Prévention: place à l’action

Dernière mise à jour 22/03/17 | Article
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Les cibles sont identifiées. Le public, à l’écoute. Les connaissances, à la pointe. Les volontés, bien présentes. Et pourtant, en matière de prévention, la Suisse se fait régulièrement sanctionner d’un «peut mieux faire» par les organisations internationales. Les raisons? Elles sont multiples… et en bonne partie économiques. Explications.

Pendant longtemps, la lutte a été surtout infectieuse: tuberculose, diphtérie ou encore choléra décimaient les populations. Puis les antibiotiques sont arrivés. Aujourd’hui, le combat s’est déplacé vers les maladies dites «non transmissibles» (MNT). Leurs identités: maladies cardio-vasculaires, diabète, cancer, affections des voies respiratoires… autant de pathologies avançant masquées, en réponse souvent à nos mauvaises habitudes de vie.

Pourquoi parler de prévention? Pour deux raisons majeures. D’abord parce qu’à ce jour, aucun remède ne permet d’éradiquer facilement ces pathologies sournoises. Alors il faut si possible les combattre avant même qu’elles ne surviennent. Ensuite, parce qu’elles ont pour point commun de s’installer dans nos vies parfois pour des décennies (on parle de maladies chroniques), minant l’épanouissement personnel et professionnel, réduisant l’espérance de vie et confrontant la médecine et la société à des défis inédits.

80% des coûts de la santé

Parlons chiffres. A elles seules, les MNT représentent 80% des coûts directs de la santé en Suisse. La prise en charge des cinq MNT les plus répandues –maladies cardio-vasculaires, diabète, cancer, affections chroniques des voies respiratoires et troubles musculo-squelettiques– frôle les 30 milliards de francs par an, un chiffre en constante augmentation. En contrepartie, le pourcentage alloué à leur prévention paraît bien maigre: 2,2 % en 2013, quand la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) atteignait les 3,1%.

«En matière de prévention, la santé publique suisse est encore faible. Malheureusement, nous sommes encore trop souvent dans une logique économique axée sur les soins, plus que sur la prévention», alerte le Dr Jean-Paul Humair, médecin adjoint au Département de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), se faisant l’écho d’une communauté médicale unanime sur le sujet.

Investir davantage serait-ce la clé? Bien sûr, mais pas seulement. En juin 2016, le Parlement rejetait un projet de loi visant à limiter la publicité pour le tabac et par conséquent à réduire le tabagisme chez les jeunes. Parmi les faits énoncés pour justifier cette décision: la publicité n’augmente pas le tabagisme. Faux, répondent à l’unisson les études internationales. Hors des murs du Parlement, le constat est donc amer: «Oui, l’industrie du tabac rapporte deux millions de francs par an aux caisses de l’Etat, mais le tabagisme coûte cinq fois plus en frais de santé !», poursuit le Dr Humair. Un argument confirmé par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) qui annonce: chaque franc investi dans la prévention du tabagisme permet d’en économiser 41! «Ces logiques reviennent à bafouer la santé publique au profit d’intérêts économiques contestables, poursuit le médecin. Il en va de même pour le fonctionnement de l’industrie alimentaire…» Alors les lois s’enrayent et avortent. A l’image de la loi sur la prévention* rejetée en 2012.

Pas qu’une question de renoncements

La solution? «Le développement de stratégies nationales et une coordination optimisée entre les acteurs de la santé publique: Promotion Santé Suisse, les Ligues de santé, les associations, les communes, et bien sûr les cantons, à qui incombe la gestion des questions de santé», répond Andrea Arz de Falco, vice-directrice de l’OFSP. Et de citer les deux nouveaux projets issus de l’agenda Santé 2020 du Conseil fédéral: la stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles et la stratégie nationale Addictions. «Notre objectif aujourd’hui n’est plus seulement de combattre les facteurs de risque –tabac, alcool ou sédentarité– mais de créer les conditions pour aider l’individu à mieux vivre, y compris dans son environnement professionnel et urbain. Et de faire évoluer les mentalités: la prévention n’est pas qu’une question de renoncements, elle permet aussi de dessiner une vie plus agréable et plus légère…»

Une approche militante adoptée par le canton de Genève par exemple. «Inauguré au début de l’année, le nouveau Concept cantonal de promotion de la santé et de prévention 2030 défend une approche globale. Le but est de placer l’humain au centre de stratégies permettant d’agir sur l’ensemble des facteurs qui influencent sa santé. Ceci afin de prévenir le développement de pathologies, mais aussi de promouvoir son bien-être physique, psychique et social. L’une des priorités est de faciliter l’accès à la prévention aux personnes les plus vulnérables», explique Pascal Haefliger, chef du secteur Prévention et promotion de la santé à la direction générale de la santé du Canton de Genève.

Expert de ses valeurs

Direction le cabinet médical. «80% de la population se rend au moins une fois par an chez son médecin. C’est donc une chance immense de sensibiliser une large frange de la population à la prévention, mais la limite est évidente: il faut que les gens viennent! Or bien souvent, ce sont les personnes qui en ont le plus besoin, aux conditions de vie périlleuses pour leur santé, qui sont les plus exclues des radars du dépistage», rappelle le Dr Idris Guessous, médecin adjoint dans l’unité d’épidémiologie populationnelle des HUG et médecin agréé à la Policlinique médicale universitaire de Lausanne (PMU).

L’autre défi qui se joue au sein du cabinet médical concerne le médecin lui-même. «Le soignant est un acteur clé du dépistage, mais son rôle n’est pas si simple: c’est à lui de prendre les devants et de trouver l’opportunité de parler à son patient de risques, alors qu’aucun symptôme n’est présent», explique le Dr Guessous. Autre difficulté: il est le porte-parole d’un dépistage qui n’est souvent pas remboursé et qui n’est pas encore une science exacte. «Bien sûr le dépistage sauve des vies, mais il débouche également sur des faux positifs et des surdiagnostics (détection d’une tumeur qui ne se serait jamais traduite par des signes ou symptômes dans la vie de la personne, ndlr). Autant d’éléments qui doivent être expliqués en toute transparence aux patients», insiste le spécialiste. Avec cette finalité: «Le médecin est l’expert des connaissances, mais le patient reste l’expert de ses propres valeurs, insiste le Pr Jacques Cornuz, directeur de la PMU. La santé publique doit tout mettre en œuvre pour optimiser la prévention à tous les niveaux, mais il est clair que chacun reste libre de sa vie et de ses choix.»

* Le projet de loi fédérale sur la prévention et la promotion de la santé (loi sur la prévention, LPrév) a été rejeté au Conseil des Etats en septembre 2012.

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Source: Paru dans le magazine Planète Santé n°25, mars 2017.

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