Longévité: le poids de l’environnement

Dernière mise à jour 06/09/21 | Article
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Notre longévité est en partie conditionnée par l’hérédité, mais des facteurs liés à l’environnement et au climat peuvent la réduire. Mieux comprendre ces facteurs devrait permettre de limiter leurs effets sur l’espérance de vie.

Penser qu’une longue vie s’offrira à nous parce que Grand-maman vient de souffler ses 100 bougies n’est pas dénué de vérité. Pour une part, notre longévité est liée à notre patrimoine génétique. Cependant, l’hérédité est loin d’être le facteur qui importe le plus, elle ne compterait même que pour 25%. S’il ne fait plus de doute que la sédentarité, la consommation d’alcool ou de tabac, par exemple, coûtent des années de vie, de plus en plus de recherches sont aussi menées pour comprendre l’impact de notre environnement sur la mortalité et la survenue de maladies. Polluants, pesticides, bruit, mais aussi variations climatiques: les dégradations sur ces plans pourraient contrebalancer les progrès dans d’autres domaines en matière d’espérance de vie.

Le chaud tue plus vite

La pollution atmosphérique est désormais reconnue pour réduire, parfois de plusieurs années, l’espérance de vie des personnes les plus exposées. Et il est avéré que les environnements bruyants, en perturbant le sommeil, augmentent le risque de maladies telles que l’hypertension, le diabète ou la dépression.

Plus récemment, des chercheurs, dont le Pr François Herrmann, médecine adjoint au Département de réadaptation et gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), se sont intéressés au rôle du climat sur la santé. Alors que 2020 est en passe de devenir l’année la plus chaude jamais enregistrée, le médecin souligne le poids des variations climatiques sur notre espérance de vie: «Nous avons commencé nos recherches après la vague de chaleur qui a touché l’Europe en 2003, se souvient-il. Nous avons croisé les relevés de température et les relevés de décès afin d’évaluer la surmortalité liée à cette canicule, jour par jour.» Dans des travaux ultérieurs, François Herrmann a montré que mortalité et températures évoluent selon une courbe «en J». «Cela signifie qu’une petite augmentation de température accroît davantage le nombre de décès qu’une diminution équivalente de la température. Le chaud tue aussi plus rapidement: les décès augmentent en 2 à 3 jours, alors qu’en cas de froid il faut une à deux semaines. Ceci s’explique par des pathologies associées qui diffèrent: aggravation de problèmes cardiorespiratoires et déshydratation en cas de chaleur, infections virales et bactériennes lorsqu’il fait froid.»

Pour l’heure, c’est l’hiver, avec les complications de toutes ces infections, grippe en tête, qui reste la saison la plus mortelle en Suisse. Mais la situation pourrait bien changer, préviennent les experts. Le réchauffement climatique pourrait ainsi aboutir à une inversion de cette saisonnalité de la mortalité et l’été devenir plus meurtrier. Surtout dans des pays comme le nôtre où les infrastructures n’ont pas été pensées pour subir de fortes chaleurs. Les pays d’Europe de Sud pourraient, eux, être moins touchés. «Nous avons encore beaucoup à apprendre sur ce lien entre climat et santé, et plus largement entre environnement et santé, souligne le Pr François Herrmann. Mais réaliser ces études requiert beaucoup de données, de très bonne qualité, et la collaboration de scientifiques de différentes disciplines. Par ailleurs, établir des liens de causalité entre un facteur et un effet est complexe et ne peut se faire qu’avec des études qui doivent être répétées.»

Inégaux devant les années de vie en bonne santé

D’après les classements réalisés régulièrement à l’échelle mondiale, la Suisse peut se réjouir d’être parmi les pays affichant la meilleure espérance de vie au monde. L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime que «la durée moyenne de vie des hommes nés en 1967 sera certainement proche de 82 ans et celles des femmes nées la même année de 87 ans». Selon les modèles et les observations utilisées, les hommes et les femmes nés en 2017 pourront vivre en moyenne jusqu’à respectivement 91 et 94 ans. Par ailleurs, alors que parmi les personnes nées en 1917, seules quelques-unes ont atteint leur centième anniversaire, pour la génération 2017 les projections indiquent 15% d’hommes et 26% de femmes centenaires.

Mais ces belles performances pourraient être l’arbre qui cache la forêt démographique. «Les chiffres donnés de manière globale par pays gomment la réalité des inégalités entre les différentes populations d’un état, prévient Adrien Remund, chercheur à l’Institut de démographie et socioéconomie de l’Université de Genève. Il est nécessaire de réaliser des études par sous-groupes pour mieux comprendre les différences d’espérance de vie entre les couches sociales.» Des inégalités qui se comptent en années, y compris en Suisse. Selon la dernière enquête menée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), «à Berne et à Lausanne, par exemple, les hommes vivant dans un quartier avec un statut socio-économique (SSE) plus bas décèdent en moyenne 4,5 ans plus tôt, et les femmes 2,5 ans plus tôt, que dans les quartiers avec un SSE plus élevé».

Adrien Remund et ses collègues ont récemment publié une étude montrant que ces inégalités se retrouvent aussi au sein de la population suisse lorsqu’on considère l’espérance de vie en bonne santé (lire encadré). «On observe que les personnes avec le niveau d’éducation le plus bas sont celles qui ont le moins d’années de vie en bonne santé. Et l’élément inquiétant est que les écarts entre les personnes les moins éduquées et les plus éduquées ne se tassent pas, bien au contraire», souligne le chercheur. Si l’espérance de vie en bonne santé à 30 ans s’établit en moyenne à 78,8 ans pour les hommes et 82,8 ans pour les femmes en Suisse, une différence de cinq années existe entre les femmes les plus éduquées et celles le moins instruites. Elle est presque de neuf ans chez les hommes!

Réduire l’inflammation

Limiter les effets néfastes de l’environnement et les inégalités sociales passe avant tout par une volonté politique et des actions concrètes mises en œuvre à l’échelle de l’État. Doit-on pour autant être fatalistes et subir ce qui menace notre longévité? Sûrement pas, selon le Dr Pascal Douek, auteur de Les nouvelles clés de la longévité*, qui rappelle que les facteurs influents sur notre longévité sont nombreux et que travailler sur certains d’entre eux peut, dans une certaine mesure, contrebalancer les effets des autres. «On sait aujourd’hui que la plupart des facteurs néfastes augmentent le niveau d’inflammation dans notre organisme. Il faut donc promouvoir ce qui réduit cette inflammation, en commençant par des choses simples, sur lesquelles nous avons tous une marge de progression: un meilleur sommeil, plus d’activité physique et une meilleure alimentation.» Et en cuisine, pas la peine de faire compliqué pour faire efficace, assure l’auteur: «Le régime crétois, sans aliments transformés, pauvre en viande et riche en légumes, a scientifiquement démontré son efficacité en prévention de nombreuses maladies.» Mais c’est aussi sa vie sociale qu’il faut soigner, insiste le spécialiste. «Les études menées dans les zones bleues, ces régions du globe particulièrement riches en centenaires, le confirment: les liens sociaux et intergénérationnels sont fondamentaux pour vivre vieux et en bonne santé.»

Les indicateurs de longévité

L’espérance de vie est un indicateur de l’état actuel de la mortalité et est habituellement obtenue en utilisant les effectifs et les décès par âges et par sexes dans une population. Un nouvel indice a vu le jour plus récemment, l’espérance de vie en bonne santé. «Ce calcul est plus compliqué et repose sur des variables différentes selon les études, explique Adrien Remund, démographe à l’Unige. Pour notre dernière recherche, nous avons fait le choix d’utiliser le niveau de santé autodéclaré par les participants. L’avantage est que cette notion englobante ne se focalise par sur certaines maladies. Et bien qu’elle soit subjective, elle a été validée comme étant un bon prédicteur de mortalité.» Il est également possible d’utiliser des indices d’autonomie ou de mobilité, ainsi que la mesure de la poigne (grip strength en anglais), soit la force développée par la main dominante, un paramètre représentatif de l’état de santé général d’une personne.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 22/08/2021.

* Pascal Douek, Les nouvelles clés de la longévité - Cerveau, alimentation, sommeil, émotions…: le guide indispensable des aspirants centenaires, Ed. Leduc Pratique, 2019.

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