Pharmacologique, mon cher Watson
Un article CHUV Magazine |
Si tout le monde a déjà croisé un pharmacien dans sa vie, les pharmacologues sont un peu plus difficiles à rencontrer hors de l’hôpital. Mais quelle est leur mission? «Notre travail peut se définir parallèlement à celui de l’infectiologue, répond Thierry Buclin, professeur ordinaire de l’UNIL et chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. Nous devons comprendre et identifier l’adversaire, avant de corriger ou de prévenir ses méfaits. Sauf qu’au lieu de combattre les microbes, nous nous intéressons aux médicaments!»
On considère qu’en moyenne 5 à 10% des personnes hospitalisées le sont à cause de médicaments: «Ce ne sont pas toujours des erreurs, continue le prof. Thierry Buclin. Parfois ce sont des effets imprévisibles, voire délibérés comme dans le cas des chimiothérapies qui sont, ne l’oublions pas, des produits assez toxiques.» Ainsi, le pharmacologue est souvent amené, dans le cadre du diagnostic ainsi que dans le choix du traitement, à jouer le rôle d’expert auprès du médecin pour répondre à des questions aussi importantes que «faut-il arrêter ce médicament?», «ces substances risquent-elles d’interagir défavorablement?» ou «devrait-on ajuster le dosage de ce produit?». «Bien sûr, des spécialistes comme les cardiologues ou les neurologues connaissent à fond les indications des traitements qu’ils prescrivent, ajoute le prof. Thierry Buclin. Mais notre discipline concerne néanmoins tout l’hôpital dans la prévention des effets secondaires.»
En plus de son activité hospitalière, l’Unité de pharmacologie fournit un grand nombre de prestations, notamment auprès des médecins installés: «Un médecin d’hôpital ou de cabinet signe environ 4000 prescriptions par année, explique le prof. Thierry Buclin. Cela représente une responsabilité énorme! Notre unité a donc également une mission importante de formation auprès des professionnels, afin de promouvoir un emploi rationnel et de prévenir au maximum les pépins.»
Recenser et rassurer
Dans la série Dr House, l’épisode s’achève lorsque le médecin met un nom sur la pathologie dont souffre le patient, comme s’il suffisait ensuite d’administrer le bon traitement. Dans la réalité, il en va tout autrement: «Cela ne s’arrête pas quand l’ordonnance est signée, confirme le prof. Thierry Buclin. Cette représentation est symptomatique d’une époque où l’on a des attentes aussi nombreuses que simplistes des médicaments. Mais il ne faut pas oublier que “Pharmakon”, le mot grec à l’origine de “Pharmacie” autant que de “Pharmacologie”, désignait à la fois le médicament et le poison!»
De fait, la pharmacovigilance (soit l’enregistrement et l’évaluation des effets secondaires des médicaments) fait partie des attributions de l’unité du prof. Thierry Buclin. Mais ses projets visent aussi à prévenir ces problèmes grâce à une individualisation des traitements basée sur un suivi thérapeutique précis. «Le développement du monitoring est particulièrement prometteur en Suisse, où l’on est volontiers enclin à surveiller et mesurer, constate le pharmacologue. Mais cette activité implique des remises en question et demande des efforts de la part des médecins et de l’industrie pharmaceutique.
Depuis les années 1990, nous réussissons progressivement à faire passer l’idée que les patients ne sont pas tous égaux face aux médicaments, et que, par conséquent, dans certains cas, le dosage unique n’est pas une bonne chose. Nous avons mené déjà de nombreuses recherches, notamment dans le cas des trithérapies contre le sida et d’autres infections. Et nous nous penchons maintenant sur les nouveaux traitements anticancéreux. Nous sommes un petit centre, mais nous obtenons déjà des résultats très intéressants pour la communauté scientifique internationale.»
La technologie offre également de toutes nouvelles perspectives: «Nous sommes en train de concevoir, en collaboration avec l’EPFL, un système de monitorage qui pourrait, grâce à un système miniaturisé, permettre au médecin de connaître instantanément la concentration de médicaments qu’un patient a dans le sang, expose le prof. Thierry Buclin. Cet appareil permettrait ainsi de modifier immédiatement les dosages selon les besoins du patient. Nous n’en sommes qu’au tout début!»
La tératovigilance, ou l’ange gardien des futures mères
S’il est bien une «population» à qui les médicaments ferment facilement leur porte, ce sont les femmes enceintes. «Comme on peut l’imaginer, il est très compliqué de faire des études auprès de femmes enceintes volontaires, explique le prof. Thierry Buclin. C’est pour cette raison qu’une majorité des médicaments sont interdits aux femmes attendant un enfant: c’est une précaution, qui résulte d’une incertitude sur les effets possibles.»
Mais qu’en est-il de celles qui prennent un traitement alors qu’elles ignorent qu’elles sont enceintes? «Notre unité abrite depuis maintenant quinze ans le Swiss Teratogen Information Service (STIS), qui offre information et soutien au généraliste ou au gynécologue de cabinet. Ils nous contactent pour savoir si cette prise de médicament représente un risque pour l’enfant à naître, répond le pharmacologue. Nous partageons un réseau avec d’autres centres des pays industrialisés, qui enregistrent chaque exposition tout comme nous. Heureusement, dans beaucoup des 500 cas que nous traitons par année, nous rassurons plutôt la patiente à propos de la crainte de malformations. Sinon, nous recommandons des examens complémentaires.»
Mais surtout, le STIS récolte le suivi des grossesses jusqu’à la naissance. «A travers le réseau, nous obtenons ainsi les données anonymisées de milliers de cas, soit une masse d’informations irremplaçable dans ce genre de surveillance épidémiologique.»
Source
CHUV Magazine, hiver 2012: http://www.chuv.ch/chuv-enbref-chuvmag-medicaments.pdf