La rétine met notre horloge interne à l’heure
La rétine n’a-t-elle pas pour seul rôle de voir le monde qui nous entoure?
Pre Aki Kawasaki (A.K.): Non et, en fait, si l’on se place sur le plan de l’évolution, ce ne sont pas les cônes et les bâtonnets, essentiels pour la vision, qui sont apparus les premiers, mais d’autres cellules chargées de capter la lumière. Ce sont elles qui permettent aux êtres vivants de percevoir l’alternance du jour et de la nuit et de synchroniser sur celle-ci leur horloge biologique, soit leur rythme circadien. Pour nos lointains ancêtres, il en allait de la survie de l’espèce. Ce n’est que plus tard que la vision s’est développée, lorsque le besoin s’en est fait sentir.
Pourquoi notre horloge interne doit-elle être synchronisée en permanence?
Pr Raphaël Heinzer (R.H.): Notre rythme circadien n’est pas exactement de 24 heures mais, chez la plupart d’entre nous, il se situe entre 23,5 et 24,5 heures. Notre horloge biologique doit donc être remise à l’heure chaque jour. C’est important, car c’est elle qui détermine, chez chacun, le moment propice pour s’endormir. En outre, le fonctionnement de notre corps est sensible à l’alternance jour/nuit. La nuit, la température corporelle baisse. Par ailleurs, certaines hormones sont secrétées au petit matin, alors que d’autres le sont le soir.
Comment la rétine fait-elle pour mettre nos pendules à l’heure?
A.K.: La lumière est captée par des cellules ganglionnaires de la rétine renfermant un photopigment, la mélanopsine. Ces cellules informent le cerveau sur l’irradiance, c’est-à-dire sur toutes les caractéristiques de la lumière: luminosité, composition spectrale, etc. Elles lui indiquent également quel est le moment de la journée et quelle est la saison. Ce sont elles notamment qui permettent à certains animaux de savoir que l’hiver est arrivé et qu’il est temps d’hiberner.
Que se passe-t-il quand notre horloge interne est déréglée, notamment quand on travaille la nuit?
R.H.: L’être humain est la seule créature vivante qui n’obéit pas docilement à son horloge biologique et qui reste éveillée quand elle lui dit de dormir. Cette indiscipline a pour première conséquence de rendre le sommeil plus fragmenté, moins profond. En période d’éveil, notre concentration baisse, ce qui peut conduire à des accidents. Par ailleurs, un trouble du rythme circadien peut engendrer des dérèglements hormonaux, comme une altération de la sécrétion d’insuline qui augmente le taux de sucre dans le sang, et bien d’autres problèmes.
La rétine est-elle aussi impliquée dans le jet-lag?
A.K.: En effet. Imaginez que vous allez à New York, où il y a six heures de décalage avec notre pays. Quand vous arrivez à destination, vos yeux vous indiquent qu’il fait encore jour, alors qu’en Suisse c’est déjà la nuit. Pendant quelques jours – la durée varie selon les individus – vous ne vous sentez pas bien, car votre cerveau vous dit que c’est le jour, alors que vos organes aimeraient se reposer.
Que peut-on faire pour surmonter ce décalage horaire?
R.H.: Dans l’avion, il faut essayer de calquer ses heures de sommeil sur l’horaire de la destination. Une fois arrivé à New York, il est nécessaire de s’exposer le plus possible à la lumière dans la soirée, et le matin, au contraire, d’éviter la lumière – il faut faire l’inverse quand on va en Asie. Éventuellement, dans la soirée, on peut prendre de la mélatonine («retard» dans le premier cas, «simple» dans le second).
A.K.: Il faut aussi manger en respectant les horaires du pays de destination, car comme la lumière, les repas aident à synchroniser le rythme circadien.
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Paru dans BienVu!, le magazine de la Fondation Asile des aveugles, Décembre 2020.
Article repris du site BienVu!