Participer à des études cliniques? Exigez-le!
«Randomisez-moi!» Voilà, selon le Pr Thierry Buclin, une demande que les patients devraient faire plus souvent à leurs professionnels de santé. Qu'est-ce à dire? «Il s'agit de tirer au sort le traitement que l'on donne», explique le professeur de pharmacologie clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En anglais, en effet,randomsignifie aléatoire.
Oui, c'est ainsi que la médecine avance: quand elle ne sait pas quelle est la meilleure intervention dans une situation donnée (par exemple, quand on se demandait si la substitution hormonale à la ménopause était vraiment opportune), elle la teste en la comparant à une autre intervention (un médicament comparé à un autre, par exemple) ou à l’absence d’intervention (opérer une hernie discale ou non, par exemple). Le tirage au sort permet de s'assurer que rien ne diffère systématiquement dans la composition des deux groupes comparés.
Les occasions de faire de telles études sont légion et ne concernent pas seulement le développement de nouveaux médicaments. Elles peuvent comparer des gestes médicaux, des méthodes de diagnostic ou encore des stratégies de traitement. Le Pr Buclin le démontrera lors d’une conférence au salon Planète Santé live.
La recherche clinique peut-elle concerner M et Mme tout-le-monde?
Pr Thierry Buclin: Oui. En soignant des personnes, l’on rencontre fréquemment des situations où plusieurs interventions sont possibles sans qu'il soit prouvé que l'une est meilleure que l'autre.
Les varices, par exemple: faut-il les opérer? La réponse est évidemment oui pour de très grandes varices et non pour de toutes petites. Mais entre les deux? Il y a immanquablement une zone d’incertitude où l’on ne sait pas ce qui est mieux.
Dans une telle situation, la meilleure solution est de dire clairement à un patient ou à une patiente que son cas correspond à une zone grise où l'on n’a pas de meilleure réponse en l’état actuel des connaissances. Et qu'il ou elle aurait donc avantage à se faire «randomiser» dans le cadre d'une étude sur cette intervention.
Comment réagissent les patients à cette proposition?
Admettons-le, ils sont d’abord perplexes. Se voir ainsi proposer un tirage au sort au lieu d'une réponse univoque est assez loin de notre mentalité.
Mais on n’a le droit de proposer une randomisation que s'il y a «équipoise», c'est-à-dire qu'il n'y a pas de raison connue de préférer l'une ou l'autre approche parmi celles qui sont proposées. Dans cette situation, la solution la plus éthique du point de vue de la collectivité est bien de réaliser une étude sur la base d’un tirage au sort. Une fois les résultats connus, on saura les bénéfices et les effets secondaires de l'un ou l'autre traitement. On pourra ainsi améliorer les recommandations aux patients en connaissance de cause.
La recherche clinique est-elle, selon vous, gage de qualité?
Oui. Un médecin qui vous propose une telle participation est prêt à reconnaître qu'il ne sait pas tout et participe à l’amélioration des connaissances médicales. Il va porter un intérêt particulier à votre cas, à votre réponse au traitement et à vos éventuels effets secondaires. Je crois qu'on sera mieux soigné par lui que par un collègue qui prétend avoir la science infuse.
L'histoire de la cohorte suisse HIV est, à ce titre, exemplaire. Démarrée en 1988, elle a inclus la moitié des personnes atteintes du sida en Suisse et a permis d'accroître significativement les connaissances sur la maladie et ses traitements. On peut dire avec confiance que les patients qui y ont participé ont été mieux soignés.
Sait-on quel traitement l'on reçoit quand on participe à une étude?
Cela dépend. On peut tout à fait vous dire quel traitement vous avez reçu, comme on peut aussi vous demander de l'ignorer, par exemple si l'on compare un médicament et un placebo dans une étude «en double aveugle». Dans ces conditions, afin d'éviter tout biais de mesure, il est convenu que le médecin ignore lui-même si le patient a bénéficié d'une intervention ou d'une autre.
Comment ces études sont-elles encadrées?
Chaque étude doit être approuvée par un comité d'éthique indépendant qui garantit que, a priori, cette recherche n'est pas plus dangereuse qu'elle n'offre de bénéfices. Le comité d’éthique confirme en particulier qu’il y a «équipoise» entre les traitements comparés.
Le consentement explicite des patients est requis. S'ils acceptent de participer à l'étude, ils signent un formulaire qui décrit l'intervention, ses avantages et ses risques potentiels, les procédures à venir et précise les évaluations qui seront menées. La personne peut en tout temps quitter l'étude et continuer à être soignée par son médecin.
Une manière de faire avancer la médecine
«Depuis les années 1960, ce sont les fabricants de médicaments qui financent la plupart des études sur leurs nouveaux produits, études qui sont exigées par les autorités d'enregistrement. De nombreux scandales ont cependant entaché des études dont les résultats étaient biaisés en faveur du fabricant. Comme dans le cas duVioxx, dont Merck a dû cesser la commercialisation en 2004. Cela a beaucoup décrédibilisé ces recherches. Il y a une prise de conscience récente de ces biais commerciaux et c'est une bonne chose. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain: un essai clinique sincère et de bonne qualité est toujours la meilleure manière de faire avancer la médecine, et pas seulement pour ce qui est des médicaments. Des consortiums de médecins et de promoteurs publics doivent prendre la main et réaliser les études réellement utiles à la collectivité et aux patients.»
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Note: Un numéro spécial du Fait Médical (août-décembre 2014) est consacré à la recherche clinique. Il sera disponible au salon Planète Santé live sur le stand de l'APLIM.