La chronobiologie pour administrer le bon médicament au bon moment
Nous sommes enclins à dormir la nuit et à veiller le jour, alors que les animaux nocturnes font l’inverse. C’est là le signe le plus flagrant que les comportements des êtres humains, comme ceux de la plupart des organismes vivants, sont calés sur un cycle de 24 heures. C’est ce que l’on nomme le rythme circadien (du latin circa, «proche de», et dien, «un jour»). Pratiquement toutes nos fonctions biologiques y sont soumises: de la température corporelle (minimale au petit matin et maximale en fin de journée) à la fréquence cardiaque, en passant par la sécrétion d’hormones, les capacités cognitives, l’humeur et bien d’autres.
«Chacune de nos cellules possède sa propre horloge biologique», précise Christoph Scheiermann, chercheur au département de pathologie et immunologie de l’Université de Genève (UNIGE). Pour éviter la cacophonie, le cerveau joue les chefs d’orchestre: il synchronise les différentes pendules cellulaires et leur impose le rythme circadien à l’aide de l’horloge interne. Située dans l’hypothalamus, celle-ci est constituée de deux noyaux dits suprachiasmatiques qui renferment chacun environ 10’000 neurones dont l’activité électrique oscille sur environ 24 heures. Par l’intermédiaire soit des nerfs, soit de différentes hormones circulant dans le sang, elle donne aux organes leur rythme, lequel est ajusté sur l’alternance lumière-obscurité. «Cet ajustement est lent, précise Paul Franken, chercheur au Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne (UNIL). C’est ce qui explique le "jet lag" dont on souffre quand on change de fuseau horaire.»
C’est aussi à cause du rythme circadien que les symptômes de multiples affections se manifestent plus fortement à certains moments de la journée ou de la nuit –«les douleurs liées à la polyarthrite articulaire sont par exemple plus fortes le matin», souligne Christoph Scheiermann.
Chimiothérapie et opération cardiaque
Notre horloge interne influence aussi les traitements que nous prenons. En administrant un médicament au moment où l’organe visé y est le plus sensible, on peut augmenter son efficacité et diminuer ses effets indésirables.
Dans ce domaine, l’étude des rythmes biologiques –la chronobiologie– a déjà permis quelques avancées. Des médecins français de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif (France) ont ainsi constaté qu’un médicament contre le cancer digestif (le florouracile) est cinq fois moins toxique quand il est perfusé autour de 4 h du matin plutôt qu’au milieu de l’après-midi. Dans le même esprit, en étudiant l’horloge biologique des cellules cardiaques, des chercheurs de l’Université de Lille (France) ont conclu que ces cellules étaient plus résistantes l’après-midi que le matin à la privation d’oxygène (ischémie) provoquée parfois par les chirurgiens afin de mener à bien une opération du cœur. Il est donc préférable de pratiquer l’intervention l’après-midi, afin de diminuer le risque de complications post-chirurgicales.
Christoph Scheiermann et ses collègues ont par ailleurs établi que les lymphocytes B et T –des cellules-clés du système immunitaire chargées de lutter contre les agents pathogènes– sont, eux aussi, «contrôlés par les oscillations circadiennes et qu’ils sont plus forts à certains moments de la journée». En tenir compte pourrait donc «potentiellement rendre la vaccination plus efficace».
Si l’existence de l’horloge biologique est connue depuis longtemps, l’étude fine des mécanismes impliqués dans son fonctionnement «en est encore à ses débuts», constate le chercheur de l’UNIGE. Mais elle montre déjà que, dans l’administration des traitements, «il faut prendre le temps au sérieux».
Une horloge flexible
La découverte, dans les années 1970, du premier gène impliqué dans l’horloge biologique a valu à ses auteurs le prix Nobel de médecine en 2017. Depuis, une dizaine d’autres «gènes horloge» ont été identifiés. En étudiant les interactions entre le sommeil et le rythme circadien, l’équipe de Paul Franken, chercheur au Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne (UNIL), a toutefois constaté que, contrairement à ce que l’on pensait, ces gènes n’imposent pas à l’horloge un rythme régulier et continu. «Notre horloge est flexible et elle réagit à notre comportement. Si nous dormons ou nous mangeons à un mauvais moment par rapport à notre cycle biologique, le cerveau et le foie s’adaptent». Bousculer notre rythme biologique n’est toutefois pas sans conséquence pour notre santé. Paul Franken recommande donc «de respecter une certaine régularité dans nos horaires de repas et de sommeil».
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Paru dans Planète Santé magazine N° 32 - Décembre 2018