Les cellules font des miracles pour réparer les corps abîmés
De quoi on parle
Début juin, les membres de la Société suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique (Swiss plastic surgery) ont ouvert les portes de leurs centres de soin pour présenter leur discipline au grand public. A cette occasion, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) nous présente l’un des axes phares dans les traitements intervenant en chirurgie reconstructive: la thérapie cellulaire, capable d’améliorer la qualité de vie et de sauver de nombreux patients.
Le corps humain est un écosystème qui possède de nombreuses capacités pour se réparer et se maintenir en vie. C’est sur ce principe que s’appuie la thérapie cellulaire, de plus en plus utilisée en chirurgie reconstructive. Recherche fondamentale ou appliquée à la clinique, c’est au cœur des laboratoires que ces traitements sont élaborés. Soins des brûlures, réparation des tissus, des tendons, de cartilages abîmés ou des muscles, ses applications sont nombreuses.
Des laboratoires aux malades
Les grands brûlés ont bénéficié les premiers des thérapies cellulaires (voir infographie). A Lausanne, dans le centre des grands brûlés du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) –l’un des deux centres existant en Suisse– on y recourt lorsque plus de 50% de la surface de la peau est brûlée. Grâce à une biopsie cutanée, les cellules de la peau sont mises en culture. «En trois semaines, à partir d’une biopsie de quelques centimètres, on obtient jusqu’à un mètre carré de peau», explique le Pr Wassim Raffoul, chef du Service de chirurgie plastique et de la main au CHUV. Pour ce faire, on sépare d’abord les différentes couches de la peau grâce à un traitement enzymatique. Les kératinocytes (cellules qui forment l’épiderme) sont isolés des fibroblastes (cellules qui constituent le derme et assurent la souplesse et l’élasticité de la peau), puis sont cultivés séparément dans un environnement stérile et à une température adéquate: «On doit les nourrir, leur donner des vitamines, des antibiotiques, leur fournir de l’oxygène et du CO2.» Ensuite, on les réunit pour qu’ils forment une peau uniforme et naturelle, qui sera greffée sur le patient. Un ensemble de procédés stricts, très contrôlés et sûrs, confirme le Pr Raffoul: «On sauve la vie des patients. Esthétiquement, les résultats sont impressionnants.»
Les personnes souffrant d’ulcères cutanés, de plaies chroniques ou de maladies génétiques de la peau peuvent aussi bénéficier de pansements cutanés. Par ailleurs, le Service de plastie du CHUV coordonne un projet de recherche sur les pansements antibactériens. Ces pansements biologiques permettent de diminuer le risque d’infection, qui représente un grand risque pour la vie des patients. Une partie de cette recherche vient de faire l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Nature.
Autres éléments biologiques souvent utilisés en thérapie, les plaquettes sanguines. Elles sont obtenues en prélevant du sang puis en les dissociant du plasma. Injectées dans les tissus, elles soignent les tendinopathies (inflammations des tendons) dont souffrent de nombreux sportifs et certains professionnels (violonistes, déménageurs, vignerons, etc.). Leurs qualités principales sont de sécréter des éléments qui favorisent la cicatrisation ainsi que des endorphines, qui ont un effet anti-inflammatoire. Dans un autre domaine, les cellules souches cartilagineuses permettent de réparer les dégâts de l’arthrose. La fragilisation des articulations est aujourd’hui compensée par la pose de prothèses. Mais celles-ci «ne sont pas éternelles, alors que l’espérance de vie augmente», commente le Pr Raffoul. La technique consiste à reproduire des cellules souches cartilagineuses en laboratoire pour créer des produits constitués de facteurs de croissance, qui sont ensuite injectés dans les articulations et favorisent la régénération du cartilage. «Bien que maîtrisée, la production de ces cellules est délocalisée en Allemagne pour des raisons liées aux règlements de Swissmedic, regrette la Pre Lee Ann Laurent-Applegate, du Service de chirurgie plastique, reconstructive et de la main du CHUV. Cela augmente le coût des traitements ainsi que les risques.»
Les cellules fœtales offrent d’infinies possibilités
Choquant pour certains, mais néanmoins réel, un fœtus avorté peut être utilisé pour un don d’organes quand les parents y consentent. Les cellules fœtales sont jeunes et déjà déterminées (en cellules de la peau, du foie, des muscles, des tendons, etc.), ce qui rend leur usage plus sûr. «Avec une seule biopsie de seulement 2 centimètres carrés, on peut réaliser des milliards de traitements, en raison de leurs capacités de développement et de reproduction énormes», explique le Pr Lee Ann Laurent-Applegate du CHUV, confirmant ce que décrit un article paru dans la revue médicale britannique The Lancet. Elles peuvent être conservées dans des banques cellulaires durant cinquante ans et sont depuis longtemps utilisées dans la production mondiale de vaccins contre la rubéole, la polio et la rage. Ce type de don, qui soulève de nombreuses questions éthiques, est tout aussi exceptionnel dans ses possibilités que rare.
De l’utilité des cellules graisseuses
Plus inattendu, les cellules souches des adipocytes (cellules graisseuses) auraient, elles aussi, de nombreuses propriétés: «Elles ont des fonctions métaboliques, produisent des facteurs de croissance et sont capables de se transformer en d’autres types de cellules ou de stimuler la transformation d’autres», explique le professeur Raffoul. Nombreuses et faciles à prélever et à conserver, elles sont utiles pour favoriser la guérison des plaies et pour pallier les séquelles de la radiothérapie dans le cancer du sein, par exemple. On vante encore bien d’autres de leurs mérites (rajeunissement de la peau, croissance des cheveux), mais les spécialistes incitent à la prudence en l’absence d’études suffisantes. Les thérapies cellulaires constituent parfois la première étape d’une réparation chirurgicale, laquelle comporte les risques de toute chirurgie. Beaucoup de ces techniques sont complètement maîtrisées. Mais si certaines sont en cours d’évaluation, d’autres flottent dans un flou administratif car la législation avance moins vite que les technologies. Aussi, «pour la sécurité du patient, il est conseillé de s’adresser à des centres universitaires où les protocoles de soins sont bien établis», conclut la Pre Lee Ann Laurent-Applegate.
Contre les douleurs fantômes
La chirurgie plastique et reconstructive est une discipline qui s’inspire de techniques hétéroclites, allant de thérapies cellulaires à des procédés électriques et mécaniques complexes tels que des appareillages externes. Des chirurgiens de la main du CHUV se sont associés à un grand projet européen visant à aider les patients amputés souffrant de douleur fantôme. Les nerfs sont comme un système de communication électrique entre notre cerveau et nos organes. Or, explique le Pr Wassim Raffoul, «lorsqu’un membre a été amputé, un message continue d’arriver au cerveau, mais du fait que l’organe n’est plus là, il est parasité, et se traduit en douleur.» L’idée de cette recherche: rétablir cette communication électrique pour faire croire au cerveau que le membre existe toujours et qu’il peut recevoir des messages. On insère dans les nerfs du bras une électrode de stimulation qui transmet au cerveau des messages éclectiques simulant ceux de la main. Cette électrode peut aussi être connectée à une prothèse de main, capable de transmettre la sensibilité au cerveau. Le patient peut alors utiliser la «main» naturellement, ce qui diminue la douleur. Les quelques patients traités tirent déjà profit de cette technologie ultracomplexe, toujours en cours de développement.