Quand la sueur rend les hommes meilleurs
Que serions-nous sans la sueur? Le biologiste dira qu’il s’agit là d’une sécrétion des glandes sudoripares, le résultat du phénomène de la transpiration. Il ajoutera que la transpiration est indispensable à la vie puisqu’elle participe au contrôle de la température du corps. Le spécialiste de thermodynamique précisera que le corps humain évacue 580 Kcal par litre de sueur évaporée.
Outre des calories, que perdons-nous en perdant notre sueur? Principalement de l’eau et des minéraux; sans oublier le lactate, cette forme ionisée de l'acide lactique et de l'urée. Quoi de plus intime que la sueur? Sa composition minérale varie d'une personne à une autre. Elle est le miroir fidèle de l'accommodation du corps à la chaleur, au type et à l’intensité de l'exercice musculaire, à la durée et à la cause de la transpiration. Elle varie selon la composition minérale du corps mais aussi selon les régions de ce même corps.
Plaisirs infinis
On taira ici ce que les odeurs de sueur peuvent représenter pour autrui. Elles peuvent être la source d’infinis plaisirs ou au contraire de répulsions-réflexes. Songeons un instant à nos réactions devant un maillot de corps qui est mouillé de sueur (étranges expressions); ou encore aux taches laissées par ses propres sueurs sur un linge de corps. Il faut bien ranger ici la sueur au rang des «divers produits que le corps expulse quotidiennement» (excréments, urines, mucosités), dont parle si élégamment Mauricio Ortiz (médecin devenu journaliste) dans son précieux Du corps, publié aux éditions du Seuil en 2012. On peut voir là un équivalent corporel humain de cette part des anges qui fait tant rêver autour des chais de cognac.
La «composition-type» de la sueur? Une sorte de reflet minéral du corps, avec du sodium (0,9 grammes/litre), du potassium (0,2 grammes/litre), du calcium (0,015 grammes/litre) et du magnésium (0,0013 grammes/litre). Sans oublier des traces de zinc, de cuivre, de fer, de chrome, de nickel ou de plomb ainsi que des éléments véhiculés avec la transpiration comme le sébum.
Le vertige des sueurs froides
La fonction principale de la sueur? Refroidir le corps humain de manière à ce que sa température interne demeure relativement constante. D’où les suées en cas de fièvre et la nécessité de ne pas toujours faire retomber cette dernière. Est-ce là l’origine de l’expression «sueurs froides» dont Hitchcock a fait un film d’anthologie, mieux connu des anglophones sous le titreVertigo(1958)?
Provoquer la sudation par différents moyens a aussi pour but (dans de nombreuses médecines non conventionnelles) de réaliser une forme de «purification» du corps. Suer c’est éliminer ce qui doit l’être. Une marque française d’eau minérale en a fait un slogan publicitaire en faisant l’économie de la sudation, comme on peut le voir sur ces images datant de 1986. Il est vrai qu’une autre marque, concurrente, avait trouvé des arguments physiologiques (hépatiques et rénaux) pour inciter à consommer sans modération. On trouvera plus généralement ici un délicieux petit travail de «professionnels de la communication» en amont des processus de la sudation.
Symbolique du sudoripare
Y a-t-il un lien entre cette purification via le sudoripare et la symbolique de la classe ouvrière? On songe ici à la force de travail musculaire et aux conséquences biologiques qui en découlent. L’ouvrier de la révolution industrielle se définissait alors par opposition aux intellectuels. Aux premiers la sueur, aux seconds l’intellect et les mains blanches. Ajoutons que la même sueur est (symboliquement) revendiquée par le mouvement Punk-rock et ses dérivés, ainsi que dans la musique Funk (puisque funky signifie qui sent la sueur en argot américain).
On peut aujourd’hui ajouter un nouveau chapitre. Il résulte des travaux menés par Markus Rantala, biologiste à l'Université de Turku (Finlande)1, que les phéromones (ces étranges molécules omniprésentes, dit-on, dans le vivant) semblent jouer des rôles essentiels à la sexualité et à la préservation du soi. Soit à la grande histoire de la perpétuation de l’espèce via le plaisir. Pour ce qui est de la femme et de l’homme, différentes approches tendent à montrer que les phéromones sont intimement liées aux cycles de l'humeur et de la reproduction. Faut-il voir un hasard dans le fait que les phéromones sont produites par des glandes spécialisées qui sont situées près des aisselles? Et faudrait-il être troublé d’apprendre que ces mêmes phéromones se marient à la sueur?
Fragrances dominantes
Chez l’animal, les phéromones mâles permettent de fixer les rôles dominants-dominés. Dans l’espèce humaine, de premières approches psychométriques ont démontré l’existence d’associations entre l’attirance de certaines femmes pour certains hommes sur la base de fragrances associées à des hormones ou des phéromones. L’inverse n’est pas à exclure. Et l’usage intensif que nous faisons des parfums pourrait constituer un lien nous unissant à nos amies les bêtes, comme en témoignent les possibles liens entre le N°5 de Chanel et un parasite.
Dans le collimateur des biologistes et des éthologues: un cousin de la testostérone connu sous le nom d’androstadiénone qui est vingt fois plus présent dans les sueurs des hommes que dans celles des femmes. A Turku, le biologiste Markus Rantala et son collègue Paavo Huoviala ont mené une expérience riche d’enseignements. Elle a été conduite sur un groupe de quarante hommes qui devaient participer à un jeu vidéo. Dans ce jeu, deux joueurs doivent se partager 10 €. Un joueur propose un mode de partage, l'autre décide d'accepter ou non.
Générosités mâles
L’expérience consiste à faire inhaler aux participants soit la phéromone mâle, soit un placebo à l’odeur similaire. Les vingt hommes ayant inhalé la phéromone se révèlent aussitôt plus généreux: ils offrent, en moyenne, un demi-euro de plus que le groupe témoin et, mieux encore, acceptent des offres inférieures d’environ un demi-euro. Les deux chercheurs expliquent avoir contrôlé les niveaux d'hormones chez les hommes tout au long de l'expérience. Et ils observent, à leur grande surprise, que les hommes dont les niveaux de testostérone sont naturellement les plus élevés sont aussi les plus généreux après avoir été exposés à la phéromone. Tout se passe comme si cette dernière entrait en interaction avec l’hormone mâle.
Cette découverte pourrait être utile lors de situations critiques, lorsque la coopération et l’altruisme entre les hommes sont des questions de survie. On peut aussi imaginer dès à présent d’autres applications. Les exemples ne manquent pas où des pulvérisations d’androstadiénone pourraient rendre la vie en société nettement plus agréable. L’affaire est résumée et amplement commentée (en anglais) sur le site du magazine américain Science. Pour l’anthropologue Jan Havlíček (Charles University de Prague) il ne faut pas trop rêver, et rappeler que le pouvoir des phéromones dépend beaucoup du contexte. Il serait ainsi selon lui intéressant de voir l’impact qu’auraient des pulvérisations d’androstadiénone lors des compétitions sportives. Serait-ce une forme d’antidopage?
1. Les résultats viennent d’en être publiés dans la revue PLoSOne. On en trouvera ici le texte complet (en anglais).