Migraine: des médicaments préventifs très attendus

Dernière mise à jour 27/04/20 | Article
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De nouveaux traitements de fond contre les migraines ont fait leur entrée sur le marché suisse en 2018. Une première vague de patients a pu en bénéficier, mais le remboursement reste restreint.

«Il y a ce stade où la douleur est tellement intense qu’on perd goût à la vie.» Agnès souffre de migraines sévères depuis plus de vingt ans. Au cours des dernières années, ses crises de migraine la réveillent toutes les nuits. Glace, respiration profonde, anti-inflammatoires: elle tente quantité de méthodes pour venir à bout de la douleur. Au moment de la crise, elle prend parfois un triptan. Cette catégorie de médicaments, bien connue des migraineux, a pour effet de réduire la dilatation des vaisseaux sanguins. Chez elle, cela fonctionne souvent… avant que les douleurs ne reprennent de plus belle la nuit suivante.

Au fil des ans, Agnès traverse aussi un long parcours thérapeutique. Antidépresseurs, bêtabloquants, antiépileptiques, stimulation neuronale: toutes sortes de traitements de fond lui sont prescrits, avec plus ou moins d’efficacité et souvent beaucoup d’effets secondaires. Jusqu’à l’année dernière, où une nouvelle alternative lui redonne espoir. Nom de code: anticorps monoclonaux anti-CGRP (lire encadré). Ce nouveau produit, autorisé dès 2018 en Suisse, est le dernier arrivé dans la famille des traitements pour prévenir les crises de migraine. À l’heure actuelle, trois médicaments de ce type sont disponibles dans notre pays. Les essais cliniques, menés principalement aux États-Unis, sont prometteurs. «Les traitements de fond existant jusqu’ici avaient une efficacité modeste et étaient souvent mal tolérés, explique le Pr Philippe Ryvlin, chef du Département des neurosciences cliniques au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). L’anti-CGRP semble fonctionner chez environ deux tiers des patients avec des migraines chroniques et ne provoque presque aucun effet secondaire.» Par conséquent, ces nouveaux médicaments nourrissent de nombreux espoirs et sont très demandés. Mais ils ne représentent pas une solution universelle.

Tenir un «journal des migraines»

Les anticorps monoclonaux anti-CGRP s’administrent une fois par mois, en général par injection sous-cutanée. Leur prix est très élevé. Une dose coûte en moyenne 600 francs. Par conséquent, les assurances fixent des critères très stricts pour accorder le remboursement. «Le traitement s’adresse aux personnes qui souffrent de migraines avec au minimum huit jours de crise par mois depuis trois mois, détaille le Pr Ryvlin. Ils doivent avoir essayé au moins deux autres traitements de fond sans succès et tenir un journal de leurs migraines depuis trois mois. C’est donc assez contraignant et ne s’adresse pas à toutes les personnes qui souffrent de violents maux de tête.»

Agnès remplissait largement tous ces critères. Avec sa neurologue, elle a donc rapidement entrepris des démarches pour obtenir le remboursement. «Cela faisait plusieurs années que je suivais les évolutions de la recherche à ce sujet. Au départ, j’ai eu l’autorisation de prendre ce traitement pendant seulement deux mois, pour faire preuve de son efficacité. Puis j’ai pu en bénéficier pour une durée d’un an.» Très vite, les résultats sont spectaculaires. «Après quelques mois, je n’avais quasiment plus de crises nécessitant de prendre un triptan. Non seulement j’avais moins de migraines, mais l’intensité des douleurs aussi avait nettement baissé.»

Encore des inconnues

Si le traitement fonctionne pour l’heure chez Agnès, les médecins refusent de parler de «médicament miracle». «Ce traitement supprime complètement les migraines chez seulement 10% des patients qui y ont recours, note le Pr Andreas Kleinschmidt, chef du Service de neurologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Au final, il n’est pas sensiblement plus efficace que certains autres traitements de fond classiques.»

Son principal intérêt réside donc dans la quasi-absence d’effets secondaires. Mais là encore, tout n’est pas limpide. «Il ne faut pas perdre de vue que ce médicament est encore relativement nouveau, ajoute le Pr Kleinschmidt. On ne connaît encore peut-être pas tous les effets à long terme. Une certaine prudence reste de mise.»

De plus, les assurances restent frileuses au sujet d’un remboursement sur le long terme. En Suisse, une pause de trois mois est obligatoire après un an de traitement. Le patient doit ensuite à nouveau faire preuve d’un certain nombre de crises pour pouvoir recommencer les injections. Agnès en a fait les frais. «Au terme du premier mois qui a suivi l’absence d’injection, les nuits douloureuses se sont multipliées et la prise de triptan est remontée en flèche. En quelques jours, ma qualité de vie s’est à nouveau beaucoup dégradée. Je suis en colère contre ce système qui prive d’une solution efficace les personnes qui répondent très bien au traitement. Trois mois d’attente quand on souffre, c’est très long. Et j’ai également peur que le jour où je pourrai recommencer à reprendre ce traitement, l’effet soit peut-être moins efficace.»

Varier les alternatives

De son côté, le Pr Kleinschmidt regrette l’existence de restrictions qui empêchent les médecins de prescrire différents médicaments à leurs patients. «À l’heure actuelle, lorsque l’on commence à traiter une personne avec l’un des trois médicaments à base d’anticorps monoclonaux anti-CGRP disponibles sur le marché, on doit s’en tenir à celui-ci, détaille le spécialiste. En cas de résultats mitigés avec l’un d’eux, il serait pourtant intéressant de pouvoir essayer l’un des autres.» La bonne nouvelle, c’est que la science continue d’avancer. Les substances agissant contre le CGRP ont aussi été développées comme médicaments contre les crises aiguës et non pas seulement comme traitement de fond. Ils pourraient ainsi se profiler comme une alternative intéressante aux triptans, qui ne peuvent pas être pris trop souvent en raison de leurs lourds effets secondaires. L’espoir pour les migraineux chroniques continue d’être permis, mais la patience est de mise.

De quoi on parle?

Anticorps monoclonaux anti-CGRP: cette formulation complexe rappelle qu’on s’attaque à l’une des composantes biologiques de la migraine. Depuis une trentaine d’années déjà, les chercheurs ont mis en évidence un neurotransmetteur, le peptide relié au gène calcitonine (CGRP). Il est connu pour son rôle dans le déclenchement de la crise migraineuse. Il est généralement présent en grande quantité dans le cerveau lors d’une migraine, et il a par ailleurs été montré que l’injection de ce peptide conduit à des symptômes migraineux. Les nouveaux traitements à base d’anticorps monoclonaux anti-CGRP ont pour objectif de stopper ce mécanisme. «Ces anticorps viennent bloquer le neurotransmetteur CGRP ou ses récepteurs dans notre cerveau, explique le Pr Philippe Ryvlin, chef du Département des neurosciences cliniques au CHUV. Ainsi, il ne peut plus être libéré en grande quantité.» Ces anticorps restent en principe actifs pendant plusieurs semaines et permettent ainsi d’empêcher une crise de se déclarer.

La migraine, une maladie longtemps sous-estimée

La migraine est une maladie très fréquente, qui touche 11 % de la population mondiale. Lorsqu’elle devient chronique, ses conséquences sur la vie quotidienne sont très lourdes, au point d’être un réel handicap. Pourtant, elle a longtemps été délaissée par les chercheurs. «Les femmes sont trois fois plus touchées par cette pathologie que les hommes, explique le Pr Andreas Kleinschmidt, chef du Service de neurologie aux HUG. Il est possible que cette caractéristique n’ait pas joué en faveur d’une prise de conscience chez les médecins.» D’autre part, la migraine a une composante génétique certaine. Il y a souvent plusieurs individus migraineux dans une même famille. Par conséquent, beaucoup de personnes se résignent et ne consultent pas.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 08/03/2020.

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