ainsi que leur coordination, entre le cerveau droit et le cerveau gauche.
Déficiences majeures
Or, les médecins polonais ont mis en évidence des différences manifestes, d'un groupe d'enfants à l'autre, dans la taille et la forme du corps calleux. C'est ainsi que les enfants du premier groupe présentaient un net retard de développement de cette structure cérébrale capitale, qui non seulement s'est révélée plus mince de façon statistiquement significative par rapport au groupe d'enfants non exposés à l'alcool, mais qui était même parfois complètement absente. «Ces différences peuvent être directement associées aux problèmes cognitifs rencontrés par ces enfants» a souligné à Chicago le responsable de cette étude, le Dr Andrzej Urbanik, directeur du département de radiologie de l'Université de Cracovie. Car quand le corps calleux n'assure plus ses fonctions, la perte de la coordination entre les deux hémisphères cérébraux provoque des troubles moteurs, ainsi que des troubles de la mémoire et de l'équilibre.
L'équipe polonaise a voulu pousser plus loin son investigation, à l'aide d'une technique évoluée de l'IRM que les spécialistes nomment l'IRM de diffusion, qui permet d'étudier la diffusion de l'eau dans les régions examinées, et ainsi de mieux mettre en évidence d'éventuelles anomalies tissulaires. Là aussi, pour les six zones particulières du cerveau qu'ils ont soumises à cet examen, les différences sont très nettes: «l'augmentation significative de la diffusion notée chez les enfants de mères ayant consommé de l'alcool indique clairement des dérèglements neurologiques, ou des dommages infligés aux tissus cérébraux», a poursuivi le médecin polonais.
Enfin, les chercheurs de Cracovie ont soumis le cerveau des deux groupes d'enfants à une troisième technique d'imagerie, la spectroscopie par résonance magnétique: elle aussi a révélé toute une série de modifications affectant le métabolisme dans diverses régions du cerveau.
Nul doute que nous ne sommes pas au bout des révélations que nous apporteront sur ce sujet les progrès de l'investigation médicale. Le message restera toutefois inchangé: même si les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas de fixer une limite précise quant à la quantité d'alcool qui peut être nocive durant la grossesse, il vaudrait mieux que la femme enceinte renonce au maximum aux boissons alcooliques.