Comment l’ARN messager va changer l’histoire de la médecine
L’ARN messager, c’est quoi?
Nos cellules sont comparables à un œuf. «Le jaune renfermerait toute l’information génétique, c’est à dire l’ADN, porteur de nos gènes. Le blanc serait comme la machinerie cellulaire, composée de petits robots, les ribosomes, capables de créer des protéines», explique Alessandro Diana, spécialiste en vaccinologie. L’information génétique contenue dans notre génome codant pour telle ou telle protéine est retranscrite en ARN messager (un vrai postier) qui instruit les ribosomes à produire cette protéine.
Dès les années 90, des scientifiques ont eu l’intuition que l’on pouvait utiliser la machinerie de nos propres cellules pour produire des protéines de surface de certains virus, afin d’enclencher une réaction immunitaire de notre organisme. La vaccination consiste en effet à mener ce dernier à produire des anticorps contre les protéines spécifiques d’un virus. Pour le SARS-CoV-2, par exemple, il s’agit de la protéine Spike.
Contrairement à un vaccin traditionnel, composé soit de particules de virus morts soit de virus vivants atténués, le vaccin à ARNm utilise simplement des morceaux d’ARN synthétisés en laboratoire. Une fois dans notre corps, cet ARN agit comme un «messager» qui amène nos cellules à produire elles-mêmes la protéine Spike (inoffensive puisqu’isolée) et à développer des anticorps. En cas d’infection par le virus, ces anticorps seront ainsi entraînés à le combattre.
Ce sont donc désormais nos cellules qui deviennent «productrices» du vaccin. Si une injection traditionnelle nécessite une longue procédure de purification du virus et l’ajout d’adjuvants (sels d’aluminium par exemple) pour une meilleure activation du système immunitaire, ce n’est pas le cas avec le vaccin à ARNm qui bénéficie d’une plus grande rapidité de production. Une fois la protéine spécifique identifiée, sa séquence génétique est décortiquée pour en extraire un ARNm (lire encadré). «Cette technique est donc rapidement adaptable aux différentes souches circulantes du virus», ajoute Valeria Cagno, virologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Autres avantages de l’ARNm: son efficacité (plus de 90% contre les formes graves), mais aussi sa bonne tolérance chez les personnes fragiles. En effet, alors que les vaccins dits «atténués» utilisent un virus affaibli mais encore capable de se répliquer, le vaccin à ARNm ne prend que la protéine de ce virus, potentiellement moins dangereuse. Le risque d’effets indésirables est donc réduit chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli (personnes âgées, immunosupprimées, etc.).
De nombreuses perspectives
Cette technologie aux nombreux avantages va-t-elle pour autant supplanter les vaccins traditionnels? Pour Alessandro Diana, spécialiste en vaccinologie et chargé d’enseignement à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, la réponse est non. Du moins, pas pour l’instant: «Il n’y a aucun intérêt à remplacer des vaccins efficaces, utilisés depuis longtemps et dont l’innocuité est reconnue.»
Là où le vaccin à ARNm pourrait changer les choses, c’est dans le cas des maladies qui ne bénéficient, à ce jour, d’aucun traitement.
Sida
Plusieurs laboratoires mènent actuellement des recherches pour mettre au point un vaccin destiné aux personnes non contaminées par le VIH. Mais ce virus est particulièrement difficile à cibler. La grande variabilité de son génome et sa capacité à intégrer son matériel génétique dans l’ADN des cellules qu’il infecte complexifient l’élaboration d’un vaccin efficace. L’entreprise Moderna a annoncé travailler sur deux candidats, avec des premiers résultats attendus d’ici 2023.
Grippe
Un vaccin à ARN messager contre la grippe présenterait une alternative intéressante au vaccin existant. En effet, la rapidité de production via cette nouvelle technologie pourrait permettre de répondre à la problématique de mutation du virus Influenza d’une année à l’autre. En septembre dernier, le laboratoire Pfizer a annoncé mener des essais cliniques sur l’être humain avec un vaccin anti-grippal à ARNm. Cela pourrait secouer le marché de la vaccination, notamment en Suisse, où près de deux millions de doses sont vendues chaque année.
Cancer
La lutte contre le cancer est l’un des plus grands défis de la médecine du 21e siècle. De nombreuses firmes pharmaceutiques espèrent parvenir à le relever. BioNTech, l’un des grands acteurs du vaccin contre le Covid-19, mène ainsi une dizaine de projets utilisant l’ARNm pour le traitement de différents cancers. Sur le papier, les choses paraissent simples: les cellules cancéreuses expriment à leur surface des protéines légèrement différentes des normales, que l’on peut donc cibler avec un vaccin. Mais le cancer est une maladie sournoise et il n’existe pas une seule protéine spécifique mais des mutations génétiques très variées selon les patients et le type de tumeur, ce qui complexifie la mise au point d’un vaccin.
Autres maladies
D’autres maladies auto-immunes, comme le diabète de type 1, la sclérose en plaques, ou des maladies cardiovasculaires, pourraient également bénéficier de cette avancée technologique. Il faudra sûrement de nombreuses études cliniques pour mettre au point d’éventuels protocoles thérapeutiques à base d’ARNm, mais ce n’est qu’une question de temps. «Pour le Covid, il y avait péril en la demeure, ce qui a permis de faire un bond en avant d’une dizaine d’années dans la connaissance de l’ARNm, conclut Alessandro Diana. On tient un Graal qui n’a pas fini de faire parler de lui.»
Vrai ou faux?
«Le vaccin à ARNm peut abîmer notre génome»
Faux. C’est biologiquement impossible. Un ARN messager, une fois injecté, ne peut pas entrer dans le noyau de nos cellules et impacter notre génome. Son rôle est uniquement de transmettre les informations nécessaires à la production de protéines. Une fois dans notre organisme, il est détruit et éliminé en 48 heures.
«Il n’y a pas assez de recul pour juger de son innocuité»
Faux. Depuis sa mise sur le marché en décembre 2020, près de 7,51 milliards de doses ont été délivrées et 52% de la population mondiale est vaccinée. Cela a donc permis d’identifier les effets secondaires à court et moyen terme. Car ces effets (quel que soit le vaccin administré) surviennent le plus souvent dans les 4 à 8 semaines après l’injection. Par ailleurs, la recherche et les essais menés sur l’ARN messager ont débuté dans les années 90, soit il y a plus de 30 ans.
«Le vaccin à ARNm n’est pas efficace contre le Covid-19»
Faux. Avec un taux d’efficacité contre une infection par SARS-CoV-2 de plus de 60%, les vaccins à ARNm sont pour l’instant les plus performants. Ils présentent également une réduction du risque de faire une forme sévère de la maladie supérieure à 90%.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 28/11/2021