On peut devenir un drogué du bronzage. Comment s’en sortir?

Une étude expérimentale de chercheurs américains1 apporte de sérieux éléments laissant penser que le bronzage peut devenir une pratique addictive. Ses conclusions permettent notamment de comprendre pourquoi, en dépit de tous les risques sanitaires qu’elle comporte, l’exposition aux rayons ultra-violets (UV) artificiels ou solaires demeure une pratique à ce point répandue. Et pourquoi le bronzage reste un objectif rituel pour des dizaines de millions de personnes à travers le monde: au-delà de la dimension purement esthétique, on retrouve dans ces comportements la dimension plaisir/autodestruction qui caractérise le processus de l’addiction.
Dirigés par David E. Fisher (département de dermatologie, Massachusetts General Hospital, Harvard Medical School, Boston), les chercheurs ont exposé des souris rasées à la lumière UV cinq jours par semaine, pendant six semaines. Un modèle d’exposition équivalent à 30 minutes d'exposition, pour une personne à la peau claire, au soleil de Floride durant l'été.
L’euphorie des endorphines
Le saviez-vous?
Entre 15 et 40 ans, ce sont plutôt les femmes qui sont touchées par l’addiction au bronzage. Passé cet âge, ce sont plutôt les hommes qui en sont concernés.
Cette exposition induit chez les rongeurs une augmentation de la synthèse de certaines substances. Notamment d’endorphines de type bêta, bien connues pour déclencher un sentiment d'euphorie, comparable à celui ressenti avec la prise d’opiacés. Les souris montraient également une plus forte tolérance à la douleur.
De tels résultats suggèrent que la production de ces endorphines naturelles (source d’une sensation de bien-être, voire d’euphorie) est potentialisée par l'exposition aux UV. Lorsque la peau est exposée aux UV, la protéine pro-opiomélanocortine (ou POMC) est décomposée en petits fragments (ou peptides). L'un de ces peptides est une hormone qui stimule les cellules mélanocytes. Un autre est une endorphine bêta, un opioïde naturel de l'organisme.
Souris addictes
Le processus ainsi déclenché entraîne une modification des seuils de la douleur et un renforcement des «circuits de récompense». Deux phénomènes qui sous-tendent l’état de dépendance et que les chercheurs constatent chez leurs souris devenues addictes au «bronzage». Ils soulignent toutefois que les souris sont des animaux qui préfèrent généralement l’ombre à la lumière, ce qui interdit de faire trop vite des extrapolations à l’homme.
Les résultats de ce travail convergent néanmoins avec une série d’autres travaux et observations. Elles sont notamment résumées sur le site de l’association française SOS Addictions2 par le Dr Patrick Moureaux, spécialiste de dermatologie et co-auteur d’un ouvrage sur ce sujet3. Il explique que l’addiction au bronzage, décrite pour la première fois en 2000 par le Dr Carolyn J. Heckman, dermatologue à Philadelphie, porte le nom de tanorexie.
Une addiction du paraître
La tanorexie est «une addiction comportementale sans substances chimiques, résume le Dr Patrick Moureaux, spécialiste de dermatologie et co-auteur d’un ouvrage sur le sujet. Notre peau est aujourd’hui plongée dans la nébuleuse de l’hypermarché du paraître, devenue ainsi "dépendante". Il est impératif d’exprimer un visage jeune et pétillant permanent. Le bronzage donne cette illusion. Notre représentation narcissique est sous influence. Les sensations de bien-être, procurées par l’exposition solaire naturelle ou artificielle, propulsent le consommateur dans une spirale consumériste, compulsive, infernale, croissante et non maîtrisable, ritualisant sa vie, et ce, malgré la connaissance des risques encourus (photo-vieillissement précipité, cancers cutanés, …) répondant ainsi à la notion d’addiction comportementale.»
En finir avec le soleil
Comment sortir de cette addiction? Pour le Dr Moureaux les solutions thérapeutiques ne sont pas standardisées.
Il est impératif de tout mettre en œuvre pour ne pas rentrer dans l’addiction grâce à une pédagogie préventive précoce. «Le biotope familial devra être conscient de réduire tout comportement visible et lisible à haut risque sanitaire, afin de minimiser toute reproduction de la part de l’adolescent, explique-t-il. Une législation rigoureuse doit maîtriser l’accès aux centres de bronzage. Les UV sont considérés par l’OMS comme des agents cancérigènes de niveau 1, potentialisant le risque de cancers cutanés.»
Pour le traitement curatif, ce spécialiste préconise les techniques de thérapies cognitives et comportementales sur une longue période (au moins six mois). «Ces techniques sont basées sur l’accès, par paliers intentionnels progressifs, à une motivation exprimée et assistée, conduisant le patient à la cessation de toute exposition solaire pathologique, explique-t-il.»
Le risque de rechute est très important. C’est pourquoi un accompagnement du patient par une équipe psychologique entraînée est souvent nécessaire pour assurer la garantie de son sevrage.
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1. Soutenu par les Instituts nationaux américains de la santé, ce travail vient d’être publié dans la revue Cell. Un résumé (en anglais) de l’étude est disponible ici.
2. Cette synthèse (en français) est disponible ici.
3. «Le Soleil dans la Peau». Patrick Moureaux, Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Alain Froment, Aymeric Petit. Editions Robert Laffont 2012.

Bronzer sans danger, est-ce possible?

Gare aux coups de soleil!
