Quand la nourriture se fait médicament
Le consommateur soucieux de son bien-être doit élargir son vocabulaire: alicaments, probiotiques et autres prébiotiques ont en effet colonisé son caddie. Du coup, entre le yaourt au bifidus actif, les gélules d’oméga 3 ou encore les céréales enrichies aux fibres, il n’est pas toujours facile de séparer le bon grain de l’ivraie. Voici, pour nous aider, quelques éclaircissements apportés par Dimitrios Samaras, médecin associé à l’Unité de nutrition des Hôpitaux universitaire de Genève (HUG) et nutritionniste à la clinique Générale-Beaulieu.
Prébiotiques
Les prébiotiques sont des fibres alimentaires. Il s’agit de molécules qui servent de nourriture aux cellules du côlon et aux bactéries qui le colonisent déjà. Pour mériter le surnom de prébiotique, ces substances doivent exercer un effet bénéfique sur la personne qui les consomme.
«Elles sont avant tout administrées pour normaliser le transit intestinal en cas de diarrhée ou de constipation, explique Dimitrios Samaras. Des études ont montré qu’elles exercent aussi un effet positif sur les cellules épithéliales du côlon et qu’elles augmentent la protection contre le cancer du côlon et les maladies cardiovasculaires.»
Les prébiotiques les plus connus sont les fructo-oligosaccharides (FOS), l’inuline (une sorte de FOS) et les galacto-oligosaccharides (GOS). La liste des candidats au même statut s’allonge continuellement: polydextrose, oligosaccharides du soja, isomalto-, gluco-, xylo-oligosaccharides, etc. Mais les preuves de leurs bénéfices pour la santé ne sont de loin pas aussi étayées que pour les FOS et les GOS.
Les prébiotiques se trouvent naturellement dans de nombreux aliments (asperges, ail, artichauts, oignons, etc.) mais en quantités modestes. Pour espérer obtenir un effet significatif sur la santé, il faudrait en manger de très grandes quantités. C’est pourquoi l’industrie alimentaire les concentre artificiellement dans des capsules ou dans divers produits (yaourts, céréales, pain, biscuits, boissons et même des poudres de fibre).
Probiotiques
Les probiotiques, eux, sont des bactéries ou des levures. Ils portent ce nom en opposition aux antibiotiques et parce qu’ils sont administrés en général pour rétablir la flore intestinale décimée par ces médicaments. Les plus fréquemment utilisés dans l’industrie alimentaire sont Lactobacillus bulgaricus, Streptococcus thermophilus et Lactobacillus bifidus.
«Les effets bénéfiques des probiotiques sont moins connus que ceux des prébiotiques, avoue Dimitrios Samaras. Nous manquons de preuves robustes, sauf pour certaines indications comme la diarrhée aiguë, mais ces compléments sont souvent utilisés sans que l’on sache vraiment s’ils apportent quelque chose. Pire, on ignore quel type de probiotiques utiliser selon les indications.»
Il faut dire que même si le concept de probiotique existe depuis environ un siècle, il donne du fil à retordre aux scientifiques. Des souches différentes de la même espèce de bactérie peuvent, par exemple, avoir des effets très différents. «La quantité de bactéries présentes dans notre corps et qui lui sont utiles est très importante (plus de 1 kg au total), précise le nutritionniste. La composition de cette masse change d’une personne à l’autre et il est difficile, à quelques exceptions près, de savoir quelle supplémentation en probiotiques serait bonne ou mauvaise pour la santé.»
Alicaments
Les alicaments désignent de manière plus générale des composants alimentaires qui auraient des propriétés presque pharmaceutiques. En plus des pro- et prébiotiques, il peut s’agir de micronutriments comme de vitamines, d’oligo-éléments ou de sels minéraux mais surtout de substances qui existent dans la nature, par exemple dans les fruits, le thé, les épices, etc. En dix ans, le monde des alicaments a explosé. Il s’agit d’un véritable filon pour l’industrie alimentaire qui n’hésite pas à promettre sur les étiquettes bien plus que ce que la science n’a pu démontrer.
«La recherche sur les alicaments a décollé parce qu’il y a une demande de la société pour ces produits, analyse Dimitrios Samaras. Les gens reviennent à la pharmacopée naturelle et revisitent des produits oubliés. Nous sommes au début d’une nouvelle ère. La médecine a fait ses preuves contre la maladie. Aujourd’hui, il est temps de trouver des moyens de prévenir la maladie. C’est cela que visent les alicaments.»
Selon le médecin, la plupart de ces compléments alimentaires disposent d’une marge thérapeutique confortable. Cela signifie que la dose au-delà de laquelle ils engendrent des effets indésirables est assez importante. Mais parfois il faut être prudent, comme par exemple pour la vitamine B6 avec laquelle une carence ou un surdosage peuvent s’avérer nocifs. Pour le reste, il convient de savoir que les effets bénéfiques plafonnent. Au-delà d’un certain seuil, augmenter sa ration quotidienne n’aura comme seul résultat que de vider le portefeuille du consommateur.
«Cela dit, tout l’effet des compléments alimentaires est effacé si le patient fume un paquet de cigarettes par jour, souligne le spécialiste. Pour être cohérent, si l’on veut faire de la prévention à l’aide des alicaments, il faudrait commencer par adopter une alimentation équilibrée, arrêter le tabac, pratiquer l’exercice physique, etc.»