La grande famille des «dys»
Lire des histoires ou des consignes, écrire ses premiers mots, manipuler des nombres, développer ses compétences motrices, parler, font partie des acquisitions fondamentales durant l’enfance. Chez une majorité d’enfants, celles-ci ne posent pas de problèmes majeurs, ce qui leur permet d’avancer sereinement dans leur parcours scolaire et dans leur vie quotidienne. Mais chez certains, ces apprentissages se révèlent plus compliqués, quand bien même il n’y a chez eux ni déficience intellectuelle, ni trouble du comportement. Le risque d’échec scolaire, mais aussi l’impact sur l’estime de soi, les relations familiales ou avec les pairs, sont alors non négligeables, d’où la nécessité de dépister suffisamment tôt les troubles de l’apprentissage et de mettre en place un soutien et des aménagements pour faciliter la vie de ces enfants.
TEMOIGNAGE
Solène*, 25 ans: «Les chiffres m’ont toujours paniquée»
«Je n’aimais pas les maths. Pour moi, le nombre est quelque chose de très flou et très abstrait. A l’école, c’était le cauchemar. J’ai longtemps contourné le problème en apprenant par cœur, ce qui me permettait d’avoir la moyenne. C’est avec l’algèbre que l’on m’a complètement perdue. Il fallait m’expliquer douze fois, mais je ne comprenais rien. On a d’abord pensé que j’avais hérité de ma mère qui elle aussi était nulle en math. J’étais bonne en langues, on disait alors que j’étais une littéraire. Au gymnase, c’était la catastrophe. Les maths avaient un coefficient élevé et mes notes ne dépassaient pas le 1.5. Pourtant, je me donnais beaucoup de peine, tandis que les professeurs me demandaient de travailler toujours plus. Mes parents avaient vu, quand j’étais petite, que j’avais un problème pour lire l’heure ou connaître l’ordre des jours de la semaine. Un jour, je suis allée voir une logopédiste spécialisée. J’ai fait plein de tests qui ont révélé ma dyscalculie. Pour mes études, le diagnostic n’a pas changé grand-chose, si ce n’est que j’ai très bien réussi l’université, car il n’y avait plus de math. Aujourd’hui, je fais confiance lorsqu’on me rend la monnaie et j’utilise mon smartphone pendant les soldes ou pour convertir les unités en cuisine.»
*Nom connu de la rédaction.
Le plus connu d’entre eux est sans doute la dyslexie, un trouble de la lecture qui touche entre 5% et 10% des enfants, «selon les critères de sévérité que l’on applique », précise le Dr Joël Fluss, neuropédiatre, responsable d’un programme des troubles d’apprentissage scolaire aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). L’enfant dyslexique peine à déchiffrer un texte écrit et à saisir rapidement un mot dans sa globalité. Ces difficultés résultent d’une mauvaise association entre les graphèmes (signes écrits) et les phonèmes (sons). La lenteur et les erreurs de lecture peuvent aller jusqu’à gêner la compréhension du texte. Repérer assez tôt une dyslexie – possible en pratique de 18 à 24 mois après le début d’apprentissage explicite de la lecture – est primordial, car «les enfants qui restent longtemps non-lecteurs ont un risque élevé de se trouver dans une situation d’illettrisme, c’est-à-dire avec une maîtrise insuffisante de l’écrit dans la vie courante», poursuit le médecin genevois. Certains signes précurseurs tels que l’apprentissage lent du code alphabétique, du son des lettres, ainsi que des difficultés à distinguer les syllabes au sein d’un mot, doivent alerter. Très souvent, la dyslexie est associée à la dysorthographie, qui est une difficulté à orthographier correctement les mots. Et pour cause, il est rare qu’un «dys» soit isolé chez un même individu. Dans près de 40% des cas en effet, un enfant concerné par un trouble de l’apprentissage en présente plusieurs types, dont font partie les troubles de l’attention.
Après les lettres, le nombre
Ainsi, il arrive que la dyslexie soit associée à une dyscalculie, qui atteint la capacité à appréhender le nombre. «Un trouble compliqué à repérer et à diagnostiquer, celui-ci pouvant prendre des formes différentes d’un individu à l’autre. On estime entre 3 et 5% la part d’enfants concernés», déclare le Dr Fluss. Apprécier une quantité, comparer des collections, estimer des grandeurs, comprendre la notion de dizaine et d’unité, effectuer des opérations (calcul mental, addition en colonne, soustractions, multiplications), résoudre des problèmes logiques, etc., peuvent s’avérer très complexes pour ces enfants, tant «la notion de nombre ne signifie souvent pas grand-chose pour eux», décrit le spécialiste, qui regrette que ce trouble soit encore aussi mal connu.
L’enfant maladroit
C’est le cas également de la dyspraxie, un trouble que l’on détecte en général entre 4 et 6 ans et qui atteint la coordination motrice globale et/ou fine. «Ce sont des enfants décrits comme gauches et maladroits, dont les compétences motrices sont en décalage par rapport à ce qu’on attend d’eux», explique-t-il. Boutonner un vêtement, lacer ses chaussures, tenir ses couverts correctement, dessiner, écrire, bricoler, etc., se font au prix d’efforts coûteux (lire témoignages). Et pour cause, ces enfants éprouvent des difficultés à planifier des gestes complexes et ne réussissent pas à les automatiser. La lenteur, le manque de fluidité, et un apprentissage laborieux sont à cet égard symptomatiques.
L’existence de difficultés sur le plan scolaire ou dans le quotidien de l’enfant doit mettre la puce à l’oreille des parents et des enseignants, car des troubles «dys» pourraient en effet être en cause. Un bilan cognitif peut alors être indiqué. Il s’agira d’abord de vérifier que les compétences intellectuelles de l’enfant sont dans la norme et d’écarter des éventuels problèmes sensoriels (ouïe, vue) avant de pouvoir poser un diagnostic.
Les troubles «dys» ne disparaissent pas avec l’âge, et un soutien s’avère nécessaire: rééducation (ergothérapie, logopédie, etc.), aménagements à l’école et mise à disposition d’outils spécifiques peuvent aider l’enfant à compenser ses difficultés et à montrer toutes ses compétences.
TEMOIGNAGE
Mère de Leo, 16 ans, dyspraxique: «On se disait qu’il faisait exprès»
«Leo a marché et parlé très tard. Quand il était petit, il mettait beaucoup de temps à s’habiller, il fallait tout lui préparer sinon il mettait ses vêtements à l’envers. A l’école enfantine, la maîtresse était plutôt rassurante, constatant surtout qu’il était dans son monde et qu’il avait besoin d’être stimulé. Mais c’est un enfant très maladroit. Il marche la tête en bas, sans regarder où il va, et rentre dans des obstacles. Il a eu du mal à apprendre à faire du vélo. A la gymnastique, il avait de la peine à faire des sauts, des mouvements, à lancer une balle après l’avoir réceptionnée. L’écriture aussi est laborieuse : il tient son crayon tout droit avec trois doigts, ce qui lui prend beaucoup d’énergie. Il est lent dans tout ce qu’il fait. Les devoirs lui prennent un temps phénoménal. Au début, on se disait qu’il faisait exprès, que ce n’était pas possible. Heureusement sa sœur l’a aidé, car je perdais patience.
J’étais inquiète, nous avons donc fait un bilan neuropsychologique. Il avait 9 ans lorsque le diagnostic de dyspraxie a été posé. Pendant deux ans, il a fait de l’ergothérapie, puis une psychothérapie pour mieux accepter son trouble. A l’école, il a bénéficié de différents aménagements : enseignant spécialisé, ordinateur pour écrire, plus de temps pour les tests et possibilité de les faire à l’écart, le bruit étant très perturbant. Les enseignants se sont adaptés en découpant son travail par étapes, étant donné sa difficulté à gérer plusieurs consignes à la fois. Certaines tâches sont insurmontables, c’est un combat au quotidien, mais il a quand même réussi son certificat de fin d’école obligatoire. Aujourd’hui, il est dans une structure en vue de trouver un apprentissage qui lui convienne.»
______
Paru dans le Quotidien de La Côte le 23/10/2019.