Télémédecine : l’exemple valaisan
Introduction
Et la régulation médicale fût! C’est avec ces mots quasiment divins que l’on peut juger, avec deux ans de recul, la mise en place d’une centrale téléphonique de gestion des appels d’urgence dans le Valais. La garde était en effet devenue un cauchemar. Chaque nuit et chaque week-end, trente médecins devaient être disponibles pour répondre aux éventuels appels d’urgence. De quoi décourager les plus téméraires et entraver l’installation d’une relève déjà difficile à mobiliser. Gérée par des médecins, la centrale a permis de soulager toute une région. Reportage à l’Organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS)à Sierre, l’hôte de ce dispositif de « télémédecine », qui, depuis, a fait école en Suisse romande.
« Dans la vallée de Conches, raconte le docteur Jean-Pierre Deslarzes, directeur médical de l’OCVS, il ne reste que quatre médecins. Pendant l’été, quand les conditions météorologiques sont favorables et les routes praticables, ils assurent la garde tour de rôle. Ils sont donc de « piquet » un week-end sur quatre. En hiver par contre, la topographie, la neige et l’afflux touristique compliquent la donne et les médecins doivent être deux assurer la permanence, l’un en haut de la vallée, l’autre en bas. Cela oblige chaque médecin à être disponible un week-end sur deux. » La situation dramatique de la démographie médicale dans l’Entremont valaisan démontre, s’il en était encore besoin, à quel point le métier de généraliste peut être un sacerdoce dans les régions dites « périphériques». Astreints à la garde jusqu’à l’âge de 60 ans, les médecins doivent être constamment disponibles pour leurs patients. « Avant la mise en place de la centrale d’appels, la situation actuelle de la vallée de Conches était le lot quotidien de tous les généralistes valaisans, se rappelle le docteur Deslarzes. Nous avions trente zones de garde différentes et donc autant de médecins mobilisés pendant la nuit et les week-ends. » La situation était devenue d’autant plus intenable que les conditions de travail proposées décourageaient les jeunes médecins à venir s’installer et remplacer une population médicale de plus en plus âgée. « Aujourd’hui, vous ne pouvez plus demander aux gens de travailler 80 heures par semaine. La nouvelle génération de médecins aime travailler en groupe et protège également sa vie de famille. Alors devoir assurer une garde toutes les deux semaines est suicidaire si l’on veut encore faire venir des jeunes, note, avec lucidité, le responsable médical de l’OCVS. »
Une centrale d’appel pour soulager les médecins…
Pour briser le cercle vicieux qui consistait à mobiliser beaucoup de médecins pour les gardes et donc à renforcer une pénurie déjà menaçante, la Société médicale du Valais (SMV), l’Organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS) et le Service de la santé valaisan ont créé en 2007 une permanence téléphonique. Une trentaine de médecins, recrutés sur la base du volontariat mais rémunérés, s’y relaient pour assurer la garde. Dès 19 heures les soirs de semaine et vingt-quatre heures sur vingt-quatre le week-end, les malades valaisans peuvent appeler le 0900 144 033. Un médecin du cru leur répond. Son rôle est clair: trier les appels. Si la personne a besoin d’être conseillée ou rassurée, le médecin répondant lui offrira une assistance téléphonique. Si la situation est trop critique pour être évaluée par téléphone, il dépêchera sur place son collègue de garde de la région concernée. Enfin, dans les cas extrêmes, le cas sera traité par les centralistes du 144 qui occupent le bureau voisin et qui se chargeront d’envoyer les moyens nécessaires, ambulance ou hélicoptère, au secours de la personne concernée. En passant des trente régions de garde à six avec douze zones de disponibilité accrue, ce système d’assistance téléphonique a changé la vie des médecins. « La charge de la garde n’est plus aussi dure qu’avant, confirme le docteur Salamin, médecin répondant à la centrale. On y est astreint un jour sur cinquante. Ça laisse plus de place pour la famille et les amis. »
... Et servir le patient
Mais les médecins ne sont pas les seuls gagnants dans l’instauration d’une permanence téléphonique. « Pour le malade, les avantages sont évidents, insiste encore le docteur Salamin. C’est un médecin de sa région qui lui répond et, qui plus est, dans sa langue. Car il ne faut pas oublier que le canton est bilingue. De plus, le fait de nous déplacer à la centrale de Sierre nous rend plus disponible qu’à la maison. Nous disons plus facilement au patient de rappeler dans une ou deux heure si son état ne s’est pas amélioré. Cela rassure beaucoup les gens. » Mais attention: si le système offre aux malades une assistance permanente en matière de soins, il ne remplace pas une vraie consultation. « Le but de l’opération est soit de donner un conseil au patient pour différer le besoin d’une consultation et qu’il remette sa visite au lendemain, soit d’éviter des hospitalisations inutiles, rappelle le docteur Salamin. Il s’agit de différencier les urgences vitales des non-vitales. Ce procédé ne peut en aucun cas remplacer une consultation physique avec son lot d’examens et la richesse d’une rencontre. »
Un système sûr et efficace
Si elle ne remplace pas une consultation, la permanence téléphonique mise en place en Valais a prouvé son utilité. « Nous avons comptabilisé 30000 appels en trente mois, soit en moyenne 33 appels par jour, sans avoir pris de décision qui soit dommageable pour le patient, affirme le docteur Deslarzes. Dans plus de 50% des cas, le médecin répondant peut différer une consultation ou éviter une hospitalisation grâce à un conseil téléphonique. » Conséquence indirecte, le système contribue à désengorger les services d’urgence des hôpitaux. « La manière de “ consommer ” la médecine a changé, analyse le docteur Deslarzes. Surtout en ce qui concerne les urgences. Avant, les gens avaient un médecin traitant. Aujourd’hui, on va directement chez un spécialiste ou aux urgences.
En Valais, des vagues saisonnières touristiques compliquent la gestion du système avec des visiteurs qui apportent avec eux des habitudes sanitaires très diverses. Le recours à une centrale téléphonique n’est pas encore entré dans les mœurs. Mais, il s’agit d’une solution pour empêcher de mauvaises pratiques qui coûtent extrêmement cher au système de santé. »
Une prestation remboursée
Les économies, c’est justement l’autre conséquence indirecte majeure de ce système de gestion des urgences par téléphone. Entre locaux, logistiques et personnel, la centrale de régulation coûte environ 700000 francs par année. On peut estimer au minimum à 300 par année le nombre d’hospitalisations évitées grâce à la permanence téléphonique pour un coût approximatif de 1200000 francs. Financé jusqu’à l’automne 2009 par l’Etat valaisan, le système est devenu payant. Il est facturé selon TAR-MED en tant que conseil médical téléphonique mais remboursé par les caisses-maladie. « Nous avons essayé de négocier avec santésuisse, l’organe faîtier des assureurs maladie, pour que la charge de la centrale soit assumée par les caisses selon le nombre d’assurés que chaque caisse compte dans notre canton, explique Jean-Pierre Deslarzes. Santésuisse a refusé. Les personnes qui téléphonent peuvent se faire rembourser pour un conseil médical téléphonique. » Oui, sauf que cela coûte entre 15 et 35 francs. A ce prix là, on peut être sûr que bon nombre d’assurés n’entreprennent aucune démarche de remboursement. L’assureur y est gagnant. Mais là n’est pas le vrai défi, comme le relève encore le docteur Deslarzes. « Notre centrale est gérée par des médecins et pour des médecins en collaboration étroite avec les centralistes du 144 qui se trouvent pratiquement dans la même salle. Avec “ Medgate ” ou “ Medi24 ”, les assureurs ont eux aussi créé leur propre système de consultation téléphonique. Ils souhaitent avoir leur propre centrale pour pouvoir surveiller le travail médical, ce qui pose un problème évident dans le sens où les caisses auront tout intérêt à juguler les consultations pour limiter les coûts. » En attendant internet, sur les ondes comme en politique, les modèles de télémédecine proposés par les assureurs s’opposent encore et toujours à ceux des médecins.