A la chasse aux gènes de l’anémie
Le taux de globules rouges dans le sang peut varier et, quand il devient trop faible, provoquer l’anémie. La modification de la concentration de l’hémoglobine est, entre autres, contrôlée par les gènes. Une étude parue dans la revue Nature du 20 décembre a permis d’identifier 75 régions dans le génome humain influençant la concentration des globules rouges. Explications avec Peter Vollenweider, professeur associé au Service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’un des auteurs de l’article.
Planète Santé: Qu’est-ce que l’anémie?
Peter Vollenweider: Il s’agit d’un taux sanguin trop bas d’hémoglobine – ou de globules rouges – qui représente le principal transporteur de l’oxygène. C’est une condition fréquente parmi la population. Elle est en général le signe de la présence d’une autre maladie. Si l’anémie survient à un jeune âge, cela peut entraîner de graves séquelles sur la croissance, le développement cognitif, la qualité de vie, etc. Le taux d’hémoglobine est influencé par plusieurs facteurs, entre autres les gènes. On sait en effet depuis longtemps qu’une tendance plus marquée à l’anémie peut se retrouver chez plusieurs personnes de la même famille. C’est pourquoi une vaste étude a été menée pour découvrir les gènes responsables.
Les avez-vous trouvés?
Non pas exactement. Nous avons étudié le génome entier d’environ 130000 personnes grâce à la collaboration de plus d’une centaine d’équipes du monde entier. A l’aide de techniques statistiques bien connues, nous avons regardé s’il existait des «marqueurs génétiques» plus fréquemment associés à des taux anormaux de globules rouges dans le sang. Nous en avons identifié 75. Une trentaine d’entre eux étaient déjà connus et une quarantaine sont nouveaux.
Qu’est-ce qu’un marqueur «génétique»?
Ce sont de petites variations génétiques qui existent entre les individus. Elles peuvent se trouver dans un gène ou à côté, dans des zones dont on ignore la fonction. Du moment qu’elles sont associées à un trait physiologique, elles nous indiquent que dans son entourage, il se trouve un gène qui, lui, est impliqué dans le phénomène que l’on étudie. Concrètement, nous avons donc trouvé des régions, assez vastes parfois et comptant souvent plusieurs gènes, qui influencent la concentration de globules rouges.
Pourquoi avez-vous besoin d’un si grand nombre de participants?
Dans le cas de maladies auxquelles contribuent plusieurs gènes, un seul individu ne fournit que peu d’information. Il en faut un grand nombre pour extraire de la masse de données un signal significatif du point de vue statistique et, surtout, reproductible.
Avez-vous tout de même identifié des gènes intéressants dans les régions que vous avez découvertes?
Oui et c’est notamment cela qui nous a valu une parution dans la revue Nature. Un travail énorme a en effet été réalisé pour trouver des gènes potentiellement impliqués dans les variations du taux d’hémoglobine. Grâce aux techniques de bioinformatiques, de comparaison avec les fonctions de gènes analogues chez la souris (Mus musculus) ou la mouche de vinaigre (Drosophila melanogaster), nous avons identifié, dans ces 75 régions, 121 gènes impliqués dans la biologie des globules rouges. C’est un champ de recherche beaucoup plus raisonnable que s’il fallait passer en revue les 25 000 gènes que compte notre génome.
Parmi les 130000 patients qu’a compté l’étude, 6000 proviennent de Lausanne, plus précisément de l’étude CoLaus. De quoi s’agit-il?
CoLaus est la Cohorte Lausannoise. Elle est dirigée par mon collègue Gérard Waeber, chef de service du Service de médecine interne du CHUV, et moi-même. Elle comporte 6000 patients de la ville de Lausanne qui sont suivis depuis 2003. Le principal objectif de cette cohorte est l’étude des causes environnementale et génétiques des maladies cardiovasculaires et métaboliques. Elle a déjà donné lieu à la publication de 150 articles scientifiques. Les deux derniers sont celle sur l’anémie et celle sur le taux d’acide urique dans le sang, coordonnées par Murielle Bochud, professeure assistante à l’Université de Lausanne (lire ci-contre).
Quelles perspectives ouvre cette nouvelle étude?
L’étape suivante consistera à étudier ces 121 gènes de manière plus précise. L’un des espoirs est de trouver de nouvelles cibles thérapeutiques susceptibles, à moyen terme, de déboucher sur le développement de nouveaux médicaments.