La simulation pour apprendre à soigner
«Laissez-moi sortir! Je dois rattraper le type qui m’a renversé à trottinette.» Aux urgences, un infirmier et une médecin ont fort à faire pour déterminer si Julien s’est cassé le nez. Ils tiennent bon, malgré ses gesticulations et son agressivité. Ils lui expliquent que la priorité c’est de le soigner. Une technicienne arrive pour prendre une radio. «Vous avez bougé un petit peu.» Elle utilise des blocs de mousse pour mieux caler la tête du récalcitrant. La radio est faite: oui, il y a fracture.
Enfin… pas vraiment. Malgré son maquillage convaincant et sa chemise tachée, Julien jouait un rôle, dans un scénario, pour exercer les soignants. Nous sommes au centre de simulation inauguré en novembre à Genève par la Faculté de Médecine et la Haute Ecole de Santé. Celui-ci confronte «pour de faux» les étudiants à des situations qu’ils rencontreront en clinique. Quels gestes médicaux doivent être effectués dans un cas donné? Comment se comporter au mieux avec un patient? Des points pas évidents en théorie, encore moins dans le feu de l’action.
Pour ces futurs professionnels, «l’aspect émotionnel de la simulation exige d’être encore plus au clair avec la technique», analyse Julien Opoix, le comédien qui jouait l’accidenté. Il souligne le réalisme des situations: «On voit souvent des élèves arriver avec un sourire entendu et se faire complètement embarquer par le scénario.»
«Selon les exercices, les objectifs varient, explique la directrice du centre, Elisabeth Van Gessel. Il peut s’agir, par exemple, d’apprendre les bases d’une bonne communication entre professionnels. Dans l’urgence, il faut être sûr d’être tous sur la même longueur d’onde.» Et la vice-directrice, Patricia Picchiottino, de préciser: «Etudiants en médecine et élèves infirmiers travaillaient déjà la communication, mais ils le faisaient chacun de leur côté.»
Le projet genevois est en effet novateur sur deux points. Il amène la simulation médicale, habituellement utilisée par les professionnels actifs, aux étudiants avant même leur diplôme, facilitant leur passage à la clinique. Et il propose des scénarios communs aux médecins et aux cinq filières de la Haute école de santé (infirmiers, sages-femmes, physiothérapeutes, techniciens en radiologie et diététiciens).
De la haute technologie au service des étudiants
Le centre comporte aussi son lot de haute technologie. A commencer par Noelle, un mannequin «haute-fidélité» à 150000 francs. Elle respire, peut parler, a un cœur qui bat, un pouls. Et… peut accoucher. Avec ou sans complications selon ce que les formateurs souhaitent exercer. Les élèves sages-femmes l’utiliseront avec profit. «Dans le métier de sage-femme, il y a quelques situations d’urgence, comme l’hémorragie de la délivrance. Il faut y être préparé», souligne Patricia Picchiottino. Mais Noelle a d’autres talents. Elle peut ainsi ne pas être enceinte et simuler des troubles généraux. Par exemple, un arrêt cardiaque, un choc anaphylactique ou une détresse respiratoire.
Lors de l’inauguration du centre, le mannequin accouche, assisté par une sage-femme. A l’aide d’une tablette informatique, la vice-directrice peut influer sur la situation préprogrammée en fonction de son déroulement et des actions de la sage-femme. «Votre bébé est bientôt là», annonce celle-ci. Et, effectivement, on voit apparaître la tête de «Hal». Félicitations.
La structure comprend aussi des dispositifs plus basiques pour apprendre des gestes techniques aux étudiants. Par exemple, des mannequins pour la réanimation cardiopulmonaire que l’on peut défibriller. Ou encore des bras sur lesquels s’entraîner à faire des injections et des prises de sang et des dispositifs pour apprendre à placer une sonde urinaire. Derniers à l’appel: un mannequin permettant de s’exercer à l’examen du fond d’œil, et un autre pour examiner les poumons à l’aide d’un stéthoscope.
Pour clore notre visite, nous assistons au débriefing d’une simulation, une phase essentielle dans le processus d’apprentissage. Après l’exercice, les participants dialoguent avec les formateurs autour d’une grille d’évaluation. Que pensent-ils avoir réussi? Quand se sentaient-ils moins sûrs? Les exercices sont filmés, ce qui permet de revenir sur une séquence particulière ou montrer ce qui a été bien fait. Dans le cas du patient en trottinette agressif, les soignants ont veillé à calmer le patient et ne se sont pas énervés à leur tour.
En entendant cette restitution, on se rend mieux compte à quel point la situation était réelle pour les participants, dans le raisonnement clinique mis en œuvre et dans l’implication émotionnelle avec les autres participants. Décidément, la simulation, c’est du sérieux.