Travailler trop = déprimer grave. Et vice versa?
Comme l’amour le travail peut parfois être la meilleure et la pire des choses. Puissant facteur d’intégration sociale c’est aussi la source de bien des soucis, parfois la cause de bien des névroses légères ou plus profondes. Voici que ce sujet majeur, sanitaire, économique et sociologique redevient d’actualité - ce avec la publication sur le site de la revue PLoS ONE d’une étude britannique du plus grand intérêt. Il s’agit d’un travail officiel cofinancé notamment par le Medical Research Council, la British Heart Foundation, et la Stroke Association. Cette étude prospective a été menée par des chercheurs de l'Université Queen Mary (Londres), de l’University College of London, de l'Université de Bristol, de l’Université McGill au Canada, et de l'Institut finlandais de santé au travail.
Les chercheurs ont (raisonnablement) travaillé sur les données recueillies durant six années à partir d’un groupe de 2123 fonctionnaires britanniques de la grande cohorte Whitehall II. Ces derniers étaient en moyenne âgés de 47 ans au départ de l’étude. Différentes caractéristiques de leur activité professionnelle ont été croisées avec d’autres concernant la santé, le mode de vie et les antécédents médicaux ainsi que le développement ou non de symptômes dépressifs majeurs. Après prise en compte d'autres facteurs potentiellement liés à la dépression, les chercheurs concluent qu’une durée quotidienne de travail de onze heures (ou plus) est statistiquement associée à un risque multiplié par 2,5 de souffrir d’un épisode dépressif.
Les participants ont été séparés en plusieurs groupe en fonction de leur durée de travail, 7-8 heures/jour, 9 heures/jour, 10 heures/jour et 11 et 12 heures ou plus par jour. Nous savons ainsi que chez les fonctionnaires britanniques 52% travaillent entre 7 et 8 heures par jour, 21% travaillent 9 heures et 16% le font durant 10 heures. Enfin, last but not least, ils sont 11% à travailler entre 11 et 12 heures, voir plus, quotidiennement. Ceux qui travaillent le plus longtemps sont des hommes mariés occupant préférentiellement des postes de cadres. On trouve également des employé; souvent anciens fumeurs dont la consommation d'alcool est plus élevée que la limite recommandée.
Au final, parmi les 2.123 participants, les chercheurs en ont identifiés 66 (3,1%) qui ont souffert d’un épisode dépressif majeur. Après ajustement statistique ils constatent que les employés qui travaillent 11 heures ou plus par jour ont un risque multiplié par 2,52 fois d’épisode dépressif sévère par rapport à ceux qui font une journée considérée comme «normale». On découvre aussi que les femmes sont plus de deux fois plus (2,08) susceptibles de faire l'expérience d’un épisode de dépression, qu’une maladie physique chronique est aussi un facteur de risque majeur (2,30) ainsi que consommation «modérée» de boissons alcooliques comparée à l’abstinence (2,68). Le niveau de responsabilité est aussi associé à une multiplication du risque, par 4 pour les niveaux inférieurs. «Même si faire des heures supplémentaires peut avoir, de temps en temps, des effets bénéfiques sur l'individu et la société, il est important de reconnaître qu'avoir des horaires de travail excessifs est également associé avec l'augmentation du risque d'une dépression majeure» résume le Dr Virtanen de l'Institut finnois de la santé au travail (Helsinki).
Que conclure? Sans aucun doute, comme le font les auteurs, que des horaires de travail allant bien au-delà de la normale sont, a minima, un facteur prédictif de survenue d'un épisode dépressif majeur. Pour autant une autre question doit être soulevée: sont-ce les personnes ayant tendance à être déprimée sont ceux qui tentent de compenser ce risque en s’investissant au-delà de la normale dans leur activité professionnelle. Où l’on retrouve la problématique lancinante de l’addiction. Sont-ce au contraire les durées excessives de travail qui sont, à elles seules, un facteur responsable de dépression? Les auteurs ne tranchent pas vraiment qui renvoient à la nécessité de mener d’autres travaux qui, eux, seront susceptibles de démontrer que le fait de moins travailler réduit bel et bien le risque de déprimer.
Dans l’attente on peut relire les conclusions parues il y a près d’un an d’une étude similaire menée sur la même cohorte et publiée par la revue Annals of Internal Medicine. Elle avait établi un lien entre heures de travail supplémentaires et risques accrus de pathologies cardiovasculaires. Le travail peut sans aucun doute aider à la santé. Il peut aussi la ruiner. Comme l’amour.
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