Quand les bouleversements climatiques impactent notre santé mentale
Inspirée du terme «nostalgie», la «solastalgie» est un néologisme qui combine le mot latin solacium (soulagement, réconfort) et le suffixe algia (qui évoque la douleur morale). Elle désigne une souffrance psychologique liée à la dégradation actuelle de notre environnement. Les préoccupations par rapport au dérèglement climatique sont d’ailleurs en hausse. Une collecte de témoignages auprès d’une population sensible à cette thématique, menée par la praticienne en psychothérapie Charline Schmerber**, révèle par exemple que 68% des personnes interrogées déclarent ressentir une anxiété importante ou aiguë du fait de la situation environnementale. Un chiffre révélateur d’une prise de conscience générale qui provoque chez les individus une souffrance prospective, à la manière d’un stress pré-traumatique.
Une vaste palette de symptômes en lien avec cette problématique peut être observée, allant jusqu’à perturber le psychisme des personnes concernées. Des émotions telles que colère, tristesse, impuissance ou encore peur sont ressenties par 65% des sondé·e·s. Parfois, des symptômes plus profonds: perte d’appétit et/ou de sommeil, crises d’angoisse, dépression, voire idées suicidaires et/ou passage à l’acte dans les cas les plus extrêmes.
Pour autant, difficile d’assimiler l’éco-anxiété à une pathologie. «Plus qu’un trouble psychiatrique, il s’agit là d’une réaction normale et proportionnée à un danger réel et avéré, considère le Pr Nicolas Senn, chef du Département de médecine de famille à Unisanté. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas la prendre en charge et savoir l’écouter.»
Les médecins de premier recours ont certainement un rôle à jouer. En première ligne face aux patient·e·s, ils abordent de plus en plus souvent la question du changement climatique dans leurs consultations.
Les jeunes particulièrement touchés
Si l’éco-anxiété concerne toutes les tranches d’âge, les générations Y (personnes nées entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990) et Z (personnes nées entre 1995 et 2010) sont particulièrement préoccupées par la santé de la planète. «Leur mobilisation comme leur niveau d’information scientifique surpassent parfois ceux des décideurs politiques, fait remarquer Nicolas Senn. Face au constat dramatique, à l’immobilisme des gouvernements et aux prévisions sombres qui s’annoncent, ces jeunes développent parfois une réaction émotionnelle forte.»
On assiste alors à une remise en question globale du mode de vie qui peut aller jusqu’au refus de procréer, afin – selon les raisons propres à chacun·e – de préserver les ressources de la planète ou encore d’éviter d’imposer à son enfant un avenir incertain. Faut-il voir dans cette décision forte un auto-sabotage de notre civilisation? Pour la doctorante en sciences de l’environnement Sarah Koller, les choses ne sont pas aussi simples. «On peut interpréter ce refus d’avoir des enfants comme une pulsion d’autodestruction mais aussi, selon le point de vue qu’on adopte, comme un appel au survivalisme: la manifestation d’un humain qui participe à protéger son habitat.»
Figure de proue de cette génération de la bascule, l’activiste Greta Thunberg illustre bien l’impact psychologique que peut entraîner l’urgence écologique. À seulement 11 ans, c’est après avoir regardé un documentaire sur les ours polaires et les espèces marines empoisonnées par les déchets plastiques que la jeune fille aurait sombré dans la dépression. Pour elle, comme pour de nombreuses autres personnes touchées par l’éco-anxiété, la phase de colère, d’abattement ou parfois de déni laisse place à un sentiment d’acceptation et d’action. «Je suis plus heureuse désormais, j’ai trouvé un sens, un combat à mener», a déclaré Greta Thunberg dans une interview accordée au New York Times.
L’action, une porte de sortie
Aux étapes difficiles de sidération, de rumination et de deuil, succède souvent la manifestation d’une prise de conscience qui mène à l’action. Réorienter nos comportements pour mieux respecter les limites planétaires, changer son rapport à la nature, retrouver une certaine humilité et s’interroger sur les problématiques existentielles que sont notre propre vulnérabilité et notre rapport à la mort, participent à cette mise en mouvement. «L’éco-anxiété est finalement un phénomène sain de reconnexion, qui témoigne d’une prise de conscience nécessaire, souligne Sarah Koller. Rester dans une forme de déni nous coupe de ce pouvoir d’agir.»
Au contraire, il faut accepter de vivre avec ces émotions de tristesse ou de peur, pour qu’elles n’entraînent pas une culpabilisation mais qu’elles agissent comme un moteur. La racine du mot «émotion» est d’ailleurs similaire à celle du verbe «se mouvoir». Face à l’inertie des sphères dirigeantes dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’action individuelle et collective s’impose pour apaiser le sentiment d’inaction. «Il est normal de se sentir mal lorsque l’on est pris dans un système malade, déplore Sarah Koller. Les mouvements citoyens peuvent permettre de contrebalancer cette apathie systémique.»
Enfin, autre pilier pour apaiser l’éco-anxiété: en parler. Avec ses proches, déjà, mais aussi au sein de groupes de parole aux préoccupations similaires. De plus en plus de thérapeutes se spécialisent sur ces questions et des réseaux s’organisent, notamment en Suisse romande***. L’enjeu de demain sera aussi celui de l’accompagnement – en particulier des plus jeunes – et du déploiement de stratégies de santé publiques plus vastes pour répondre à ce qu’on peut probablement considérer comme le nouveau mal du siècle.
Pour en savoir plus
- L’éco-anxiété: vivre sereinement dans un monde abîmé, Alice Desbiolles, Éd. Fayard, 2020.
- Les émotions de la terre: des nouveaux mots pour un nouveau monde, Glenn Albrecht, Éd. Les Liens Qui Libèrent, 2021.
- L’effondrement: petit guide de résilience en temps de crise, Carolyn Baker, Éd. Ecosociété, 2016.
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* «Changement climatique 2021: les éléments scientifiques», Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), août 2021.
** Enquête sur l’éco-anxiété réalisée en ligne auprès de 1264 personnes en novembre 2019.
*** Réseau romand d’écopsychologie: https://ecopsychologie.site/
Paru dans Esprit(s), la revue de Pro Mente Sana, novembre 2021.