La santé des femmes fragilisée par leur sous-représentation en recherche clinique
En 2009, les études avec financement public publiées dans les journaux de médecine interne à fort impact n’incluaient que 38% de femmes. Un manque de données qui a des conséquences importantes, hommes et femmes n’étant pas équivalents du point de vue biologique. Le débit cardiaque, le poids, la durée du transit, le métabolisme, l’élimination des substances tout comme l’expression ou la sensibilité de certains récepteurs, les hormones sexuelles et leurs fluctuations, changent considérablement d’un sexe à l’autre.
Ainsi, les femmes bénéficient d’une prévention, d’une détection et d’une prise en charge des maladies de moins bonne qualité, et elles répondent moins bien aux traitements, conçus majoritairement pour des hommes. Les analyses montrent aussi qu’elles sont plus souvent traitées en deçà de ce qui est recommandé et qu’elles souffrent davantage d’effets secondaires.
Une génitrice avant tout
Il faut remonter au XIXe siècle pour comprendre les raisons de cette sous-représentation féminine dans la recherche clinique. Au moment de l’apparition de la médecine expérimentale, véritable tournant pour la science, la femme est cantonnée à son rôle d’épouse et de mère. Eloignée des domaines publics de la société et considérée par celle-ci comme inférieure à l’homme, elle est avant tout perçue comme une génitrice.
Il faudra attendre longtemps pour que les mentalités évoluent. Ainsi, dans les années 1970, le milieu médical qui continue à ne percevoir la femme que par le prisme d’une éventuelle maternité l’exclut de la recherche de crainte d’exposer un fœtus à des risques pharmacologiques. Cette peur est si importante que même les femmes célibataires, sous contraception ou dont le mari a subi une vasectomie, sont écartées des études. Dans la pratique, cette discrimination va s’étendre à toutes les phases cliniques et même aux femmes de plus de 65 ans.
Le tournant des années 90
Il faudra attendre les années 90 pour que le monde médical réalise l’impact de cette faible participation sur l’efficacité des traitements et l’indésirabilité de leurs effets. En 1993, la Food and Drug Administration (FDA) des Etats-Unis publie une «Guideline for the study and evaluation of gender differences in the clinical evaluation of drugs» (Recommandations pour l’étude et l’évaluation des différences de genre dans les études cliniques portant sur des médicaments), marquant la fin de l’exclusion des femmes. Lors de cette décennie, l’on promeut aussi une meilleure connaissance de leur santé avec la création en 1995 du département Genre, femmes et santé de l’OMS et du Réseau canadien pour la santé des femmes en 1993. En Suisse, le service Gender Health ne date que de 2001, alors que le Conseil de l’Europe attend 2006 pour éditer des recommandations favorisant l’inclusion des femmes dans les essais cliniques.
Inclure les femmes enceintes
Aujourd’hui, la communauté scientifique est consciente de la nécessité d’inclure suffisamment de femmes dans les études, même si l’analyse des données en fonction du genre est encore trop rare. Ainsi, en 2009, 64% des études publiées dans les journaux à fort impact de médecine interne n’en font encore mention ni dans leurs analyses, ni dans leurs données de base. Par ailleurs, l’inclusion des femmes enceintes dans les différentes phases d’études reste une question importante. La grossesse n’étant pas une protection contre les pathologies, les personnes concernées risquent de recourir à un traitement qui n’aura pas été adapté à leurs besoins.
La responsabilité de tous
Il sera probablement nécessaire de surreprésenter les femmes dans les études pour combler le manque de connaissances à leur sujet. Ce, en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’analyser les spécificités des pathologies et des traitements sur les femmes, et non d’étudier des problèmes spécifiquement féminins. Plus largement, il s’agit de promouvoir une médecine équitable entre les sexes, une responsabilité qui doit être partagée non pas seulement par le législateur ou le chercheur mais par tous les acteurs de la santé.
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Références
Adapté de «Les femmes, oubliées de la recherche clinique», Drs Mélisa Mathilde Potterat, Yvan Monnin, Pr Antoinette Pechère et Dr Idris Guessous, Service de médecine de premier recours, Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences, Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), In Revue Médicale Suisse 2015;11:1733-6, en collaboration avec les auteurs.